" _Bon et bien voilà une mission qui ne s’est pas trop mal passée. " Lançais-je en quittant mon siège du cockpit.
Le vaisseau venait de passer en hyperespace, laissant derrière lui le petit système Naboo. Ma Lahossa en terminait avec les vérifications d’usage. Kiara, dans le carré, commençait à préparer le repas de ses jumeaux.
" _Tu veux que je t’aide à leur donner à manger ? " Lui demandais-je.
" _Merci, Maître, je veux bien.
_Comment te sens-tu ? " Demandais-je encore.
Kiara hésita avant de répondre.
" _Bien… je vais bien. Je suis un peu triste de quitter ma planète. Mais je suis soulagée. Ce monde n’est plus le mien depuis très longtemps. Je ne m’y sens plus chez moi.
_Et… te sens-tu chez toi quelque part, maintenant ?
_Oui… je crois que oui. C’est au Temple. Cela m’a pris du temps pour faire mon deuil. Mais, même si la douleur sera toujours présente, je regarde vers l’avenir maintenant. Je ne suis plus que la veuve de Qui-Gon. Je suis leur mère, et je suis une padawan Jedi, donc un futur chevalier. J’ai des projets d’avenir maintenant. Je n’en avais plus depuis longtemps. " Répondit-elle en tournant la cuillère dans l’assiette pour faire refroidir le mélange de viande hachée et de purée de légumes qu’elle s’apprêtait à donner à Mai Olani. Liu Ken commençait à s’impatienter devant Lusiana pendant qu’elle en faisait autant.
" _Vous comprenez pourquoi le repas est un tour de force avec ces deux-là ? " Me dit Kiara en riant.
" _Oui, je comprends. Mais quel bonheur de pouvoir s’occuper de ses enfants. J’en ai été privée. Et de te voir ainsi pouvoir le faire, ça me fait vraiment plaisir pour toi. Cela montre que l’Ordre Jedi commence à se dépoussiérer un peu.
_Je comprends ce que vous devez ressentir, Lusiana. Vous aussi êtes mère. Et je me demande comment j’aurais réagi si les maîtres du Conseil m’avaient refusé le bonheur de pouvoir m’occuper d’eux.
_Cela a été difficile, je dois l’avouer, mais… pas tant que ça en fait. Je n’ai jamais vraiment eu de modèle maternel sous les yeux depuis que j’ai été amenée au Temple. Mes souvenirs de ma mère sont tellement lointains… On ne m’a jamais appris à être mère. Tout ce qu’on m’a appris c’est à être Jedi. Je ne sais pas comment j’aurais pu m’en sortir avec un nourrisson. Je vis au Temple depuis tellement longtemps que j’ai été en quelque sorte… conditionnée ainsi. On ne nous élève pas pour devenir de parfaites épouses et mères. J’adore mes filles, mais… l’instinct maternel… ce n’est pas ce qui m’a le plus préoccupé. En te voyant avec tes enfants, je me dis que j’aurais du me battre un peu plus pour pouvoir participer d’avantage à leur éducation.
_Vous pensez à votre fils.
_Oui… c’est un peu diffèrent. Obi-Wan… n’est pas reconnu comme étant mon enfant. Pas plus que son père n’avait le droit de revendiquer sa paternité.
_Je crois que je comprends. Pourtant vous l’aimez.
_Oui… oui, bien sur. Je ne peux m’empêcher de le voir différemment des autres Jedi. Mais… c’est compliqué. " Soupirais-je.
Nous nous tûmes. Seul le babillage des enfants qui mangeaient et le bruit des cuillères dans les assiettes venaient troubler leur silence lourd de réflexion.
Qu’était devenu Obi-Wan pour moi depuis le jour où il était sorti de mon ventre ? C’était il y avait maintenant vingt six ans. Il avait grandi proche et loin de moi à la fois.
Il était un de ces garnements qui couraient dans les couloirs du Temple. C’est vrai, quand je l’apercevais au milieu de ses camarades, je le repérais tout de suite, et mes yeux s’attardaient sur lui plus que sur les autres. Obi-Wan… je n’avais même pas choisi son prénom. C’était Maître Undulli qui le lui avait trouvé après qu’elle m’eut assistée dans les douleurs de l’enfantement. Luminara m’avait laissée l’apercevoir. Mais elle n’avait pas voulu que je le prenne dans mes bras.
" _Ton devoir envers cet enfant s’arrête là, Lusiana. Tu lui a donné la vie. Tu l’as porté en toi. Mais personne ne sera sa mère. Un Jedi n’a pas d’attache. Un Jedi n’a pas de famille particulière. Sa famille c’est la galaxie toute entière. Nous sommes les mères de tous les enfants du Temple. "
J’avais alors détourné le regard.
" _Oui… vous avez raison, Maître. J’y songerais… à l’occasion. " Des larmes avaient coulé. " Nous ne sommes pas des mères. Nous sommes tout juste des éducatrices.
_Nous ne sommes pas comme les autres. La Force coule en nous. Et nous devons nous y consacrer. Nous n’avons pas le droit de gâcher ce merveilleux don qui nous est fait. Nous devons le mettre au service de tous. Nous ne devons faire aucune distinction entre les êtres. Nous devons tous les aimer de la même manière. "
Obi-Wan emmailloté avait été déposé dans les bras d’une femme dont je ne vis jamais le visage. J’apprit plus tard qu’elle avait déjà un fils avec son époux, et qu’elle avait accepté d’être la nourrice de mon bébé le temps qu’il soit en âge de rejoindre l’Ordre Jedi. Elle s’appelait Clivza Kenobi.
Trois ans plus tard, alors que je venais de réussir les épreuves, j’aperçut Maître Windu au détour d’un couloir. Il était accompagné d’un jeune garçon blond et joufflu. Instinctivement, je sus qu’il s’agissait d’Obi-Wan. Je ne pus m’empêcher alors de les rattraper, prenant pour prétexte de saluer Mace et de lui présenter l’hommage que j’estimais lui devoir pour toute l’aide et le soutient qu’il m’avait apporté durant mon enfance, ce qui, de mon point de vue, avait beaucoup contribué à mon succès aux épreuves. Mace ne s’y trompa pas. Je le vis au regard qu’il me lança. Mais l’enfant ne s’aperçut de rien. Mace resta très laconique lorsqu’il me présenta à l’enfant comme étant un chevalier tout nouvellement promu, et sur le point de partir en mission, chose que j’ignorais.
Cette mission me tint éloignée pendant plus d’un an. Je soupçonnais Windu d’avoir insisté auprès du Conseil pour que ce fut à moi qu’on la confia. Obi-Wan arrivait au Temple et on m’éloignait. Ce n’était pas très subtile. Et je partis un peu amère. On ne me faisait pas confiance, peut-être avec raison. On ne voulait pas que je sois tentée de croiser le petit plus que ne l’auraient exigé mes devoirs de chevalier. C’était de bonne guerre, si je puis dire.
Et lorsque je revins faire mon rapport final de mission, un autre souci me préoccupait. J’avais alors vingt trois ans. Et Sylcat, ma jeune sœur venait de fêter son onzième anniversaire. Je m’étais promise de devenir son maître. Et je savais que nos liens de sang n’allaient pas manquer d’être un obstacle. Qu’importe ! Sylcat deviendrait ma padawan. Yoda et Luminara me reconnaissaient les capacités à devenir maître Jedi. Mais mon choix leur déplut vivement. Ce n’était pas les capacités de Sylcat à devenir padawan qui étaient en cause. Même Maître Yundha lui reconnaissait le niveau. C’était bien évidement parce qu’elle était ma sœur. C’était moi qui lui avais découvert les aptitudes dans la Force. Et tout le monde savait que nos liens de sœur étaient déterminant dans mon choix. Je m’entêtais. C’était Sylcat ou personne. Et de guerre lasse Yoda et le Conseil avaient fini par céder. J’avais certes en tête d’être le meilleur maître possible pour ma sœur. Mais je voulais surtout leur prouver qu’on pouvait entretenir des liens familiaux tout en remplissant parfaitement notre sacerdoce. Je soutenais que nos liens de sang pouvaient surtout être un atout dans sa formation. A défaut de ne pouvoir être la mère de mon fils, je voulais au moins être la grande sœur de Sylcat. C’était peut-être, même sûrement, une revanche que je voulais prendre sur le Conseil qui m’avait fait me séparer de Qui-Gon et qui m’avait enlevé mon fils.
Entre l’étude de la Force, la formation de Sylcat et les missions, j’avais très peu de temps pour voir Obi-Wan. Et puis, qu’étais-je pour lui ? Un chevalier parmi les autres. Il avait sa vie à lui. J’avais la mienne. Et les mois passaient. Obi-Wan grandissait loin de moi, et pourtant nous habitions le même endroit. Chaque fois que je l’apercevais, de loin en loin, il avait poussé d’une tête. Et chaque fois, c’était ce pincement au cœur, cette douleur lancinante qui ne demandait qu’à se réveiller. Mon fils… le fils dont je n’étais la mère qu’au fond de moi, bravant en secret cette interdiction contre laquelle je n’osais me révolter.
Comment avait-il su que c’était moi qui l’avais mis au monde ? Je n’en sais rien. Il ne me le dit jamais. Toujours est-il que le jour de ses quinze ans, il était padawan de Qui-Gon depuis deux ans, il m’envoya un message. Je m’en souviens encore les mots exacts :
" Maître, en ce jour de mon quinzième anniversaire, je me permets de vous envoyer toutes mes amitiés, témoignage du profond respect que j’éprouve pour la femme qui discrètement a grandement contribué à faire de moi ce que je suis aujourd’hui. Soyez assurée de mon dévouement et de mon affection. Obi-Wan. "
Les mots étaient sous-entendus. Ils n’étaient pas dits. Mais ils étaient pourtant là. Obi-Wan savait qui j’étais au-delà de ma fonction au sein de l’Ordre. Plus tard, bien plus tard, il commença à m’appeler "mère " lorsque nous étions seuls et que les conversations prenaient un tournant privé. La situation s’était alors assise dans cette espèce de motus vivendi assez étrange, qui a défaut de pleinement satisfaire les protagonistes, la leur rendait supportable. Obi-Wan me vouvoyait et m’appelait Maître Lusiana devant toute personne étrangère à notre " cercle familial ". L’usage de mon prénom seul lui évitait d’employer le nom d’épouse auquel je n’avais pas le droit, tout en taisant mon nom de jeune fille, marquant ainsi discrètement le fait qu’il connaissait ma situation. Lorsque nous étions en privé, lorsque l’assistance n’était composée que des membres de notre étrange famille, Obi-Wan se laissait aller à plus de démonstration filiale en m’appelant " mère ". Il considérait Ma-Lahossa et Tai-Lana comme ses petites sœurs, toujours sans le dire ouvertement. Sa relation maître/padawan déguisait facilement les rapports père/fils qu’il entretenait avec Qui-Gon. Et la déférence qu’il affichait vis à vis de Mace donnait parfaitement le change. Tout était su. Mais tout était tu.
Quant à mes filles, cette fois, je ne m’étais pas laissée faire. Et lors de leurs naissances, qui avaient eu lieu au Temple, Mace les avait reconnues. Mais là encore pourtant il était hors de question que j’ai le droit de les prendre auprès de moi et que je m’occupe d’elles. J’avais du les confier à la nurserie. Ensuite, elles avaient intégré les groupes d’enfants de leur âge dans les dortoirs de l’internat. Là où j’avais affirmé ma maternité vis à vis de mes filles, c’est quand je prenais plus de temps de leur rendre visite. Et surtout, je ne leur cachais rien. Dès qu’elles furent en âge de comprendre, je leur expliquais qui j'étais, qui était leur père, et comment fonctionnait notre famille un peu particulière. Je passais autant de temps que possible avec elles. Nous faisions plein de choses ensemble. L’important était d’être ensemble. Certains maîtres et chevaliers ne se privaient pas de récriminer. Mais ils ne le faisaient pas trop fort. Beaucoup de nos détracteurs avaient des membres de leur famille au Temple, cousins, frères, sœurs, neveux ou même également enfants " illégitimes ". Et c'était avec eux qu’ils entretenaient des relations officiellement amicales mais dont chacun connaissaient la véritable nature. Aussi, Mace et moi ne faisions ouvertement que ce que la majorité faisait en catimini. Et rien ne fut caché à nos enfants. Nos filles trouvèrent facilement leur compte dans l’éducation que nous leur donnions conjointement avec leurs maîtres. Et comme leur frère, elles firent alors la distinction entre les moments où elles étaient des élèves et devaient nous considérer comme des maîtres, et les moments où elles pouvaient se laisser aller à plus de démonstrations filiales. Ma-Lahossa étaient ensuite devenue ma padawan, et là le Conseil ne protesta plus.
Les enfants de Kiara couchés, mon amie avait pu se plonger dans les révisions de ses cours. Mace ne manquerait pas non plus de discuter avec elle de la manière dont elle avait pu vivre ce retour sur sa planète natale, ceci d’un point de vue Jedi. Elle commençait donc à se préparer à cet entretien que je savais qu’elle redoutait.
" _Tu devrais aller prendre un peu de repos, Kiara. Tu as le temps pour travailler. Il nous reste encore six jours standards de voyage.
_C’est mon tour d’être de garde auprès des instruments.
_Et bien tu prendras mon quart dans quelques heures. Je vois bien que tu es fatiguée. Et puis, il vaut mieux que tu te reposes avant que les petits ne se réveillent.
_Merci, Lusiana. "
Le vaisseau était calme. Et j'étais seule éveillée. Absorbée dans la rédaction de mon rapport de mission, je sentis alors ce picotement au niveau de la nuque que je ressentais chaque fois qu’un danger s’annonçait. Je me levais et allait dans le cockpit pour contrôler les instruments. Rien. Tout était en ordre. Et pourtant, la sensation que quelque chose de grave allait se produire se faisait de plus en plus pressante.
Je sondais la Force à la recherche d’un indice pouvant m’éclairer sur la nature de ce danger. Il fallait sortir de l’hyperespace au plus vite. Je m’activais alors sur les commandes du vaisseau tout en contactant mentalement ma padawan pour qu’elle me rejoigne.
" _Qu’est ce qu’il se passe ? " Me demanda-t-elle en se jetant dans le fauteuil de copilote.
" _Je ne sais pas encore. Mais il faut nous poser au plus vite et revérifier tous les systèmes.
_Je ne comprends pas. Tout est normal sur les écrans.
_Je sais. Mais crois-moi. Cet engin a un problème.
_Maître, je sais que…
_Je t’en prie, Ma-Lahossa. Fais-moi confiance et aide moi à poser cet engin. Quelle est la planète la plus proche ?
_Où sommes-nous ? " Me demanda ma padawan. Nos doigts couraient sur les commandes. " Système Artonis, à une heure subluminique. Yavin est à cinq heures. Mais… nous sommes à l’opposé de notre route ! Qu’est ce que cela veut dire ?
_Tu vois qu’on a un problème. Nous n’avons pas pu dévier autant sans une panne.
_Pourvu seulement que l’ordinateur nous permette de nous poser où nous voulons.
_Yavin est trop loin. Allons sur Artonis. Va réveiller Kiara. Je crains un atterrissage musclé. "
J’avais réussi à reprendre le contrôle de l’ordinateur de navigation. Mais non sans mal. Il ne reconnaissait plus mes identifiants. Apres avoir calculé le cap de mise en orbite autour de Artonis, j’avais donné une poussée aux moteurs. Le vaisseau filait à vitesse d’inertie. Pendant ce temps, je cherchais d’où pouvait provenir la panne. J’envoyais un rapide message au Temple pour les prévenir de notre position et de nos avaries. Aucun retour de communication ne me parvint. Je ne savais pas si Coruscant avait reçu notre message. Je décidais alors de l’envoyer en continu jusqu’à ce qu’un signal retour nous parvienne.
Kiara arriva dans le cockpit. Artonis était devenue une sphère terreuse aux marbrures grisâtres. En consultant la base de données, j’appris que cette planète était essentiellement recouverte de déserts rocheux pratiquement stériles. Une seule ville l’animait, Danis. Sa population était constituée de mineurs qui travaillaient pour une demi douzaine de compagnie exploitant quelques gisements de fluorine et de vanadinite. Il n’y avait pas ou presque pas d’élevage ni de cultures, sinon en hors sol hydroponique. Il était également fait mention dans la banque de données d’une population indigène qui vivait isolée dans les montagnes, des bergers qui élevaient tant bien que mal des troupeaux d’ovins et de cabris, les nourrissant de quelques lichens, d’herbes maigres et épineuses qui arrivaient à pousser tant bien que mal dans la montagne inhospitalière. On les appelait les Qiaris, du nom de leurs habitations troglodytes, les Qiars.
Je rentrais les coordonnées de Danis dans l’ordinateur de navigation. Mieux valait se poser près de la ville.
Je sentis alors l’angoisse de Kiara monter d’un cran.
" _Rassurez-vous, Kiara. Maman est la meilleure pilote que je connaisse.
_C’est ce qu’il paraît. " Grommela-t-elle.
La descente vers la planète commença. Je fus quelque peu étonnée de n’apercevoir aucun vaisseau ni même aucune trace de trafic aérien. Pourtant, les danisiens devaient importer beaucoup de chose pour leur survie, notamment en denrée alimentaire. Et pourtant, pas un engin ne circulait. Et puis, personne au spatioport ne nous contacta pour les procédures d’approche. Cela m’intriguait vraiment. Je n’aimais pas ça. Je n’aimais pas ça du tout.
Je ne tardais pas à comprendre pourquoi. A peine étions nous entrés dans l’atmosphère que notre vaisseau fut pris dans de violents tourbillons d’air. J’avais bien du mal à garder mon cap. Et plus nous descendions, pire c'était. Bientôt, je naviguais complètement à l’aveuglette. Pris dans la masse nuageuse particulièrement dense, je ne voyais rien à plus d’un mètre devant la verrière du cockpit. Autant dire que je ne voyais rien du tout.
" _Kiara, vas auprès des enfants. L’atterrissage va être mouvementé. "