Tu étais l'Elu, Anakin. Tu devais ramener l'équilibre à la Force et combattre les Sith, pas t'allier avec eux.
Tu étais mon frère, mon ami. Je t'aimais.
A chaque fois que les soleils jumeaux se couchent sur l'étendue de sable claire et surchauffée, il tourne les talons et rentre dans sa masure, la tête basse. Les murs épais et écrasés de soleil sont blancs. A l'intérieur de l'habitation plongée dans la pénombre, la température est fraîche. Le confort est spartiate. Juste le minimum pour vivre. Il n'a pas besoin de plus d'ailleurs.
Tout ce qu'il avait, tout ce qui le faisait vivre a disparu dans un immense torrent de lave. Même les paroles réconfortantes des rares amis qui ont survécu à ce drame ne peuvent apaiser sa douleur.
Pourquoi ? Qu'a t-il fait ou ne pas fait pour vivre une telle tourmente ? Comment en était-il arrivé là ?
Il était si confiant pourtant. Il avait mis tellement d'espoir en lui. Et pourtant, il l'avait vu entrer dans sa vie d'un mauvais œil. Il avait retenu sa colère quand il avait vu la place que ce gamin prenait dans le cœur de celui qui lui avait tout appris. Il avait vu son mentor, d'ordinaire si inaccessible, aller vers cet enfant comme il n'était peut-être jamais allé vers lui.
Oh non. Il était allé vers lui mais il ne l'avait pas vu. Il était resté sur la déception de voir cet enfant prendre sa place. Sa place ? Non. La place qu'il devait avoir surs la longue route de la connaissance de la Force.
Il en avait voulu à son maître. Il l'avait foudroyé du regard pendant que ce dernier posait ses larges mains sur les épaules de l'enfant et demandait l'autorisation de lui donner, ce que lui avait déjà reçu. Il l'avait compris peu après. Il l'avait compris quand cet homme qui lui avait tout appris était mort dans ses bras. Il avait compris la grandeur de la tâche qu'il avait accomplie et la confiance qui était mise en lui. Il allait donner à son tour et guider un enfant sur la voie de la Force.
Il le ferait mais quelque part, il le refusait. Il ne se sentait pas prêt. Il avait tant à découvrir encore, tant à partager, tant à recevoir. Il doutait de lui et pourtant il avait accepté la requête de son maître mourant.
Et petit à petit, cet enfant qu'il rejetait était entré dans sa vie. Il a pris une place immense. En voyant la place qu'il prenait, il s'est rendu compte de celle qu'il avait dans le cœur de son maître. Il a ressenti au plus profond de lui la grandeur du lien qui unit le maître à son padawan.
Mais la tâche n'avait pas été facile. Le gamin grandissait. Il était vif, curieux, comme il l'était déjà dans son village écrasé de soleil. Il était la joie de vivre. Il amenait de la gaieté sous les hautes voûtes de ce Temple séculaire. Mais il allait trop vite. Il voulait brûler les étapes. Il était tellement doué que lui, trop prudent peut-être, trop peu ouvert, avait du mal à le suivre. Il le freinait même. Il tempérait ses ardeurs et rabaissait l'arrogance insolente du jeune homme que ce gamin était devenu. Il le faisait sans complaisance. Il n'hésitait pas à lui rappeler où était sa place.
Il l'avait peut-être trop enfermé au lieu de le laisser vivre et s'extérioriser. Mais il était ainsi. Il se retranchait derrière les paroles rassurantes des dogmes, il n'osait pas aller de l'avant ou le faisait avec d'infinies précautions.
Il sentait bien que son élève lui échappait. Même si, selon la prophétie, cet élève était l'Elu qui devait ramener l'équilibre au sein de la Force, il devait l'écouter. Il ne devait pas tenter de s'échapper comme il le faisait régulièrement. Il ne devait pas… Et lui ? Avait-il fait son devoir ?
Il en doutait maintenant. Il ne l'avait pas fait.
Il en avait eu confirmation quand il avait vu les corps des enfants massacrés allongés sur les dalles du Temple. Il avait senti son cœur se déchirer quand il avait vu une silhouette qu'il connaissait si bien s'agenouiller, tête baissée devant une autre au visage caché sous une large capuche. Peu avant, il l'avait vu lever son sabre sur ses amis, sur ses frères. Il ne voulait pas l'admettre et pourtant.
L'horrible vérité était là. Celui en qui il avait mis tous ses espoirs, tous ceux de ses pairs était devenu l'instrument du mal.
Il avait failli à sa tâche. Il le lui avait lancé, les larmes aux yeux, à l'issue de ce combat terrible où il l'avait laissé agonisant sur le bord d'un torrent de lave. Il admettait qu'il avait failli à sa tâche. Lui, le maître avait du affronter son élève en duel. Non pas un duel d'entraînement comme il aimait les livrer avec lui et dont le jeune homme sortait souvent vainqueur. Une lutte à mort où il avait senti la force de la main de son élève lui serrer la gorge. Il avait vu la lueur incandescente de sa lame bleue à quelques millimètres de ses yeux et il avait compris que tout était perdu.
Il savait qu'il n'en resterait qu'un et il savait que cela devait être lui. Il était le dernier rempart face au chaos et à la destruction.
Alors il avait mis toutes ses forces dans la bataille. Il n'y avait pas d'autre choix, pas de seconde chance. Un revers de sabre sur son apprenti qu'il ne reconnaissait plus. Puis un autre et encore un autre jusqu'à le laisser démembré sur la croûte surchauffée de la planète volcanique. Il l'avait regardé, les larmes aux yeux. Il espérait encore le retrouver derrière ce visage crispé. Il avait vu la haine dans ses yeux jaunes injectés de sang.
Il savait qu'il avait perdu son ami, son frère. Il le lui avait hurlé.
-Tu étais l'Elu, Anakin. Tu devais ramener l'équilibre à la Force et non la faire sombrer dans l'obscurité. Tu étais comme un frère pour moi. Je t'aimais.
Les larmes brouillaient ses yeux. Son cœur n'était plus qu'une boule de feu prête à éclater. Il s'était figé pendant que son ancien apprenti éructait ces mots terribles :
- Je te hais. JE TE HAIS.
Il l'avait vu glisser lentement vers le bouillonnement en contrebas. Il avait vu ses vêtements s'embraser. Il avait entendu ce hurlement terrible. Il avait reculé face à ce cri qui n'avait plus rien d'humain. Il avait hésité. Allait il le tuer ? Il ne savait pas. Il ne savait plus. Il voulait mettre fin à ses souffrances mais il ne pouvait se résoudre à tuer celui qu'il avait aimé comme un frère. Il ne pouvait pas lever son sabre sur lui.
Alors il s'était baissé, avait ramassé le sabre de son élève et avait lentement tourné les talons.
Obi-Wan Kenobi savait qu'il allait porter longtemps le poids de cette faute sur les épaules. C'était sa faute. Il n'avait pas su. Il n'avait pas vu. Il n'avait pas voulu. Il n'avait pas…
Il aurait voulu mourir si cela avait pu inverser le cours des choses. Il aurait tout donné pour ne pas voir cette abomination. Il avait perdu tout espoir. Il ne comprenait pas. Face aux rares survivants, il avait tu sa profonde douleur et il avait longuement pleuré, seul dans un endroit retiré de ce vaisseau qui l'emmenait vers son exil.
Maintenant, il était seul. Non il ne l'était pas. Il avait pris un engagement au moment où tout s'écroulait autour de lui. Il allait veiller sur un enfant, cet enfant qui était l'espoir d'un Ordre qui n'était pas mort. Il allait veiller sur lui, de loin, veiller sur celui qui était le fils de l'homme envers qui il se sentait si coupable. Tout espoir n'était pas perdu, n'en déplaise à ceux qui avaient pris le contrôle de la Galaxie. Il allait attendre. Il attendrait le temps qu'il faudrait pour voir cet enfant venir à lui et suivre, sous sa tutelle, le chemin qu'il avait lui même suivi. Il allait le mener avec bienveillance comme il avait été conduit, lui, sur les voies de la Force.
Il avait enfin compris ses errances, ses erreurs. Il avait enfin compris qu'on ne façonne pas un homme comme on le fait d'un bloc d'argile. Il avait enfin compris qu'il devait guider les pas d'un autre et non marcher à sa place.
Il avait enfin compris le sens du mot immortalité tel qu'il lui était enseigné depuis peu par son maitre vivant dans l'immensité de la Force. Il avait enfin compris que c'était en donnant qu'il allait atteindre cet état, non pour lui mais pour les autres, comme son maitre l'avait toujours fait. Comme il le ferait lui même une fois qu'il aurait quitté, en apparence, cet exil.
Il avait enfin compris que qu'était le sens profond insufflé par la Force. Il avait enfin refermé le cercle brisé des années auparavant pour redevenir un maillon fort de cet Ordre qui ne mourrait pas.
Assis devant le coffre qui abritait le sabre laser de son élève tué par Dark Vador, Obi-Wan attendait. Il savait que le renouveau de l'Ordre était en marche. Il savait qu'un jour, il remettrait à un autre, le symbole d'une époque révolue. Il savait que celui à qui il le remettrait allait poursuivre l'œuvre entreprise depuis des millénaires par d'autres avant lui.
La patience était une des vertus d'un Jedi. Plus que jamais, Obi-Wan Kenobi comprenait son sens.