J’ouvris les yeux. Je m’étais assoupie. Comme la première fois, il me fallut quelques minutes pour me situer dans mon environnement. J’actionnais vocalement l’ouverture des volets coulissants et me levais avec difficultés. Je me sentais lourde, fatiguée.
Le peu de repos que j’avais pris ne m’avait rien apporté. Il était relativement tard. La tasse de thé préparée par Obi-Wan était froide.
J’en préparais une autre et bus une gorgée, les yeux rivés sur le portrait de Qui-Gon que j’avais posé près de moi. Le thé était ma seule alimentation depuis qu’il n’était plus.
Je m’installais au bureau avec la tasse encore pleine et activais le projecteur holographique. Je posais un support d'holo-image dans la coupelle de l’appareil. Le visage de Qui-Gon, son sourire se matérialisèrent au-dessus du détecteur.
Je m’étais installée face à l’image, fixant ses yeux. Je me fondais dans son image, me retrouvais avec lui par la pensée. Il me semblait que son esprit se mêlait au mien. Tout avait disparu autour de moi. J’étais seule, en symbiose avec lui. Il me semblait entendre sa voix, voir son sourire.
Tout était subjectif mais tout me semblait si réel. Son absence était atroce. J’avais mal à en mourir. Je ne voulais pas pleurer mais je sentais les larmes me monter aux yeux. Il me manquait horriblement.
Tout dans cet endroit, en plus, témoignait de sa présence. Je ne pouvais me résoudre à ne plus le voir, ne plus entendre sa voix, à le reléguer dans le domaine des ombres. Pour moi, il était vivant. Je tentais de me persuader qu'il était parti pour un long voyage dont il allait revenir.
Je refusais l'idée de sa mort. Je refusais l'oubli. Je refusais la réalité.
Le carillon de la porte me sortit de mes pensées. Je me levais avec difficultés et actionnais vocalement l’ouverture. Je fis entrer le visiteur. C’était une femme.
Adi Gallia se tenait devant moi. Son visage, sous la coiffe capillaire qui lui couvrait les épaules, était sévère, fermé, hostile. Je m’inclinais devant elle. Elle était très grande par rapport à moi et baissa légèrement la tête. Ses yeux firent lentement le tour de la pièce puis se posèrent à nouveau sur moi. Elle me toisait de la tête aux pieds. Elle me regardait comme si je n’étais rien. Son air était méprisant.
-Padawan Jinn. Son ton était très sec. Je sentais que les mots qu’elle prononçait devaient lui coûter. -Maître Yoda souhaiterait vous voir ce soir à son appartement.
-Maître Yoda ?
Elle me faisait peur. Elle savait qu’elle avait une certaine supériorité sur moi et me le faisait bien sentir. Je me mis à trembler et balbutiais.
-Je… J'ai… J'ai déjà dit à Obi-Wan que je…
Ses lèves se pincèrent en une moue dédaigneuse.
-C’est la coutume ici quand un nouveau Jedi fait son entrée au Temple et qu’il n’a pas suivi la cérémonie rituelle des Padawan comme vous. C’est une loi de notre Ordre et vous feriez bien de vous y plier.
Je tiens également à vous signaler que le qualificatif que vous devez utiliser pour Obi-Wan est Maître Kenobi. Rien d’autre.
-Mais je…. C’est un ami pour moi. Depuis la mort de…
Elle leva la main pour m’interrompre.
-Oseriez-vous discuter avec moi ? Vous ! Je ne vous le permets pas. Vous avez reçu des ordres et vous devez y obéir. Sachez que vous n’avez pas d’amis ici et que vous n’en aurez jamais. L’attachement n’existe pas, sous n’importe quelle forme. C’est interdit par notre code. Il y a des règles de conduite bien établies entre Maître et Padawan et entre Jedi. Elles sont immuables et valables pour tout le monde.
Pour vous également, bien que pour moi, vous n’ayez rien à faire ici. Avez-vous compris ?
Son ton était glacial, son visage dur. Je sentais toute l’hostilité qu’elle éprouvait pour moi. Elle était Jedi, membre du Conseil. C’était une figure éminente de l'Ordre. Elle jouait de cet ascendant sur moi. Elle me faisait ressentir ma position par rapport à l’Ordre, à elle, aux autres Jedi.
-Oui lui répondis-je sur le même ton.
-Je suis Maître Jedi et vous devez me donner mon titre comme vous devez le faire pour n’importe qui ici. Votre statut très particulier ne vous donne aucun droit.
-Oui Maître ! fis-je en appuyant sur le mot Maître d’un ton arrogant et en la regardant dans les yeux. Ma voix tremblait de colère. Je sentais à nouveau les larmes me monter aux yeux. Je ne voulais pas pleurer devant elle, surtout pas. Elle en serait ravie. Dans ses yeux marine, je pouvais voir tout le mépris que je lui inspirais.
Elle soutint quelques instants mon regard puis détourna les yeux. Elle regardait par-dessus mon épaule et vit l’image holographique derrière moi. Son air se pinça et elle posa les yeux sur mon ventre.
-Dès demain, vous aurez un examen médical en raison de votre état fit-elle d’un ton sec.
Je jetais un bref regard sur mon ventre et levais les yeux vers elle. Elle se redressa et continua d’une voix glaciale.
-Une Jedi enceinte est un fait exceptionnel ici. Ceci ….
-Est interdit par le Code, je le sais parfaitement.
Elle m’insupportait. Je me retenais de ne pas la jeter dehors. J’avais du mal, après l’accueil de Lusiana Nakeji, à supporter les petites phrases acerbes d’Adi Gallia. Elle siffla entre ses dents serrées.
-Vous êtes exactement comme lui. Aussi défiante, aussi provocatrice.
Je me redressai ostensiblement. Je ne supportais pas ses allusions mesquines envers Qui-Gon. Je ne les acceptais surtout pas.
-Je ne vous permets pas de parler ainsi de Qui-Gon. Je n’ai qu’à le remercier pour ce qu'il m'a apporté et pour les moments que j’ai vécus avec lui sifflais-je entre mes dents en la défiant du regard.
Elle me foudroya des yeux et ricana.
-Vous le remerciez ! Vous avez cette prétention. A cause de vous, il s’est perdu. Il était devenu indigne de porter le nom de Jedi. Il a déshonoré notre Ordre. Votre présence ici est une insulte pour nous tous.
-Je vous interdis d’insulter sa mémoire.
Elle se redressa de toute sa hauteur.
-Vous m’interdisez ! Mais pour qui vous prenez-vous ? Vous êtes une insolente et une intrigante. Si je le voulais, je vous ferai bannir. J’en ai le pouvoir. Vous n’êtes rien ici. Ne l’oubliez surtout pas.
-Maître Yoda semble penser le contraire rétorquais-je sur le même ton.
-C’est son avis mais le Conseil ne soutient pas cette décision.
-Maître Windu est d’accord avec lui. Il est mon Maître.
-Mace Windu ! Quel exemple remarquable lui aussi ! Il est bien un des seuls qui vous soutienne ici. Mais il ne le fait que pour amitié pour Qui-Gon Jinn et parce qu’il est comme lui quelque part. Ne vous faites aucune illusion sur nos sentiments à votre égard. Sachez, Madame, que votre présence ici n’est pas la bienvenue et que nous ne sommes pas d’accord pour que vous suiviez le parcours Jedi.
Vous n'aurez aucune faveur, aucun droit à l'erreur si, par chance, vous parvenez à suivre notre initiation. Je tenais à vous le dire afin que les choses soient bien claires.
Elle attaquait également Mace Windu. Je ne voulais pas polémiquer avec elle malgré ma colère. Je sentais que les mots que je lui dirai risquaient de dépasser ma pensée. Je risquais de le regretter. Je ne voulais pas entrer dans le piège qui se refermerait autour de moi si j’entrais en lice contre elle.
Que pouvais-je faire contre elle, moi, petite Padawan, parjure au Code, complètement décriée par l’Ordre Jedi, selon ses dires. C’était sa parole contre la mienne. C’était un combat perdu d’avance. Elle était Maître au Conseil et serait certainement écoutée.
Malgré sa rancœur injustifiée contre moi, je ne doutais pas qu’elle était un Maître Jedi d’une grande sagesse et d’une grande puissance. Elle était l’interlocuteur privilégié du Conseil auprès du Sénat. Elle était d’un avis sûr auprès du Chancelier Palpatine, après l'avoir été auprès de son prédécesseur, le Chancelier Valorum. Elle avait une formation de diplomate qui lui faisait déjouer certains pièges de la politique avec la plus grande perspicacité.
Ses qualités de Jedi n’étaient plus à démontrer. Et ce n’était pas moi qui allais m’élever contre cela.
-Maître Gallia. Vous n’avez pas besoin de vous donner toute cette peine pour me signifier que je suis pas la bienvenue ici. Je l’avais ressenti. Maitre Piell a été très clair quand il m’a parlé de mon intégration à l’Ordre. Je n’ai pas vraiment eu le choix. Je sais aussi que vous ne m’aimez pas et je ne vous demande pas de le faire.
Je ne suis ici que pour honorer la mémoire de Qui-Gon en suivant l’enseignement Jedi et mettre ses enfants au monde afin qu’ils suivent cette même voie. Et je le ferai.
Elle pâlit et me regarda d’un air glacial.
-Bonne chance alors. Vous en aurez le plus grand besoin.
Sans que j’ai pu lui répondre, elle se retourna en ramenant les pans de son manteau autour d’elle. Elle sortit de la pièce à grandes enjambées sans même m’accorder un regard. La porte se referma derrière elle.
Je pensais à son attitude. Elle m’avait traitée comme une chose insignifiante. Pour elle, j’étais une honte, une aberration. Cette femme avait fait preuve, à mon égard, de la plus extrême virulence, du mépris le plus absolu. Je savais qu’elle ne supportait pas. Je l’avais constaté à plusieurs reprises quand j’étais avec Qui-Gon.
Mais cette animosité farouche qu’elle me vouait… Je ne comprenais pas. Adi Gallia était Maître Jedi. En accord avec son statut, elle devait garder ses états d’âme pour elle. Elle devait me voir comme une élève et non mettre en avant des critères d’ordre privé. Elle m’avait donné l’impression d’être un juge ou plutôt un réquisiteur qui demandait la tête d’un coupable.
Son attitude était à la limite de la provocation. Ses remarques étaient soigneusement choisies pour me blesser. Je savais qu’elle désapprouvait le fait que j’ai vécu avec Qui-Gon, celui que je sois ici.
Dans l’état d’esprit de la majorité des Jedi respectueux du code, ses remarques pouvaient se comprendre. A leurs yeux, Qui-Gon avait enfreint ce code. Pourtant, en se référant à la finalité du Jedi qui associe le mot compassion à sa vie, tout était relatif. Il y avait un antagonisme latent. Ce n’était pas à moi de le démontrer à un Maître Jedi. Ce n’était pas à moi à lui signifier son devoir envers moi. Et je ne le ferai surtout pas. J’allais déjà m’attacher à faire ma place ici.
Mais le pourrai-je ? En aurai-je le courage ? En aurai-je la force ?