Je sentis qu’on me tirait brusquement en arrière. Je reculais malgré mes efforts pour me dégager. Lusiana m’avait attrapée par le bras. Elle ne parlait pas mais je savais qu’elle avait réussi à emprisonner mon esprit. Je me vis, une fraction de seconde, plonger en avant et l’entraîner avec moi puis, je vis avec horreur l’océan qui m’attendait disparaître dans un immense éclat argenté. Je lâchais prise et reculais en arrière. Je voulais me débattre alors que je tombais. De quel droit m’empêchait-elle de rejoindre celui que j’aimais ?
Au fond de moi, au sein de ce torrent fou de douleur qu’était devenu mon cœur, je sentais l’esprit de mon amie qui tentait de me raisonner. Je ressentais sa peur mêle à la mienne, sa peur qu’elle me cachait. Je ne pouvais me laisser aller à la colère que je sentais monter en moi, cette colère contre moi-même, contre ma propre lâcheté, cette colère que je risquais de retourner contre elle; bien que je ne le veuille pas. Elle était d’une rare force et je me débattais à nouveau. Pourquoi me retenait-elle ? Elle n’avait pas le droit de décider de ma vie à ma place. Je devais rejoindre Qui-Gon. Je voyais ses yeux en filigrane dans chaque recoin du complexe. Il me semblait entendre sa voix douce qui m’appelait. Il me semblait voir ses mains se tendre vers moi.
Lusiana avait réussi à me faire légèrement reculer et m’avait serré contre elle.
-Laisse-moi ! me mis-je à hurler. Laisse-moi ! Va-t’en ! Laisse moi le rejoindre.
Nous étions tombées toutes les deux en arrière. Je me débattais de plus en plus faiblement. Elle était physiquement plus forte que moi. Mon corps, affaibli par ma grossesse récente et ravagé par la douleur ne résistait pas. Surtout, bien que je voulus me dégager avec violence, je ne voulais pas la blesser. Un sursaut de lucidité dans mon esprit meurtri par la perte de mon seul amour ! Je ne savais plus où j’en étais. Je voulais me laisser aller à la colère mais je ne voulais pas lutter contre Lusiana. Je voulais la repousser mais je n’avais plus de forces. Nous avions chuté l’une sur l’autre. Je ressentais la colère sourde qui revenait en moi. Je recommençais à me débattre. Je n’avais qu’un seul but. La repousser loin de moi et atteindre le trou non loin de moi, ce trou qui était le symbole de ma délivrance.
Je me mis à hurler comme une hystérique.
-Nooon ! Laisse-moi ! Laisse moi partir avec lui !
-Non. Kiara ! Qui-Gon est mort ! Tu dois vivre ! Ne me résiste pas ! Laisse moi t’aider. Kiara, reste avec moi. Qui-Gon voulait que tu vives ? Tu n’es pas prête à le rejoindre, pas encore. Il est mort !
-Non. Il était là, étendu au bord du gouffre. Et Obi-Wan était avec lui aussi. Mais c’est moi qui devrais être morte ici, pas lui.
Je continuais à me débattre. D'un coup, je fus tentée d’utiliser la Force contre elle. J’avais commencé à apprendre certaines techniques de défense avec mon Maître et il était assez satisfait de mes performances. Je savais que j’étais maintenant capable de me défendre mais je savais que Lusiana avait une maîtrise autre que la mienne. A un moment, je parvins presque à me libérer de son étreinte. Je me vis la jeter loin de moi et me raidis brusquement. Je hurlais, en pleurant comme une folle.
-Laisse-moi, Lusiana ! Je n’ai pas le droit de vivre ! Je n’ai pas le droit. C’est ma faute s’il est mort. C’est moi que Maul voulait: Et c’est Qui-Gon qui est mort ! Tu comprends ? Il est mort à cause de moi ! Il est mort pour moi et moi je suis là ! Si j’avais été là, rien ne lui serait arrivé ! Alors laisse moi le retrouver ! Laisse-moi. Je ne peux pas l’oublier. Je ne le veux pas. Tout est si réel. Jamais je ne pourrai. Je n’aurais jamais du lui survivre. Laisse moi le rejoindre, laisse-moi ! Il m’attend.
Lusiana me serra brusquement les épaules. Elle s’était légèrement écartée de moi. Je sentais qu’elle se mettait en colère. Je sentis la brûlure d’une violente gifle sur ma joue pendant qu’elle criait.
-Cela suffit maintenant ! Calme-toi ! Comment oses-tu ? Comment oses tu prétendre qu’il veut que tu le rejoignes dans la mort ? Et tu prétends l’aimer ? Elle me regardait durement alors que les larmes coulaient sur mes joues. Tu devrais avoir honte ! Jamais Qui-Gon n’aurait supporté cela de ta part. Tu insultes sa mémoire ! Il aurait donné sa vie plutôt que de te voir souffrir une minute de plus ! Alors ne me refais jamais une chose pareille !
Je relevais brusquement la tête et lui dis d’une voix cinglante.
-Qu’est ce que tu en sais, toi ? Cela fait 26 ans que vous n’êtes plus ensemble ! Parce que tu l’as abandonné !
Je la sentis se raidir sous ma remarque blessante. Mais je ne réalisais plus ce que je disais. Une nouvelle gifle s’abattit sur ma joue déjà rougie de la première.
-Tu me reparles une seule fois de cette manière et je te jure sur ce que j’ai de plus cher que tu regretteras de ne pas être restée chez les Sith !
Sa voix était glaciale. Elle m’avait fait cette remarque cinglante entre ses dents serrées. D’un bond, elle se redressa et me plaqua brutalement en arrière, contre la paroi d’acier du complexe. J’avais détourné la tête pour éviter son regard des plus froids posés sur moi. Son ton était menaçant.
-Tu n’es qu’une lâche. Qui-Gon a risqué sa vie plusieurs fois pour te sauver ! Et toi ! Toi tu ne trouves rien d’autre à faire que de vouloir te jeter là-dedans ! Qu’est ce qui te prend ?
Je m’étais mise à trembler. Les larmes coulaient à nouveau sur mes joues pendant qu’elle continuait. Tu prétends l’aimer ? Alors vis ! Vis la vie qu’il voulait avoir avec toi ! Vis pour lui ! Vis pour tout ce qu’il t’a donné. Tu as pensé à vos enfants ?
Les petits visages de Liu et de Maï passèrent en flash devant mes yeux douloureux.
-Mes enfants seront pris en charge par le Temple. Ils deviendront des Jedi tous les deux. Je n’ai aucun souci à me faire pour eux. C’est moi que Darth Maul voulait. Qui-Gon a payé pour moi ! Je n’ai pas le droit de lui survivre.
Je me raidissais pendant qu’elle poursuivit.
-Mais pour qui te prends-tu ? Maul avait d’autre chose à faire que de s’occuper de ta petite personne. Il n’en avait rien à faire de toi. Il avait certainement un autre but que de pourchasser une pauvre fille qu’il a culbutée à volonté. Il y en a plein la galaxie de filles comme toi, lâches et égoïstes qui ne voient que leur petite personne et qui s’apitoient sur leur sort au lieu de voir les souffrances bien pires des autres autour d’elles. Tu as perdu ton mari ? Et après ! C’est arrivé à d’autres. Mais dis-toi qu’il t’aimait. Il ne t’a pas abandonnée !
Je vis que ses yeux étaient brillants de larmes contenues. Elle continua d’une voix plus forte.
-On ne t’a pas forcée à te séparer de lui ? On ne t’a pas obligée à confier tes enfants à des inconnus en t’interdisant de leur révéler qui étaient leurs parents ?
J’avais légèrement baissé la tête et sentais à nouveau les larmes couler sur mes joues. Elle me secoua fortement.
-Alors arrête de geindre. Tu n’es pas la plus malheureuse dans cet univers.
Elle s’arrêta et me regarda longuement. Je voyais son visage à travers mes larmes. Elle avait la tête légèrement baissée. Elle me regarda à nouveau et poursuivit.
-Qui-Gon est mort en Jedi, avec honneur. Honneur ! Tu comprends ce que cela veut dire ? Je sais que tu n’en as rien à faire. Mais toi, ce que tu t’apprêtais à faire, c’est de la lâcheté. Tu refuses de vivre par ce que tu es lâche. Tu ne mérites pas l’amour et l’estime qu’il te portait.
Sa voix tremblait. Je me redressais brusquement et la foudroyais du regard.
-Tu ne sais rien de ce que j’ai enduré chez les Sith !
-Et puis après ! On s’en fout de ton passé ! Il est loin maintenant ! Il est derrière toi. Pourtant on dirait que tu t’y complais. Mais regarde un peu autour de toi ! Si tu savais ce qu’il a souffert de ne jamais avoir pu être le père d’Obi-Wan ! Si tu savais ce qu’il était prêt à sacrifier pour être un père pour vos enfants ! Et toi ? Toi ? Tu lui fais honte. Tu portes son nom et te le bafoues ! Elle inspira et continua, sa voix tremblant de colère. Tu n’es qu’une égoïste. Tu ne vois que ta souffrance, tu ne vois que ta petite personne ! Tu as pensé à la souffrance de tes enfants de vivre sans leur mère ? Tu as vu les enfants du Temple ? Tu sais ce qu’ils souffrent de ne rien savoir ou presque de leurs origines ? Et toi tu veux priver les tiens de leur mère ? C’est une honte ! Tu es infâme !
Elle tremblait violemment. Je voyais les larmes dans ses yeux. Je secouais la tête en pleurant. Je m’étais tournée vers le puits puis à nouveau vers Lusiana, la défiant du regard. Ma voix était cinglante. Je serrais les poings.
-Et les priver de leur père par ma faute ? Tu trouves que c’est une bonne chose pour eux ? Il vaut mieux que je le rejoigne. Ma place est auprès de lui.
Elle me secoua violemment. Elle se retenait certainement de ne pas me gifler une nouvelle fois. Son visage était blanc de colère.
-Et c’est là-dedans que tu penses le retrouver ? D’accord. Vas-y ! Jette-toi dans le puits, puisque c’est ce que tu veux. Mais moi je saurai dire à tes enfants ce que leur père était, et aussi qui était leur mère ! C’est eux qui te jugeront, pas moi. »
Brusquement, elle m’attrapa par les épaules et me poussa au bord du gouffre. Elle me força à regarder vers le fond.
-Alors ! Vas-y ! Saute ! C’est Maul qu’il y a là-dedans ! Il n’y a que lui ! Il est dissout en particules, et les tiennes vont aller s’unir aux siennes ! Comme ça il aura gagné ! Il aura tué Qui-Gon, et il t’aura toi, auprès de lui, pour torturer ton âme pour l’éternité ! C’est ce que tu veux ? Alors va le rejoindre ! C’est tout ce que tu mérites à dire de pareilles idioties !
Je sursautais violemment et résistais à la pression de ses mains. Dans le puits, je voyais les yeux jaunes du Sith. Ils me fixaient.
« Kiara, viens, je t’attends ! Enfin ce moment est arrivé ! Enfin je vais avoir ma revanche ! J’ai tué celui que tu aimes. Il ne me manque plus que toi ! Viens ! »
-Noooon ! Surtout pas ! Pas lui ! Je ne veux pas ! Je me mis à hurler comme une hystérique en éclatant à nouveau en sanglots. Je ne veux pas ! Nooon ! Pas ça !
Lusiana me secoua à nouveau. Elle criait.
-Non ? Alors arrête ! Tu commences à m’énerver sérieusement !
-Pas lui ! Il m’a détruite ! Il m’a tout volé. Il m’a arraché celui que j’aimais !
Je hoquetais de manière convulsive. Une terreur sans nom s’était emparée de moi. J’avais envie de fuir. Lusiana me regarda avec une expression plus douce dans les yeux. Sa voix était moins virulente.
-Non, il ne t’a pas tout volé. Il ne t’a pas tout pris. Il t’a rendue plus forte. Apres ce qu’il t’a fait subir, tu peux tout affronter. Tu peux être fière de ce que tu es devenue. Tu as su toucher le cœur d’un homme merveilleux, tu as su t’en faire aimer. Tu as deux enfants qui sont toi et lui à la fois. Alors continue de te battre. Tu es presque au bout du chemin de souffrance. Bientôt, tu seras en paix. Ce serait idiot d’abandonner maintenant. Qui-Gon n’est pas mort à cause de toi ! Il est mort parce qu’il était Jedi, et qu’il a fait son devoir. Il est mort, parce que son destin était de lutter contre le mal, c’était en lui, comme en Mace, comme en toi et moi.
Je m’étais avancée lentement au bord du trou pendant qu’elle parlait. Je regardais au fond. Les yeux jaunes du Sith étaient toujours là mais ils me semblaient moins provocateurs.
-Si tu aimes Qui-Gon aussi fort que je le crois, tu ne peux déshonorer ainsi sa mémoire.
Je levais des yeux pleins de larmes vers mon amie debout près de moi.
-Je ne… je ne veux pas déshonorer sa mémoire. Au contraire… je ne vis que pour l’honorer.
Je balbutiais. Mes mots étaient entrecoupés de sanglots.
-Je le sais. Mais il faut te reprendre. Il faut maintenant devenir la femme qu’il voulait que tu sois, la femme noble, courageuse et généreuse qu’il avait su voir en toi, derrière ta carapace de souffrance. Conduis-toi en Jedi et en épouse de Jedi. Nous ne sommes que deux à qui Yoda a accordé une telle confiance qu’il nous laisse vivre notre amour contre l’interdit du Code. Alors montre-toi digne de cette confiance.
Je la regardais, le visage baigné de larmes, incapable d’en dire plus. Elle continua d’une voix tremblante.
-Nous devons affronter notre destin, comme il a affronté le sien.
-C’est trop difficile. Tout remonte à la surface. Je ne veux plus voir ces images, le Sith et sa haine, et Qui-Gon mort au bord de ce trou. Je ne veux plus les voir. Je ne peux plus. Je l’ai vu mort ici même, Lusiana. Je l’ai vu partir !
Je sentais que j’allais défaillir. Ma vue se brouillait par moments.
-Lusiana ! J’ai si mal ! Aide-moi, je t’en prie ! Aide-moi.
-Je serai toujours là pour t’aider Kiara. Je serai toujours là pour toi. Et tu le sais ! Pleure ! Tu en as besoin.
Ses yeux posés sur moi étaient pleins de larmes. Ses lèvres tremblaient. D’un seul coup, je m’effondrais contre elle et elle me serra dans ses bras. Nous restâmes ainsi de longues minutes, à pleurer dans les bras l’une de l’autre. Elle était agenouillée contre moi, me serrait contre elle. Je coulais. Je me sentais comme un enfant. Je la sentais trembler et je savais qu’elle pleurait autant que moi. Je le sentais dans son cœur dans son esprit.
Tout d’un coup, je sentis Lusiana lever la tête et j’entendis un bruit de bottes. Des pas rapides parcouraient le couloir. C’était certainement les gardiens du complexe. Nous nous aperçûmes que les portes laser étaient désactivées.
-Kiara ! dit-elle dans un souffle. Les soldats !
Elle m’essuya doucement le visage de la manche de son manteau. Je levais les yeux vers elle et lui souris. Un pauvre sourire d’une infinie tristesse. Une ébauche même. Je voulais la remercier pour être près de moi, toujours près de moi quand j’avais besoin d’elle, même sans le demander. Les mots ne passaient pas. Je la remerciais du regard. Je vis, dans ses yeux, qu’elle me comprenait.
Lusiana se releva lentement en me soutenant. Je me redressais avec difficultés. Je me sentais lourde, vidée, fatiguée.
Je vis, non loin de nous un groupe de 4 soldats de la garde royale. Je reconnaissais les uniformes mais les visages m’étaient inconnus. Je séchais mes larmes d’un revers de manche.
-Qui êtes vous ? Et que faites-vous ici ? nous demanda le sous-officier d’une voix sèche.
Je vis un des hommes glisser quelques mots à l’oreille du chef du détachement et je sentis, plutôt que je n’entendis, le mot Jedi.
-Je suis Lusiana Windu, maître Jedi. Et voici Kiara Jinn, qui m’accompagne.
-Jinn ? Oh ! … Je vois.
Les hommes se regardèrent et posèrent à nouveau leurs yeux sur nous. Tout le monde savait ci dans quelles circonstances, Qui-Gon était mort et comment, grâce à l’aide des Jedi, la reine Amidala avait pu venir à bout des Némoïdiens. Je vis l’un des hommes nous fixer ouvertement avec beaucoup de gentillesse en hochant la tête. Lusiana poursuivit.
-Nous étions venues sur les lieux du duel entre Maître Jinn, Maître Kenobi et le Seigneur Sith qui s’en est pris à la Reine Amidala l’an passé.
Le chef du peloton hocha la tête.
-Oui… Ce fut terrible, et sans Maître Jinn… Le duel… Je comprends. Un fameux combat en vérité. Un sacré gaillard que ce Maître Jinn ! Vraiment ! Un as ! Mais l’autre… enfin, vous savez ce qu’il s’est passé. Vous avez du voir l’enregistrement vidéo.
Au mot vidéo, je relevais brusquement la tête et fixais l’officier.
-L’enregistrement vidéo ? Quel enregistrement vidéo ?
La voix de Lusiana trahissait sa surprise.
-Nous pouvons le voir ? lui demandais-je.
-Bah oui ! répondit l’homme.
Je sentis la main de Lusiana se poser sur mon bras.
-Kiara, je doute que ce soit une bonne idée que tu vois ces images.
-C’est comme vous voulez, Maître Jedi.
Je regardais mon amie avec des yeux implorants.
-Lusiana ! Je veux les voir et en finir une bonne fois pour toutes.
Elle secoua légèrement la tête pendant que le soldat qui nous regardait l’une et l’autre nous apostrophait.
-Bon ! C’est d’accord ? Suivez-moi. C’est par ici. De toute manière, vous ne pouvez pas rester ici. C’est dangereux. Ce n’est pas pour rien qu’on a mis ces portes laser.
J’attrapais le bras de Lusiana.
-Il faut que je les voie Lusiana. Il le faut. Je veux voir Qui-Gon vivant. Je n’ai que l’image de son… corps allongé au bord du trou. Il le faut. Je t’en prie insistais-je.
-Non. Pas après ce que tu viens de vivre.
Je la regardais, les larmes coulant à nouveau sur mes joues.
-Toutes les nuits, je le vois mort, ses yeux fermés. Lusie, il le faut, s’il te plait. Il faut que je chasse l’image de mort de ma tête. Je veux le voir vivant ! Lusiana, il le faut.
Elle me fit non de la tête en me regardant avec beaucoup de gentillesse.
-Kiara ! Tout ce que tu verras, c’est Qui-Gon et Obi-Wan se battre contre Maul, et aussi… Maul enf… Maul tuer Qui-Gon. Je ne veux pas que tu vois ça. Cela ne sert à rien d’autre qu’à te torturer d’avantage. Garde tes souvenirs intacts. Si tu vois ces images, tu le verras sans cesse en train de se faire tuer.
Je secouais négativement la tête.
-Non…. Cela ira, je….
-Bon, alors ? Ces images ! Vous voulez les voir ou pas ? » demanda le garde d’un air un peu agacé.
-Oui.
Je n’avais pas laissé à Lusiana le temps de répondre. Normalement, j’étais padawan Jedi et accompagnée d’un Maître Jedi, même si ce maître était mon amie, je ne devais pas intervenir. Je n’aurais jamais dû m’adresser aux soldats. Je sentis la réprobation dans l’esprit de Lusiana. Mais elle ne me dit rien. De toute façon, j’étais dans un état tel que j’étais incapable de discernement. J'étais incapable de réfléchir, d’avoir un semblant de logique dans mon raisonnement. Je ne vivais, actuellement, qu’au ressenti pur, au moment présent dans son intensité douloureuse. J’allais voir Qui-Gon vivre. J’allais à nouveau imprimer son visage, son regard, sa voix dans mon esprit, dans mon cœur. Pendant quelques minutes, au moins, j’allais de nouveau le voir, le ressentir. Il allait revenir pour moi. Je ne pensais pas une seule seconde que ces images puissent être insupportables à mes yeux. Je ne pensais pas que je pouvais craquer une nouvelle fois après les chocs immenses que je venais de subir.
Lusiana, elle, en était parfaitement consciente. Je sentais qu’elle me mettait en garde par l’esprit. Je sentais sa bienveillance. Mais je n’en avais que faire. Rien ne pouvait, à cet instant précis, me détourner de ce que j’avais en tête. Il fallait que je voie ces images, aussi difficiles fussent t-elles à supporter. Il le fallait absolument.
Je vis les gardes se retourner et se diriger lentement vers le fond de la salle. Nous les suivîmes. L’un des hommes nous montra de la tête un petit bureau et nous nous arrêtâmes devant sa porte. Subitement, je passais devant le garde et Lusiana et entrais en trombe. La porte se referma derrière moi et je verrouillais la sécurité.
Devant moi, des écrans holographiques dans une petite salle qui ressemblait à un poste de sécurité. Je m’installais à la première console et le jeune homme qui était assis devant un écran se leva, d’un air étonné, et me salua. Je répondis brièvement à son salut.
-Kiara ! Je t’en prie ! Ecoute-moi !
J’entendais Lusiana frapper à la porte. Mais je n’ouvrirai pas. Je devais voir ces images. C’était impératif. Je n’écoutais pas et m’adressais au jeune soldat.
-Je suis Kiara Jinn et je suis Jedi. Je souhaiterais visionner les images du duel qui a eu lieu ici, lors de la libération de Theed fis-je au jeune homme.
Il hocha la tête, pianota sur sa console et lança une séquence vidéo pendant que Lusiana entrait dans la pièce. Elle avait du utiliser la Force pour ouvrir la porte. Je sentais qu’elle était en colère après moi mais ne bougeais pas. Je fixais l’image.
-Kiara, il…
Mais déjà l’enregistrement commençait. Rien n’aurait pu m’empêcher de regarder. Lusiana s’installa près de moi avec un léger soupir. Je m’étais légèrement penchée en avant, les yeux fixés sur l’écran. Le soldat était assis près de moi. Je commençais à trembler. Lusiana avait posé sa main sur mon bras, pour m’insuffler un peu de force. Elle ne bougeait pas non plus, les yeux rivés sur l’écran devant elle.
Nous vîmes les trois combattants s’engager ensemble dans le complexe énergétique, Darth Maul reculant devant Qui-Gon et Obi-Wan qui avançaient sur lui en combattant furieusement. J’eus un coup au cœur en voyant Qui-Gon vivant, son sabre à la main, l’abattant sur la lame rouge du Sith pendant que ce dernier avait déséquilibré Obi-Wan d’un violent coup de pied au thorax. Mon cœur battait follement dans ma poitrine. J’avais les mains moites. Je tremblais. Lusiana s’était rapprochée de moi. Nous étions silencieuses. Le soldat jetait de temps en temps un œil sur l’écran et retournait à sa tâche.
Le combat continuait à une cadence infernale. Nous suivions, Lusiana et moi, les assauts furieux des trois hommes. Le Sith avait entraîné les deux hommes sur un étroit surplomb, une sorte de plate forme d’inspection. Il s’était adossé à une sorte de tableau de commandes. D’un coup, il sauta sur une passerelle en contrebas, bientôt suivi par Qui-Gon et Obi-Wan qui le poursuivirent sur une longue et étroite coursive. Le combat continua avec une violence inouïe et une rapidité peu commune. Les deux Jedi continuaient d’attaquer le Seigneur Sith qui paraît chacun de leurs coups. Il ne leur laissait à aucun moment possibilité de souffler. Nous vîmes avec horreur Obi-Wan chuter de la passerelle sur un coup de pied de Maul alors que Qui-Gon lui décochait un violent coup de coude dans la poitrine. Le Sith tomba en arrière, d'une hauteur vertigineuse.
Qui-Gon était reconnu comme une des meilleures lames de l’Ordre Jedi ! Toute sa science du combat était mobilisée. Il s’était mis à courir à la suite du Sith qui l’entraînait vers le fond du complexe. Lusiana et moi-même étions immobiles, les yeux fixés sur l’écran. Nous apercevions la lame verte de Qui-Gon qui poursuivait le Seigneur Sith pendant qu’Obi-Wan réussissait à remonter sur la passerelle. Qui-Gon et Darth Maul combattaient avec hargne sur l’étroite coursive pendant qu’Obi-Wan se mettait à courir. Le Sith faisait tournoyer son sabre, les empêchant de l'approcher. Il s’engagea dans un couloir sombre éclairé d’une lueur rougeâtre. J’avais les yeux fixés sur les deux points lumineux que faisaient les sabres de Qui-Gon et du Sith.
Je me mis à trembler plus encore et Lusiana me jeta un bref regard. Les images de mon cauchemar prenaient à nouveau forme devant moi. Je fermais un instant les yeux pour les rouvrir et voir que le Sith avait franchi plusieurs portes. Qui-Gon s’était arrêté à un niveau de lui, Obi-Wan était loin derrière.
Je m’étais penchée vers l’écran et commençais à serrer les doigts de Lusiana. Je vis que Qui-Gon s’était agenouillé face au barrage laser. Je voyais aussi Darth Maul arpenter l’espace de l’autre côté de la barrière. Je fixais Qui-Gon qui était en plein champ de la caméra. Il regardait le Sith. Il me sembla voir ce dernier sourire. Une bouffée de haine s’empara de moi quand l’image s’arrêta un instant sur ses traits. La peur remonta en moi. Je ne quittais pas Qui-Gon du regard. Il s’était légèrement redressé. Il avait désamorcé son sabre. Il avait fermé les yeux et méditait. Face à lui, le visage de Darth Maul paraissait encore plus démoniaque dans l’intensité du contraste de ses tatouages, renforcé encore par l’éclairage de l’endroit où il se trouvait. Derrière Qui-Gon, loin derrière, nous apercevions Obi-Wan qui semblait tourner comme un lion en cage. Darth Maul faisait toujours les cent pas, frappait le faisceau de son sabre. Qui-Gon se releva d’un bond quand le dernier faisceau s’évanouit. Il bondit vers son adversaire qui recula près du puits de fusion en le voyant courir. Obi-Wan se rua en avant et fut arrêté par la dernière porte laser qui venait de se refermer.
Je m’étais raidie, dévisageant les deux combattants, observant les sabres laser qui se heurtaient. Je me remis à trembler de façon incoercible. Devant moi, les images de mon cauchemar se superposaient toujours à la scène de combat, avec une précision diabolique. Qui-Gon menait l’offensive. Ses gestes étaient sûrs, précis, puissants. Petit à petit, il repoussait Darth Maul. Le Sith, au prix d’un flip suicidaire avait sauté par-dessus le puits de fusion et atterri sur ses pieds. En un éclair, Qui-Gon avait fait le tour de la corniche et recommençait à le harceler. La caméra s’était arrêtée un instant sur ses traits. Son visage était crispé, perclus de fatigue. Il était très pâle. J’avais mal pour lui. Qui-Gon se trouvait maintenant face à Darth Maul, qui avait repris une nouvelle vigueur et le forçait à reculer. Il se fatiguait. Ses gestes perdaient de leur vigueur. Darth Maul frappait encore et encore et Qui-Gon parvenait tout juste à parer ses coups, à contenir son avance. Puis il reprit légèrement l’avantage sur son adversaire.
Je tremblais de plus en plus. Mes yeux étaient rivés sur le combat terrible qui se déroulait devant nous. Sur les images, le guerrier noir renversait peu à peu la tendance. Puis, d’un seul coup, le Sith fit volte-face. Il pivota vivement sur la droite et baissa sa garde. Qui-Gon, surpris, s’arrêta. Subitement l’autre lui porta un violent coup au menton de la garde de son sabre. Le Seigneur Sith recula légèrement et, en une fraction de seconde, lui plongea sa lame rouge dans le corps. Sonné par l’impact, Qui-Gon recula d’un pas quand le guerrier noir retira, d’un coup sec, son sabre laser de la blessure. Il baissa les bras. Sa tête tomba en avant. Il vacilla. Il glissa lentement. Un genou à terre, il lâcha son sabre qui tomba sur le sol avec un bruit métallique. Puis il s’écroula à terre, sans un mot.
Lusiana et moi-même avions, impuissantes, assisté à la terrible scène. J'étouffais le cri que je sentais monter en moi. J’avais pris sa main, broyais ses doigts. Nous vivions en direct, l’assassinat de Qui-Gon. J’avais terriblement froid, mal, si mal ! J’avais vu la pointe du sabre qui avait transpercé le corps de l’homme que j’aimais.
-NOOOOOON !
Obi-Wan qui hurlait et qui frappait la porte de son sabre laser. Darth Maul, sans même un regard pour le Maître Jedi qu’il avait mortellement touché brandissait son double sabre vers lui comme une menace. J’étais pétrifiée de terreur et de souffrance. J’avais serré la main de Lusiana, lui broyant les doigts. J’étais glacée, comme morte. Je n’avais même plus la force de pleurer. Lusiana avait, elle aussi, sursauté à la blessure de Qui-Gon. Je l’avais senti, tout comme moi, se raidir et se mettre à trembler. J'avais senti sa douleur.
Le dernier faisceau s’évanouit et nous vîmes Obi-Wan, hurlant, fou de douleur, se ruer sur Darth Maul qui s’était mis en garde, face à lui. Le Sith attaqua Obi-Wan aussitôt. Les sabres laser se heurtèrent violemment. Darth Maul réussit à reprendre l’offensive. Obi-Wan l'attaquait sans faiblir, repoussait chacun de ses assauts, il ne se laissait pas déborder. Mais le Sith répondait à toutes ses attaques.
Le duel se poursuivait, de force égale. Mais, à un moment, le guerrier noir fut le plus fort et sa frénésie meurtrière prenait peu à peu le pas sur la détermination du jeune Chevalier. Le Sith contre-attaqua avec assez de violence pour le déstabiliser. Poussant son avantage, il frappa encore et encore, si vite qu'Obi-Wan avait quelquefois du mal à parer ses attaques. Mais il ne lui donnait aucune chance de le déborder, arrivant pratiquement au combat au corps à corps. Puis, brusquement, le Sith le repoussa et tendit la main devant lui. Nous vîmes avec horreur Obi-Wan tomber en arrière dans le gouffre obscur. Darth Maul avança lentement vers le rebord du puits, son sabre à la main. Il poussa du pied, le sabre d'Obi-Wan qui chuta dans le gouffre. Le Sith souriait et frappa violemment le rebord du puits à plusieurs reprises. Peu après, nous vîmes Obi-Wan jaillir hors du gouffre, atterrir derrière le Seigneur noir, qui se retourna et lui fit face, son sabre à la main.
Le Sith se rua sur lui. Obi-Wan l’évita au dernier moment et, dans un flip latéral parfait, attrapa, par le biais de la Force, le sabre laser de Qui-Gon qu’il amorça dans le même mouvement. En retombant, il frappa le Sith dans un mouvement circulaire d’une violence extrême. La lame verte du jeune Jedi coupa Darth Maul en deux. Ce fameux shaï tok dont m’avait parlé mon maitre ! Obi-Wan se retourna, désactiva le sabre laser de son Maître et regarda son ennemi, agonisant, basculer dans le puits.
Lusiana et moi étions muettes de stupeur et de douleur. Les larmes coulaient, des larmes douloureuses et silencieuses. Je ressentais sa peine intense, comme elle ressentait la mienne.
Sur l'écran, Obi-Wan s’était précipité vers Qui-Gon, s’était agenouillé près de lui en posant son sabre laser à côté de sa main ouverte. Il l’avait soulevé doucement par les épaules et le serrait contre lui, en soutenant sa tête de son bras. Il tentait de retenir ses larmes. La main de Qui-Gon se leva lentement vers le visage d’Obi-Wan. Nous vîmes ses lèvres bouger pendant qu’Obi-Wan s’était approché très près de lui. Il sembla lui dire quelque chose. Puis les yeux de Qui-Gon se rivèrent sur son lui puis se fermèrent. Obi-Wan m’avait dit plus tard qu’à ce moment précis, il avait promis à Qui-Gon de former Anakin.
Je me reculais ostensiblement. J’avais fermé les yeux, refusant de voir devant moi l’image de son trépas. J’avais mal, si mal. Je retenais à nouveau le cri que je sentais monter en moi. La pression de la main de Lusiana sur la mienne se fit plus forte. J’inspirais profondément à plusieurs reprises et ouvris les yeux. Je me vis arriver en hurlant de douleur. Obi-Wan avait tenté de m’empêcher d’approcher Qui-Gon mais je m’étais violemment débattue en le repoussant et j’étais tombée sur le sol. Je me vis me relever et m’agenouiller près de lui, soulever délicatement sa tête de mon bras.
Lusiana se raidit et me regarda furtivement. Elle tremblait. Je ne pouvais parler. Les battements désordonnés de mon cœur me faisaient mal. En moi, j’entendais les mots que j’avais prononcés alors, des mots dérisoires, des mots qui arrivaient trop tard.
« Je suis là mon amour, je ne te laisserai pas, accroche-toi. Reste avec moi, avec nous, ne m’abandonne pas, je t’en prie. Je ne te laisserai pas t’en aller. Je t’aime tant »
Ces mots, je les redis à mi-voix, en fixant sur l’écran le visage de Qui-Gon qui venait d’expirer. Je me voyais l’embrasser encore et encore, tentant de lui redonner un souffle de vie. J’avais mal, si mal, mal à en mourir. Je n’avais pas lâché la main de Lusiana. Elle serrait mes doigts avec force. Nous étions l'une et l'autre unie dans la douleur par nos mains jointes. Tout s’était déroulé comme je l’avais vu dans mon cauchemar. Les larmes coulaient sans discontinuer sur mes joues. Malgré moi, je me forçais à voir les images insoutenables de l’assassinat de l’homme que j’aimais le plus au monde. Je tremblais de tous mes membres. Puis je vis Obi-Wan réussir à m’arracher à Qui-Gon et à m’entraîner avec lui. Je m’étais effondrée contre lui. Il me soutenait pour que je marche. L’enregistrement continua encore pendant une minute puis l’écran redevint noir.