Yoda était debout sur l’un des balcons de méditation de la Salle du Conseil Jedi, une de ces petites et confortables alcôves où les Jedi qui recherchaient le calme et la réflexion pouvaient se retirer. Une petite fontaine gargouillait dans un coin de la pièce ouverte. L’eau coulait en cascade sur un assemblage de galets polis et produisait un son délicieux, un délicat bruit de fond aux résonances élémentaires. Près de la fontaine était posé un tableau, appuyé contre le mur. Il représentait un dégradé de rouge tirant vers le pourpre et le noir. C’était la libre représentation d’une coulée de lave en train de refroidir. La toile n’était pas là uniquement pour être admirée. Elle devait servir à la méditation et à l’immersion en soi. Elle réconfortait par ses couleurs chatoyantes, accentuées par le bruit de la fontaine
Le vieux Maître tentait d’assimiler la terrible nouvelle. Son Padawan, son petit garçon n’était plus, fauché par la lame d’un Sith jusqu’alors inconnu des membres de l’Ordre Jedi. Il les avait pourtant prévenus de sa crainte de voir, à travers Dark Maul, réapparaître l’Ordre Noir si redouté. Il leur avait pourtant fait part de ses soupçons, qu’ils avaient pris, le Conseil et lui, comme une information dénuée du plus sérieux fondement. Il tentait de ne pas se laisser aller à la douleur, préférant penser à Qui-Gon d’une autre manière, revivre les moments passés avec lui, cette intense osmose alors qu’il était son Maître. Il s’appuyait sur la rambarde, regardant la ville en contrebas.
Il était pratiquement impossible au Maître Jedi de vider entièrement son esprit. Son intense connexion avec la Force l’empêchait de le faire mais sur ce balcon, il retrouvait la sensation de solitude, une distance entre lui et les affaires de la galaxie. Il pensait à Qui-Gon. Il se revoyait lors de la cérémonie d’adoubement du jeune homme, exactement au même endroit, après la séance solennelle. Yoda plongea dans ses souvenirs. Des années en arrière.
L’entraînement de son élève lui avait apporté la plus grande satisfaction. Mais c’était fini maintenant. Son élève était devenu Chevalier. Le vieux Sage hocha la tête. Les images affluaient.
Qui-Gon avait eu tous les attributs d’un bon Padawan : sincérité, obéissance, humilité. Il avait assuré la dernière année de sa formation, conjointement puis après le départ du Comte Dooku, son précédent mentor. Pourtant, à la consternation de Yoda, après sa grande surprise, il avait souvent remarqué que son immense élève était en désaccord avec beaucoup de ses choix de Maître, particulièrement dans les derniers temps. Qui-Gon voyait le côté vivant de la Force. Le moment avait toujours une influence prépondérante sur lui, beaucoup plus que sur lui. qui croyait plus en la Force unificatrice. Il préférait voir loin, anticiper, voir comment ses actions pouvaient affecter le futur.
Quand ils étaient d’accord pour une aide ou une action, le « comment » était souvent un sujet de discorde entre le Maître et son élève. Yoda écoutait le jeune homme. Il essayait quand c’était possible d’accorder ses idées aux siennes mais ce n’était pas toujours le cas. Qui-Gon n’avait jamais ouvertement désobéi à son Maître mais cette obéissance forcée l’avait quelquefois fait souffrir. Yoda tentait d’apaiser cette peine mais le plus sûr remède en était le temps.
Yoda regarda loin devant lui. Le soleil montant lentement au zénith du Temple faisait entrer une douce chaleur dans sa tête. Il se recula contre le mur derrière lui, touchant sa surface fraîche. Sur son visage vert et ridé s’afficha un léger mais triste sourire.
En dépit des problèmes qu’il avait rencontrés avec son élève, Yoda était satisfait. Pendant tout le temps qu’ils avaient passé ensemble, Yoda avait ressenti Qui-Gon comme un jeune homme un peu gauche et dégingandé, essayant de contrôler ses impulsions et ses désirs.
Quand il eut achevé la construction de son sabre laser définitif avec le crystal qu’il était allé chercher, comme tant d’autres élèves sur Ilum, le jeune homme se transforma. Il combattit avec une grâce et une agilité qui n’avaient rien à envier au plus accompli des danseurs.
D’autres épisodes concernant son Padawan lui revenaient à l’esprit.
Le jeune homme avait souvent ramené, lors de leurs missions, des animaux perdus dans l’appartement qu’ils partageaient au Temple. Beaucoup de ces créatures étaient malades et sous-alimentées. Qui-Gon les soignait avec le plus grand dévouement. Yoda avait lourdement insisté pour que son élève les offre à des familles de Coruscant mais elles ne lui convenaient pas. Yoda avait appris à supporter la fourrure, les poils et autres signes de vie non-humaine qui peuplaient son appartement.
Il se souvenait, maintenant, avec un léger sourire, des jappements, miaulements et autres coassements ou pépiements qui le réveillaient pendant la nuit. Il avait appris la patience quant aux nombreuses marques de morsures sur son bâton de cornouiller.
Yoda poussa un profond soupir. Il savait que le jeune Padawan serait un grand Chevalier et un grand Maître. Il avait la vision d’un homme bon, aidant les autres, tenant à cœur à réussir ses défis. La Force avait confirmé ses impressions lors de la cérémonie d’adoubement et elles le seraient encore plus lors de la maîtrise, lui faisant voir des images de Qui-Gon tendant une main rassurante et aidant les autres, directement et indirectement. La fierté avait alors envahit son esprit et son cœur. Fier de son apprenti. La cérémonie achevée, Yoda était revenu sur ce même balcon. Le souvenir apaisait la peine d’avoir, par cette cérémonie, symboliquement rompu le lien particulier qu’il avait avec le jeune Jedi. La porte avait alors coulissé derrière lui. Yoda continuait de contempler les tours au loin devant lui, ne se retournant pas pour identifier le nouvel arrivant. Il n’en avait pas eu besoin, sachant que c’était son élève.
Le jeune homme s’était approché de lui et l’avait appelé d’une voix douce.
-Maître Yoda.
Le jeune Jedi avait, contre les lois de l’Ordre, gardé ses longs cheveux hormis la tresse de Padawan. Maintenant qu’elle avait été coupée, une trace marquait son emplacement dans la chevelure blonde du jeune Chevalier. Il l’aavait ramenée en catogan derrière sa tête. Yoda avait pu ressentir son émotion, sa tristesse lors de la rupture du lien qui les avait unis, son espoir pour le futur, sa sensation d’accomplissement.
-C’est magnifique avait-il dit doucement en regardant l’horizon devant lui.
-Hummm grogna Yoda. Troublé es-tu ? lui avait-il demandé.
-Oui, Maître avait admit le jeune homme.
Il n’avait pas parlé, observant les tours au loin. Yoda avait patiemment attendu qu’il poursuive.
-Maître Yoda, combien d’apprentis avez-vous entraîné ?
-Mon quatre-vingt-dixième tu étais fit-il en le regardant fixement, sentant que Qui-Gon avait eu d’autres questions à poser.
-Curieuse ta question est avait-il fait d’une voix douce.
Le jeune homme s’était agenouillé près de lui et l’avait longuement regardé. Puis il avait reporté ses yeux sur la ville.
-Vous souvenez-vous de tous ? avait-il dit doucement.
Yoda avait émis un nouveau grognement en hochant la tête.
-Bien sûr. De les oublier difficile il est.
-Qui était le premier ?
Yoda avait tapé le rebord du balcon de son bâton en lui répondant :
-Arina Elgus, femme humaine. Ma première élève elle fut. Aussi la première à rejoindre la Force.
Qui-Gon avait alors baissé les yeux, réalisant que Yoda avait été présent auprès ses élèves aussi bien pour la cérémonie d’adoubement que pour leurs funérailles.
-Est-ce que cela rend la tâche plus facile ? avait murmuré le jeune homme.
Yoda ferma les yeux, recherchant la paix dans le flux de la Force.
-Apprendre est ce que je voulais faire. Dépasser la douleur ainsi j’ai appris. Mais facile cela serait ? Il croisa ses petites mains sur sa poitrine.
Il baissa lentement la tête.
Il avait répété cette même phrase à son élève lors de leur entretien.
Il se revoyait à nouveau à ce moment précis de leur conversation, sur ce même promontoire.
Agenouillé sur le balcon, Qui-Gon n’avait pas bougé.
Yoda se secoua légèrement en grognant. Il allait bientôt rejoindre les autres membres du Conseil pour se rendre, comme il l’avait fait tant de fois à la cérémonie de funérailles d’un de ses élèves. Une fois encore. Une fois de plus. Une fois de trop. Le poids sur ses épaules était lourd, si lourd. Le tribut payé à la Force était si douloureux. Tournant les talons et s’appuyant lourdement sur sa canne, le vieux Sage entra dans la pièce sombre, une larme unique roulant sur son visage.