Qui-Gon : une quarantaine d'années
Xanatos : était pratiquement en fin de formation, donc une vingtaine d'années.
Obi-Wan doit avoir une dizaine d'années.
Xanatos, qui avait décidé de quitter l'Ordre Jedi, a disparu peu après la mort de son père et son duel contre Qui-Gon. Celui-ci s'est remis de sa blessure physique. Mais il est encore profondément marqué par les évènements.
Un soir, il pleuvait et il était tard. La tempête avait réveillé Qui-Gon. Le vent soufflait avec une rare violence et la pluie frappait les fenêtres de son appartement, au deuxième étage du Temple Jedi à Coruscant. Les gouttes rebondissaient sur les terrasses du Temple.
C’était quelques mois après la mort du père de Xanatos. Le Maître Jedi ne pouvait dormir, se ressassant les évènements qui avaient conduit à ce drame, cherchant les signes d’appel, tentant de remonter le fil du temps.
Le ciel était chargé de lourds nuages noirs, qu’il apercevait entre les hautes tours grises de Coruscant. Il s’était alors levé et avait décidé de sortir de sa chambre où il étouffait. Il avait besoin d’air.
Il s’était rendu dans le jardin intérieur du Temple.
La pluie l’avait entouré comme une aura, le vent frais fouettait son visage, soulevant ses longs cheveux.
Il ne pouvait dormir depuis des jours. La Force ne faisait qu’une avec la pluie, l’empêchant de dormir, refusant de laisser son esprit en paix. « Xanatos est toujours en moi. Il est vivant même s’il n’est pas en accord avec moi, il est vivant ».
Après plus d’une heure de marche sous la pluie dans le jardin, il était revenu dans sa chambre, avait enfilé des vêtements secs et s’était installé en face de la fenêtre, à son bureau de verre fumé. Il savait qu’il ne dormirait pas plus cette nuit que les autres. A l’extérieur, la pluie continuait de tomber en notes discordantes, faisant comme un rideau sur les tours et le vent produisait un sombre murmure.
Après avoir regardé un long moment par la fenêtre, le menton appuyé sur ses mains, Qui-Gon avait fermé les yeux. Le visage de Xanatos s’imposa aussitôt à son esprit. Il s’était revu au fond de la mine, lors du combat qui coûtât la vie au père de son Padawan. Il avait été sérieusement blessé par Xanatos et n’avait du la vie qu’à la présence d’esprit d’Obi-Wan qui l’avait retrouvé.
« Il n’y a pas un jour, depuis quelques semaines, où je ne revive cet épisode de mon existence » avait-il pensé. « Est-ce un signe du destin ? Un avertissement ? Une vision de ma fin prochaine ? Vais-je passer devant le tribunal des âmes où mes fautes vont m’être reprochées ? »
Il s’était souvenu qu’à son retour au Temple Jedi et après la guérison de ses blessures, Yoda ne lui avait rien dit, occultant cet épisode en apparence. Mais il savait que, tout comme le vieux Sage, il n’oublierait jamais, surtout que son ancien élève avait, par la suite, trouvé la mort lors d’un nouvel acte de vengeance contre lui dans l’enceinte des Bassins Sacrés de Telos. Il avait même tenté une action au sein même du Temple mais avait échoué. Qui-Gon avait regardé par la fenêtre la course des nuages gris dans le ciel. Il avait lentement sombré dans une forme différente de méditation. Son esprit n’était pas tranquille, les souvenirs affluaient telles des mantas immenses aux larges ailes déployées.
Il s’était laissé porter, sans tenter de diriger ce qui se passait en lui, suivant le flux de ses émotions. Il avait laissé les images et les sensations l’envahir. Il savait qu’il revivrait ces moments avec une profonde douleur mais il le ferait sans peur. Il le ferait aussi longtemps que son passé, par cette faute, se manifesterait ainsi à lui. Il voyait, entendait et sentait la pluie et savait qu’il était vivant même s’il était noyé dans ses souvenirs.
Les images s’étaient précisées à son esprit. Il avait à nouveau fermé les yeux et les souvenirs étaient devenus de plus en plus réels, s’unissant en son esprit pour le transporter des mois en arrière.
Le temps s’était évanoui. Il avait revu Xanatos. Il lui avait semblé réel comme s’il pouvait le toucher, si proche de lui et pourtant si lointain. Il l’avait vu, petite silhouette frêle, aux longs cheveux bruns, agile, en pleine possession de ses moyens, le parfait futur Jedi pour le jeune Maître qu’il était. Par contre, ses yeux l’avaient frappé. Ils étaient égarés, fixes. Ils étaient des fenêtres ouvertes sur son esprit, montrant des signes alarmants.
Mais Qui-Gon n’avait rien vu.
Xanatos s’était présenté à lui comme dans un rêve. Alors, Qui-Gon l’avait suivi. Il avait traversé symboliquement le hall du Temple Jedi près de lui, cet élève perdu, entendant les mots qu’il répétait sans fin comme une litanie après la mort de Xanatos : « Jamais plus ».
Il aurait dû être le gardien de son esprit, être à son écoute quand il le demandait, prévoir sa chute, entendre ses appels muets, ne pas le laisser se perdre sans réagir dans les méandres des doutes qui l’avaient précipité dans les affres du côté obscur.
Il était pourtant toujours près de lui, à son réveil, quand il s’éveillait la nuit en proie à des cauchemars, quand le jeune garçon lui parlait de sa peur du noir et des fantômes. C’était la peur qui le consumait et Qui-Gon n’avait rien vu. Il l’avait laissé le détruire. Lui qui se disait si plein de compassion n’en avait pas eu pour son élève.
Il avait laissé la haine l’attaquer de l’intérieur et n’avait pas pu ou voulu voir ce qui se passait dans l’esprit de son élève. Qui-Gon s’était réfugié dans une sorte de torpeur bienheureuse, celle du devoir accompli, de la satisfaction personnelle.
Il avait vu, ressenti à ce moment que son élève avait construit une forteresse autour de lui, qui allait devenir une tombe. Il était pourtant avec lui à chaque mission, partageait chaque moment de sa vie et il n’avait rien ressenti le concernant. Un Jedi, conduit par la Force, un pouvoir au-delà de l’entendement, qui n’avait rien à perdre est une personne difficile à comprendre. Qui-Gon s’était rendu compte que, même s’il avait apporté à son élève le savoir et la maîtrise de la Force, il ne lui avait pas apporté la paix.
Il s’était examiné avec la plus grande pitié, se voyant comme une panthère des sables assise, hurlant à la nuit tombante, hurlant sa peine et sa douleur, sa trop grande fierté surtout. Il n’avait pas fait attention aux dérives de son élève. Il s’était protégé, lui, comme le ferait un chien féroce mais n’avait pas pris garde aux errances de son élève.
Qui-Gon avait amèrement réalisé que son disciple lui avait pourtant lancé des signes d’appels qu’il n’avait pas vus. Ses yeux avaient tenté d’accrocher son regard lors du voyage vers Telos quand Xanatos, avant d’entamer la seconde partie de son initiation devait, suivant la coutume rendre visite à son père.
Qui-Gon n’avait pas détecté l’appel au secours latent de son Padawan. Il n’avait vu dans ses yeux que ce qu’il voulait y voir, ce qui pouvait le conforter dans son rôle de Maître et le sentiment du devoir accompli et de la fierté vaniteuse. Xanatos l’avait pourtant regardé fixement. Qui-Gon s’était très bien souvenu de ce regard assombri et dur plongé dans le bleu de ses yeux. Pendant une fraction de seconde, le Maître Jedi avait eu, comme une intuition, le sentiment d’avoir accroché quelque chose chez son élève, comme une alarme puis, plus rien. Ils ne faisaient alors qu’un, l’élève et le Maître. Puis, les yeux acier de Xanatos s’étaient détournés des siens.
Qui-Gon avait eu pourtant l’impression de former, avec son élève, un cercle parfait, une osmose totale. Le Maître Jedi s’était très légèrement étiré. Il avait senti très nettement la présence de son élève près de lui, comme une ombre immatérielle mais tellement présente, comme si son esprit avait ramené Xanatos du monde des morts pour le projeter dans celui des vivants. Tout ceci lui semblait si réel maintenant.
Il avait légèrement baissé la tête, tentant de se persuader que ceci n’était qu’une manifestation de son propre esprit, de son sentiment de culpabilité qu’il conserverait toujours des années après et des satisfactions qu’il rencontrerait par la suite, malgré quelques errances et fautes, dans l’initiation de son futur Padawan.
Qui-Gon avait longuement soupiré. Il se rendit compte qu’il aurait pu, à ce moment précis, où son esprit ne faisait qu’un avec celui de son élève, lui parler. Non pas essayer mais lui dire que cet état d’esprit, cette errance, ce doute qu’il sentait en lui mais qu’il ne voulait pas s’avouer n’était pas de sa faute, qu’il ne pouvait, lui, élève, se protéger du côté obscur qui le menaçait, que c’était là le rôle de son Maître et que le fait de parler avec lui de ses doutes, n’altérerait pas l’amour que lui, Maître, avait pour son élève.
Il aurait du lui dire qu’il devait et pouvait passer outre la douleur, qu’il devait et pouvait reprendre confiance en lui et tuer ce sentiment de honte. Qui-Gon se dit qu’il devait, une fois pour toutes, pour se délivrer lui-même de cette honte, appliquer ces principes à son propre sentiment de culpabilité. Il avait entendu ces phrases à plusieurs reprises, dans maintes situations. Il aurait du les soumettre et les redire à son Padawan, conscient de sa propre influence sur lui. Mais il n’avait rien fait.
Il aurait du lui dire qu’il y avait toujours de l’espoir, que même si tout lui semblait difficile, il parviendrait à force de ténacité et de courage à vaincre ses démons et ses peurs, qui lui, Maître Jedi, était là pour l’aider sur cette route, le guider. Il aurait dû lui dire que son cœur n’était pas mort, qu’il pouvait, outre la haine, ressentir l’amour et la compassion. Il aurait du lui répéter encore et toujours qu’il devait continuer malgré les embûches et les difficultés.
Il aurait du, à ce moment d’osmose entre leurs deux regards, le prendre dans ses bras, juste une seconde. La cassure s’était produite à ce moment. Le jeune garçon avait lancé un appel au secours muet que son Maître n’avait su déceler. Il l’avait appelé mais Qui-Gon n’avait rien entendu. Peut-être que Xanatos l’aurait repoussé à l’aide de la Force. Mais il aurait été présent. Il lui aurait tendu les bras, ouvert son cœur.
Il aurait pu soigner ses plaies, prendre sa douleur à son compte, l’aider à supporter son fardeau.
Il n’avait RIEN fait de tout cela. RIEN.
Il avait raté ce moment où il aurait pu, il aurait dû remplir son rôle de Maître.
Il aurait du, ensuite, lui dire, alors qu’il combattait contre lui, qu’il ne le reniait pas, qu’il acceptait de poursuivre son entraînement, que le fait qu’il basculait du côté obscur ne le desservait pas mais était une expérience qui devait le conforter dans son choix ultime de servir le côté lumineux de la Force et que le Maître qu’il était avait toujours confiance en lui.
Au contraire, il l’avait rejeté.
Qui-Gon n’avait rien oublié de tout cela.
Il aurait du lui parler et ne pas le laisser s’enfoncer sans réagir. Il aurait du lui dire qu’il n’était pas perdu, qu’il pouvait, avec son aide, s’en sortir et retrouver la voie de la Force. Il aurait du, avec son expérience d’homme mûr, aider cet adolescent à l’esprit enfantin, encore neuf et malléable. Il avait, d’une manière déguisée, repoussé son élève, refusé d’écouter ses appels, l’avait renié. Mais il n’avait rien fait d’autre pour l’aider.
Il s’était alors levé et avait arpenté la pièce. Ce qui s’était passé était toujours présent à son esprit. Rien ne pourrait le changer. Qui-Gon ne devait pas se voiler la face, trouver des motifs futiles de rejeter les choses et les actes de rejeter sa propre faute. Il n’avait pas su faire preuve de discernement avec Xanatos. Il n’avait pas su agir à bon escient. Même le plus petit acte de sa part aurait pu soulager la douleur de son élève. Même s’il lui paraissait futile en regard des efforts que Xanatos aurait du fournir pour surmonter ses doutes.
Qui-Gon aurait du l’accompagner à ce moment, comme celui qui savait.
Et peut-être tout cela aurait-il été évité !