VI
Je ne parvins pas à dormir la nuit suivante. J’eus toutes les peines du monde à retrouver mon calme. Les pensées les plus insensées s’étaient emparées de mon esprit. Je décidais de me lever pour prendre un peu l’air frais du jardin. Je croisais alors Qui-Gon.
" _Bonjour, Lusie ! " Me lança-t-il joyeux. " Tu as décidé de venir avec moi tout compte fait ? Dépêche-toi de te préparer. Il fait encore nuit dans les Prairies. Nous allons pouvoir y arriver juste avant le lever du soleil. Il paraît que c’est un spectacle magnifique. Je te prépare un encas que tu mangeras en route.
_Maître…
_Allez, dépêche-toi. Je t’attends. "
Il disparut vers la cuisine sans que je puisse lui dire que je ne l’accompagnais pas. Et il avait l’air si heureux que je change d’avis que je n’eus pas le cœur de le détromper. En soupirant, je remontais me préparer. Et moins de dix minutes plus tard, j'étais aux commandes du speeder sur la route des Prairies. Qui-Gon détestait piloter. Aussi, à chaque fois que nous montions dans un engin, j’avais pris l’habitude de prendre les commandes. Ce fut à mon tour de prendre l’air renfrogné et taciturne. Mais je sentais mon maître détendu, le cœur léger, près de moi.
Nous remontâmes la course du soleil afin de le devancer et d’arriver au but de notre excursion avant que les dernières étoiles ne s’éteignent. Un fleuve avait creusé un canyon gigantesque et escarpé au fil des siècles et des millénaires. Je remontais le fil de l’eau entre les falaises de roche orangée marbrée de bleu. Le spectacle était magnifique sous les ombres mourantes de la nuit. Notre engin était minuscule dans ce dédale minéral. Mais nous ne nous sentions pas écrasés par cette immensité. Au fur et à mesure du voyage, je me sentais plus calme et plus sereine dans cette nature sauvage et pure. Je commençais à ressentir une plénitude apaisante.
Une fois le massif montagneux passé, alors qu’il faisait encore sombre, je découvris dans une pénombre illuminée du reflet d’une des lunes, une immense plaine s’étendant à perte de vue sous le velours marine de la nuit qui s’en allait. Les silhouettes d’ombres incertaines des montagnes fantomatiques dessinaient un horizon doux et vallonné. J’arrêtais le speeder. Nous étions arrivés. Je descendis et fis quelques pas dans l’herbe haute. Je pouvais sentir les premiers effluves humides des végétaux qui s’éveillaient aux premiers rayons du soleil. Le ciel commençait à se tinter de pourpre. Une fine ligne d’or marquait la séparation entre la terre et le ciel.
Qui-Gon vint près de moi. Il faisait frais et je resserrais mon manteau autour de moi, les yeux tournés vers le levant. Nous ne disions rien. L’aurore commençait à poindre. Et, tel l’éclat d’une gemme corusca, le premier rayon de soleil fusa sur la plaine. Je sentais l’air frais et doux sur mon visage pendant que mes yeux ne quittaient pas l’astre qui se levait doucement. Le ciel s’était maintenant embrasé de mille feux, du pourpre à l’orangé, de l’or et des paillettes d’argent semant sur la plaine des éclats d’éternité. Je le vais les yeux vers mon maître. Son profil droit et fier regardait le spectacle immortel de la nature qui s’éveillait. Je le vis comme ce qu’il était, un homme et un Jedi. Un Jedi voué au service de la Force, et un homme sur qui il faisait bon se reposer. Mon cœur ne s’emballa pas. Mais je sus à cet instant que quoiqu’il se passe dans ma vie il resterait un model et un mentor dans ma vie de Jedi, mais qu’il resterait aussi mon premier amour de femme, celui qui dure toujours.
Il se tourna doucement vers moi. Et je lus dans ses yeux et son sourire toute la tendresse de l’univers. Combien de fois avais-je rêvé qu’il me regarde ainsi !
" _Le lien qui nous unit ne pourra jamais être brisé, Lusie. "
Je hochais la tête en lui souriant de la même façon. Ma main trouva la sienne. Il y déposa un léger baiser sans rien dire de plus.
Combien de temps sommes nous restés ainsi ? Jusqu’à ce que le soleil fut tout à fait levé. Le ciel avait pris alors sa teinte profonde d’azur. Quelques nuages blancs apparurent derrière les montagnes. Les fleurs commençaient à s’épanouir. Un vol d’aiwha passa au-dessus de nous, lançant quelques cris stridents. Merine m’avait montré ces animaux. Elle m’avait aussi promis que nous irions faire une promenade sur leur dos. Les alderaaniens aimaient leurs aiwha. Ils choyaient leurs écuries presque avec dévotion. Ceux-ci étaient manifestement sauvages.
" _Tu sais ce qu’on dit ici ? Voir un vol d'aiwha sauvages est un signe annonciateur de félicité et de bonheur. Il s’agit d’un bon présage. " Me dit alors mon maître en me les montrant du doigt.
" _L’entreprise du vice-roi va donc être couronnée de succès. " Répondis-je.
" _Le fleuve coule à quelques kilomètres d’ici. Allons voir. Je pense que ce serait un bon endroit pour l’installation de la colonie. "
Reprenant le speeder, nous parcourûmes la plaine pour retrouver le lit du fleuve. Fidèle à mes habitudes et à mes méthodes de travail, j’avais étudié la topographie d’Alderaan avant de partir et pendant le voyage. Mais le tourbillon joyeux, dans lequel m’avait entraînée Merine depuis notre arrivée, m’avait fait un peu oublier mes leçons de géographie. Et puis, découvrir sur un document et voir de ses propres yeux sont deux choses complètement différentes. Je me délectais donc du paysage calme et grandiose de cette immense plaine ceinte des cimes enneigées des montagnes lointaines, pendant que je pilotais l’engin.
Quelques minutes plus tard, la plaine s’était ourlée de vallons aux courbes douces. Le fleuve étirait nonchalamment ses méandres entre les collines à peine rebondies. Des bosquets et des bois avaient fait leur apparition. Qui-Gon me montra deux collines au loin, entre lesquelles le fleuve s’était érodé un passage. Sur l’un des versants de la colline, une forêt d’arbres touffus avait élu domicile, alors que le flan tourné vers le levant et le midi s'apprêtait à grésiller des cricris des cilgareilles. La plaine, en contrebas, pourrait être facilement irriguée et donner de bons rendements à des cultures céréalières et fourragères. Le coteau ensoleillé pourrait, lui, être aménagé en espaliers pour recevoir des vergers et autres cultures maraîchères. C’était l’endroit idéal pour l’installation d’une colonie. Ses habitants pourraient trouver sur place des matériaux de construction et subvenir rapidement à leurs besoins alimentaires. L’endroit était très plaisant, reposant et accueillant, sous ce soleil de début d'été. L'herbe commençait à devenir haute et à se parsemer de myriades de petites corolles de fleur aux couleurs tendres.
Je respirais à plein poumon l'air parfumé de cette immense étendue herbeuse qui contrastait tant avec celui malsain et pollué de Coruscant. Je fis quelques pas dans l'herbe qui se couvrait de rosée. Des insectes s'enfuirent à mon approche. Une nichée de nuna poussa des petits cris stridents en disparaissant dans l'herbe. Je recevais les images, les senteurs et les bruits de cette nature si pure qu'elle en était presque un miracle.
Qui-Gon vint me rejoindre.
" _Que dirais-tu d’une séance d’entraînement ?
_Le cadre s’y prête bien. " Répondis-je. " Un peu d’exercice physique va me dérouiller.
_La vie dorée et trépidante des jeunes alderaaniens t’aurait-elle fait oublier notre vie ?
_Loin de là, Maître. Mais je n’ai pas eu beaucoup l’occasion de me prêter à nos exercices mentaux ni à l’entraînement aux arts du combat.
_Et bien, voyons ce que tu sais encore faire, ma jeune Padawan. " Me répondit-il en enlevant son manteau. " Par quoi veux-tu commencer ?
_C’est vous le professeur. C’est vous qui décidez. "
J’enlevais à mon tour mon manteau qui aurait gêné mes mouvements.
Qui-Gon me salua et nous commençâmes par des exercices de combat rapproché après un rapide échauffement.
Apres le combat à mains nues, mon maître actionna son sabre. Et pendant presque deux heures, nous nous affrontâmes dans des joutes de haute volée. Quand il rompit le duel, ce fut pour installer sur ses épaules un sac à dos, alors qu’il m’en tendait un second. Il s’élança alors au pas de course à travers la plaine. J’étais déjà en sueur, mais je me mis à courir à sa suite. Ses longues foulées vigoureuses m’entraînèrent le long du fleuve, puis à travers bois, grimpant les collines, descendant entre les arbres, se frayant un chemin entre les buissons et les fourrés sans qu’il paraisse essoufflé le moins du monde. Au bout de deux heures de course à ce rythme, je commençais à ressentir de la fatigue. Mais si mes muscles sentaient les premiers signes de courbature, mon esprit, lui, était complètement reposé.
Finalement, il s’arrêta au bord du fleuve, à un endroit où celui ci avait déposé du sable formant une petite plage ombragée. Je le vis alors enlever sa veste de kimono, puis sa camisole de soie blanche pour se retrouver torse nu. Enfin, il se dévêtit complètement, en tenue de bain, et s’élança dans l’eau fraîche. J’avais bien envie de prendre un bain, d’autant plus qu’il commençait à faire très chaud. Et je me sentais affreusement moite de sueur. Mais soudain, l’idée de me mettre en maillot devant Qui-Gon et de partager l’intimité d’une baignade somme toute bien innocente me fit rougir. " Allons ! Calme-toi, Lusie. " Pensais-je. " Ne joue pas les mijaurées. Et cesse cette pudibonderie ridicule. Ce n’est qu’une baignade. " Pourtant, je dus me faire quelque peu violence pour me dévêtir. Ce ne fut qu’une fois dans l’eau que je commençais à me sentir plus à l’aise. Qui-Gon me laissa le rejoindre en quelques mouvements de crawl soutenu et impeccable, afin que nous nagions de concert. J’adorais nager. J’ai toujours aimé les sports nautiques. Je sentais l’eau ruisseler sur mon corps avec délice. La fraîcheur du fleuve calmait le feu de la course et des exercices de combat. C'était un véritable bonheur. Qui-Gon nageait lui aussi très bien. Je voyais son corps musclé se tendre au gré des mouvements. A nouveau, le trouble s’empara de moi. Décidément, mon maître était devenu terriblement séduisant à mes yeux. Mais je me laissais aller aux délectations de la baignade réparatrice. Qui-Gon était d’humeur facétieuse. Aussi, le retour vers le rivage se fit dans un joyeux chahut de potache. Tels deux enfants, nous nous amusions à nous asperger et à tenter de nous faire boire la tasse. Entre éclats de rire et délice de l’eau fraîche, nous avions complètement oublié la vie au Temple Jedi ou notre mission sur Alderaan.
Je sortis de l’eau la première pour aller me sécher au soleil sur un rocher plat qui émergeait. Qui-Gon vint me rejoindre, et s’allongea près de moi, les bras croisés derrière la tête, le visage tourné vers le ciel. Il se mit à rire sans que je compris pourquoi.
" _Regarde ce nuage ! " Me dit-il en pointant le ciel du doigt. " On dirait ce vieux bougon de Maître Piell ! "
Je me mis à rire à mon tour.
" _Et celui-là ? On dirait un rontho !
_Oui ! Tiens, regarde, on dirait ton amie Goldie avec ses lekkus. "
Les nuages blancs passaient au-dessus de nos têtes, décorant le ciel de têtes et de formes plus ou moins reconnaissables, au gré des courants du vent. Nous nous amusions à les reconnaître comme deux enfants. Nous profitions de ces instants de récréation, savourant la caresse de l’air tiède de l'été.
Plus tard, nous nous régalâmes d’un pique nique champêtre, composé de salade et de sandwichs. Qui-Gon évoquait joyeusement ses souvenirs au Temple lorsqu’il était élève de la classe de Yoda, puis comme padawan de Maître Dooku.
" _ Je ne savais pas que vous étiez déjà allé sur Drall, Maître.
_ Mon maître devait rencontrer un notable de Kelnum Rin.
_Kelnum Rin ? Mais, c’est le village où je suis née ! " M’écriais-je.
" _Ah ? Tiens donc ! J’avais dix ans à cette époque. Je venais tout juste d’être choisi comme padawan par Maître Dooku.
_Dix ans ? Je n’étais pas née.
_Non. Tu es née l’année suivante, il me semble.
_ Oui, c’est ça. Mais vous étiez plutôt précoce pour être padawan. Dix ans, c’est tôt.
_Oui, c’est vrai. Mais je ne suis pas une exception. Même si ce n’est pas fréquent, cela arrive tout de même. Mace Windu est devenu padawan à peu près au même âge que moi.
_Ma jeune sœur, Sylcat. Elle est sensible à la Force, elle aussi.
_Oui. Je me souviens. Il serait temps que nous allions la chercher chez tes parents. Elle va avoir quatre ans bientôt. Et c’est toi qui l’a découverte. Ce sera donc à toi de la conduire auprès de son maître quand elle deviendra padawan. Mais ce sera dans quelques années. Tu seras sans doute chevalier, à ce moment là. Peut-être que tu pourras devenir son maître.
_Moi ? Mais je suis sa sœur.
_Et pourquoi pas ?
_Le Conseil refusera certainement. Les maîtres n’aiment pas qu’on entretienne des liens familiaux.
_Ce n’est pas parce qu’ils n’aiment pas que c’est en contradiction avec le Code. Et à partir du moment que ce n’est pas formellement interdit par le Code, rien ne t’empêchera de faire valoir qu’entant que chevalier, tu souhaites enseigner à la jeune Sylcat.
_A condition aussi que les maîtres du Conseil me reconnaissent les capacités à enseigner.
_Je ne m’inquiète pas à ce sujet, Lusie.
_Mais nous n’en sommes pas encore là. Il faut encore que Sylcat passe les tests.
_Que dirais-tu d’aller rendre visite à tes parents en partant d’Alderaan ? Ainsi, tu pourrais les lui faire passer toi-même, sous ma tutelle.
_Vous pensez que j’en ai maintenant les capacités ?
_Bien sur ! Sinon, je ne te le proposerais pas. Mais ne t’inquiète pas, je serais près de toi.
_Je me souviens du jour où Maître Koon et Maître Windu sont venus me chercher. C’est Maître Windu qui m’a fait passer les tests. J’avais un an de moins que ma sœur.
_Ta sœur doit être éprouvée au plus vite. Ceci, afin de lui donner aussi sa chance de mettre ses dons au service de la Force.
_Je sais ? Mais… " je me tus, assaillie par le doute
" _Mais ?
_Non, rien.
_Si. Tu te poses des questions. Je suis là pour t’aider à trouver des réponses.
_C’est tellement compliqué. " Soupirais-je. " Est ce que j’ai le droit d’imposer à ma sœur la vie difficile que nous menons au Temple. Elle est trop jeune pour décider par elle-même.
_Regretterais-tu d’être devenue Padawan ?
_Non, bien sur que non, Maître. Mais d’un autre coté, je ne pense pas avoir vraiment eu le choix. Une fois que j’ai commencé à vivre au Temple, je n’avais d’autre choix que de faire de mon mieux. Mais il faut tout de même reconnaître que c’est loin d’être facile tous les jours. A mon âge, les autres jeunes gens se sont pas soumis aux même contraintes que nous au Temple. Je m’en suis aperçue en venant ici. Et je me demande si Sylcat ne préférerait pas vivre une vie plus ordinaire, plus insouciante.
_Mais as-tu pensé qu’elle pourrait aussi te reprocher de ne pas lui donner l’opportunité de servir la justice et la paix si tu ne vas pas la chercher ? Ne penses-tu pas qu’elle pourrait décider de choisir de devenir Jedi ? Souviens-toi de ton frère Aio. Il aurait tellement aimé pouvoir devenir Jedi.
_C’est vrai. Mais connaît-il vraiment notre vie ? Il ne voit que certains aspects, ceux un peu aventureux et glorieux. Il ne voit de notre vie que ce que Holonet lui raconte de ce que nous faisons. Mais la vie quotidienne, il ne la soupçonne même pas.
_Tu dis cela avec beaucoup d’amertume, Lusie.
_Sans doute parce que je commence à me rendre compte que j’aurais aimé moi aussi être une femme, un épouse et une mère, comme Merine. "
Qui-Gon ne répondit rien. Un silence lourd de sous-entendus s’installa entre nous.
" _C’est vrai que c’est loin d’être facile tous les jours. Mais nous avons toujours le choix.
_Quel choix, Maître ? Celui d’être Jedi ou celui de quitter l’Ordre pour vivre comme nous l’entendons ?
_Le choix de nous préserver nous-mêmes. Le choix de rester fidèles à nous-même, Lusie.
_Vous avez fait ce choix, Maître. " Je soupirais.
" _Chaque instant de notre vie, nous devons faire des choix. Quelques fois, c’est plus facile que d’autre. Mais ce n’est pas parce que tu fais un choix à un moment donné que tu n’aurais plus à le refaire.
_Sans doute avez-vous raison, Maître. Mais il me faut encore un peu de temps.
_Tu ne veux vraiment pas m’en parler ?
_Comme si vous ne le saviez pas déjà ! Vous savez très bien qu’un padawan ne peut rien cacher à son maître.
_Et donc, tu as pris ta décision.
_Oui, Maître. Même si ce n’est pas facile, je sais que j’ai fait le bon choix.
_Tu as décidé. C’est bien, Lusie. Mais tu as pris une décision pour deux personnes.
_Parce que vous n’avez pas décidé la même chose que moi ?
_Ainsi, c’est donc moi qui suis l’objet de tes tourments. " Qui-Gon eu un petit sourire amer.
Je restais interdite. Alors que j’avais résolu de me taire, j'étais tombée dans le piège des questions et des réponses. J’avais manqué de vigilance. Et je me fâchais contre moi-même de cette faiblesse. Mais je me repris très vite. Je n’étais pas dans une de ces situations où ce genre d’étourderie aurait pu me causer des problèmes. Qui-Gon était mon maître. Et il avait certainement compris avant que je ne comprenne moi-même.
Il me regarda longuement. Mais contrairement aux jours précédents, j’acceptais ce regard sans rougir ou me sentir mal à l’aise, mais plutôt avec une sorte d’indifférence feinte et mutine. Une révélation importante venait de m’apparaître. Mon maître était lui aussi amoureux de moi. Et la tension qui régnait entre nous durant ces derniers jours venait du fait que chacun de notre coté, nous luttions contre nos sentiments. Au final, sans rien nous dire, nous avions, chacun de notre coté, accepté cet état de fait. Et tout en continuant à nous aimer respectivement sans nous en dire un mot, nous étions en paix avec nous-mêmes. Nous ne souffrions plus. L’harmonie était revenue entre nous. Alors pourquoi fallait-il que nous abordions ce sujet épineux justement maintenant ? Ne pouvions-nous laisser les choses telles qu’elles étaient ?
" _Justement parce que tout n’est peut-être pas aussi clair que nous le croyions, Lusie. " Me dit Qui-Gon qui avait senti mes doutes.
" _Les choses sont pourtant très claires pour moi, Qui-Gon. " Répondis-je abruptement.
" _Il faut toujours se méfier de nos certitudes.
_Je ne vous le fais pas dire, Maître.
_A quoi fais-tu allusion ?
_Au Code. Vous dites que j’ai pris une décision pour deux. Mais ce n’est pas moi qui l’ai prise. C’est le Code et l’Ordre eux-mêmes qui l’ont prise pour nous. Mais nous avons fait serment d’obéissance. Nous savions donc à quoi nous nous engagions.
_Le savais-tu vraiment, Lusie ? As-tu bien mesuré à quoi tu t’engageais ? Moi, je suis un adulte. Mais toi ?
_Vous êtes adulte aujourd’hui. Mais vous ne l’étiez pas plus que moi lorsque Maître Dooku a confectionné votre tresse. " Lui rétorquais-je. " Ce n’est pas d’aujourd’hui que je commence à prendre la mesure de certaines contraintes que je ne voyais pas lorsque je suis devenue élève.
_Le Code est là pour nous protéger de nous-mêmes.
_Ne peut-on nous faire confiance ? On nous confie des missions. On nous demande de résoudre les problèmes de peuples entiers. Mais on ne nous fait pas confiance pour faire la part des choses entre notre vie privée et nos devoirs ? Je trouve ça aberrant. " Il me regarda perplexe. " Comment pouvons-nous être des Jedi accomplis si on nous empêche d’être des individus épanouis ?
_Je vois que même si tu as pris une décision, tu ne l’as toujours pas acceptée réellement. Tu obéis. Mais tu te révoltes tout de même.
_Qui-Gon, nos devoirs de Jedi ne sont pas plus contraignants que ceux d’un chef d’état ou d’un ministre.
_Tu penses à Merine et Laran ou à leurs parents ?
_Par exemple… C’est la passion qui est dangereuse. Pas l’amour. Je n’admets pas qu’on puisse brider des personnes sous prétexte que d’autres peuvent déraper. J’ai accepté mes sentiments. Et j’ai compris qu’on ne peut empêcher un cœur d’aimer. Le faire, c’est justement là que peut arriver un problème. C’est risquer que la personne se rebelle et ne s’égare tout à fait. " Qui-Gon ne répondait pas. " Je vous choque en disant cela ?
_Pas le moins du monde, Lusie.
_Ne devriez-vous pas me répondre par quelque chose qui me ferait reconsidérer ma position vis à vis du Code, pour mieux le respecter ?
_Je t’apprends les voies de la Force, Lusiana. Le Code n’énonce que des règles établies par les Jedi eux-mêmes. Est-ce que je te choque en te répondant cela ? "
J’éclatais de rire.
" _J’ai toujours éprouvé un profond respect pour les valeurs que m’enseignaient les maîtres du Temple. Mais j’ai toujours eu des problèmes avec la discipline. Je ne vous apprends rien, d’ailleurs.
_Non, en effet. Et ton côté rebelle et indiscipliné t’a valu aussi deux ans de probation.
_Qu’est ce que vous voulez dire ?
_Tu te souviens de ton escapade avec Goldie dans le puits de maintenance de la Grande Tour, et du conseil de discipline qui s’en est suivi ?
_Comment pourrais-je oublier ? J’ai failli être virée.
_Non, jamais de la vie. Mais tu aurais déjà du devenir ma padawan à ce moment là. La sanction a donc été de te dire que tu avais tes preuves à faire pendant deux ans. Mais j’avais déjà pris ma décision. Je voulais devenir ton maître.
_Maître Yoda et les autres du Conseil m’ont donc menti.
_Non. Simplement, il fallait te donner une punition. Et c’est vrai que tu avais tes preuves à faire… en ce qui les concerne. Ils t’ont donc dit la vérité, mais d’un certain point de vue.
_D’un certain point de vue ? Je me souviendrais de cet aphorisme, Maître. " Répondis-je en riant. " Mais vous ? Je vous ai vraiment déçu ?
_Moi ? C’est vrai que tu y es allée très fort sur ce coup là. Mais cela s’est bien terminé, et tu en as tiré une bonne leçon d’après ce que m’a dit Mace Windu. Je peux te le dire. Tous les grands Jedi sont passés par des facéties de ce genre, et même pire. Entre nous, je ne suis pas encore assez vieux pour avoir oublier mes propres bêtises. Alors comment pourrais-je-t’en vouloir ? "
Le silence s’installa entre nous. C’est vrai que j'étais indisciplinée et rebelle. Je le suis toujours restée, d’ailleurs. Mais pour ma défense, j’ai toujours été respectueuse du bien et de la justice.
On n’entendait plus que les bruits de la nature, les oiseaux, les animaux dans quelques fourrés, les clapotis de l’eau du fleuve, la brise dans les feuillages des arbres. Je sentis une légère caresse sur mon épaule. Un bref coup d’œil en coin me permit de voir que mon maître me regardait intensément, avec une lueur douce et chaleureuse dans ses yeux immensément bleus. Je n’en fus pas troublée. Au contraire. Je commençais à aimer qu’il me regarde ainsi. Je lui souris. Il me sourit en retour, avec une tendresse qui aurait pu me faire bondir le cœur dans la poitrine, si je n’avais déjà appris à dépasser mes émotions.
" _Je ne t’ai jamais dit à quel point je te trouve belle, Lusie.
_Je le vois dans vos yeux. J’ai appris à le voir, Qui-Gon. " Lui répondis-je doucement.
" _Tu as bien grandi depuis le jour où tu m’as bousculé dans les couloirs.
_J’étais une enfant, à l’époque. Je ne suis peut-être pas encore une femme. Mais je ne suis plus une petite fille.
_Je sais… Lusie… Nous n’avons pas le droit de nous aimer.
_Nous n’avons pas le droit ? Parce que le Code nous l’interdit ?
_Oui. Tu le sais aussi bien que moi.
_Qui-Gon… soyez honnête. Au fond de vous, est-ce que cela vous empêche d’éprouver ces sentiments pour moi ? Pouvez-vous dire que vous ne m’aimez pas, uniquement parce que le Code vous interdit de m’aimer ? "
Il me regarda troublé.
" _Non, effectivement. Le Code nous interdit d’aimer comme tout le monde. Mais je ne peux m’obliger à ne pas t’aimer.
_Et ?
_Et j’en souffre autant que toi.
_Je n’en souffre plus. J’ai accepté la situation. Mais pas vous. Qu’allons-nous faire ?
_Je croyais que tu avais pris ta décision.
_Le fait que vous m’ayez fait remarquer que j’avais pris une décision pour deux prouve que vous n’êtes pas d’accord avec moi.
_Ta logique est implacable.
_Ce que je constate, c’est qu’il nous est très facile de nous retrancher derrière des prétextes comme nos devoirs ou le Code. Mais il est moins facile d’accepter le risque d’être nous-mêmes. Vous avez beau jeu de me dire qu’il faut rester fidèle à soi-même. Lorsqu’une difficulté se présente, lorsque vous devez prendre une décision en porte à faux avec le Code, vous vous retranchez tout de même derrière quand ça vous arrange. Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais. " Lui lançais-je un peu amère.
" _C’est pourtant toi qui as pris la décision de ne pas aller plus loin dans nos sentiments.
_J’ai pris cette décision pour ne pas vous contraindre. Et aussi parce que je n’osais imaginer qu’un homme comme vous pouvait s’intéresser à une adolescente immature comme moi. Voilà pourquoi ! Mais vous ! Depuis le début de cette conversation, vous n’osez même pas appeler un shaak un shaak ! Vous dites les choses en sous-entendu. Mais vous n’osez même pas prononcer les mots.
_Toi non plus.
_J’ai seize ans, Qui-Gon ! Vous en avez vingt-sept ! C’est aussi à vous d’assumer la situation. Dans cette histoire, nous ne sommes plus maître et élève. A vous de prendre vos responsabilités d’homme !
_Me traiterais-tu de lâche ?
_C’est vous qui le prenez comme ça ! "
Je m’étais levée, et faisais quelques pas nerveux autour des reliefs de notre pique nique. Je pris une profonde inspiration. Cela ne servait à rien de s’énerver. Cela ne résoudrait pas le problème, bien au contraire.
" _Lusiana, tu es bien consciente que si nous décidons de… enfin, de… partager ce que nous éprouvons, il nous faudra vivre dans le mensonge, ne rien laisser paraître, lorsque nous serons au Temple.
_Je sais. Mais c’est notre vie privée. Cela ne regarde personne d’autre que nous. Tant que cela n’interfère pas dans nos devoirs, cela ne regarde pas l’Ordre Jedi.
_Tu es bien consciente aussi que nous ne pourrons jamais construire une vie de couple ordinaire.
_Il y a mille et une manières de vivre une histoire d’amour. Il y a autant de manière qu’il y a de couples. Comment pourrions-nous envisager une vie de couple ordinaire, alors qu’à la base, notre vie est tout sauf ordinaire ?
_Et si nous finissions par nous déchirer ?
_Avec des si, on pourrait mettre Coruscant en bouteille. Et puis, je sais que ce ne serait pas une déchirure. Nous sommes trop raisonnables pour cela.
_Nous pourrions nous faire renvoyer de l’Ordre. Je ne veux pas te faire risquer cela.
_Vous n’avez pas à décider pour moi.
_Je suis ton maître.
_Pas dans ce cas là.
_Tu es trop jeune pour bien mesurer toutes les conséquences d’une telle décision.
_Trop jeune ? Pourtant, je ne suis pas trop jeune pour aimer. Je crois au contraire que c’est vous qui ne savez pas où vous en êtes. Mais nom d’un Hutt ! Qu’est ce que vous voulez à la fin ? D’un côté, vous me poussez à vous démontrer que nous avons tort d’obéir aveuglement au Code. Et de l’autre, vous n’assumez pas ce que vous éprouvez. Ce n’est tout de même pas à moi de vous dire ce que vous avez à faire. Vous l’avez dit vous-même. C’est vous l’adulte. Moi je suis trop jeune !
_La colère est mauvaise…
_Stop ! " m’écriais-je. " Premièrement, cela fait des années que je médite sur la colère, parce que justement, j’ai un tempérament un peu trop vif. Deuxièmement, je ne suis pas en colère. Je suis juste en train de vous mettre les points sur les I.
_Tu frises l’insolence.
_Pourquoi ? Parce que j’ose vous dire les choses en face ? Et que vous savez que j’ai raison, et que cela vous touche dans votre orgueil d’aîné ?
_Lusiana ! N’oublie pas à qui tu parles !
_Non, Qui-Gon. Je sais à qui je parle. Et contrairement à ce que vous pensez, je vous respecte bien plus en vous disant franchement les choses sans tergiversation qu’en y mettant des formes plus diplomatiques et obséquieuses. Et si cela vous déplaît autant, c’est justement parce que vous savez pertinemment que j’ai raison. "
Il resta à quelques pas de moi, regardant le fleuve et les sous-bois sans les voir. Je le sentais en lutte contre lui-même, dans cette dualité de l’être où s’oppose souvent ce qu’on apprend à respecter et ce que votre conscience propre vous dit de faire. Tout comme moi, depuis son plus jeune âge, Qui-Gon Jinn avait toujours vécu pour et par l’Ordre Jedi. Et si nous avions tous les deux transgressé quelques fois les règles de discipline, cela n’avait pas eu de conséquences très graves. Mais en nous découvrant amoureux l’un de l’autre durant ce séjour sur Alderaan, nous étions en face d’un véritable dilemme, un des plus grave qu’un Jedi doit surmonter. Devions-nous mettre le Code Jedi au-dessus de tout et refouler nos sentiments pour rester dans l’obéissance ? Ou bien devions-nous privilégier l’intégrité de nos êtres et rester fidèles à nous-mêmes ?
En fait, Qui-Gon ne s’inquiétait pas tant pour lui-même que pour moi. Nous étions tous les deux à la même étape de notre vie privée. Mais concernant l’Ordre Jedi, les choses étaient tout de même bien différentes. Malgré tout ce que je pouvais dire, il était le maître et j'étais l’élève. Il était un chevalier accompli, il avait passé les épreuves, alors que je n’étais padawan que depuis trois ans. Bref, il avait vingt-sept ans, moi seize. Il était un homme, alors que je ne faisais que commencer à découvrir la femme qui se développait en moi.
" _Ni vous ni moi ne savons réellement ce que l’avenir nous réserve. " Lui dis-je alors que je venais de comprendre ses inquiétudes. " Vous ne pouvez tout décider pour moi. Vous m’apprenez à devenir Jedi, certes. Mais je ne suis pas en apprentissage que sur le plan de la Force. Je suis jeune. Je suis en apprentissage de la vie dans son entier. Et même si je n’étais pas douée dans la Force, je serais dans cette sorte d’apprentissage de la féminité et des sentiments. Alors, apprenez-moi. Apprenez-moi à être une femme. C’est pour moi la seule manière d’être un chevalier accompli.
_Est-ce que je sais moi-même ce qu’est être un homme ? " Soupira-t-il.
" _Et si nous devions découvrir cela ensemble justement ? Et si c’était la vie elle-même qui nous avait conduit là où nous sommes ?
_Je t’aime, Lusiana. " Murmura-t-il. " Et je sais que quoique je décide, quoique nous décidions, cet amour sera là, dans mon cœur, à tout jamais. Tu es la première femme à qui je peux dire sans me tromper que je l’aime. Je t’aime, Lusie. " Répéta-t-il encore.
" _Je vous aime aussi, Qui-Gon. "
Je vins me pelotonner contre lui. Il me serra. Que ses bras étaient doux, forts et tendres ! La tête appuyée contre sa poitrine, je fermais les yeux. Ce n'était plus du bonheur que j’éprouvais. J’étais tout simplement bien. C'était un de ces moments de plénitude et de sérénité où tout ce que nous éprouvons est complètement en phase avec ce qui nous entoure. Il appuya sa joue contre mes cheveux et je le sentis y déposer un timide baiser. Je levais les yeux. Il arborait un visage calme et doux. Son visage tout entier me souriait.
" _C'est toi qui avais raison, Lusie. Nous ne pouvons être simplement des Jedi. Et nous ne pouvons être simplement des humains. La Force a fait de nous les deux à la fois. Nous ne pouvons nier une partie de nous-mêmes sans mettre l'autre en péril. "
Comment allait évoluer notre relation ? Nous n’en savions rien à ce moment là. Tout ce qui nous importait, c’était de vivre l’instant présent. " Toujours en mouvement est l’avenir. Difficile à voir, il est. " Nous disait souvent Maître Yoda. Avions-nous envie de le savoir ? Pas vraiment, en fait. Nous avions des choses à vivre ensemble, des choses que nous ne pouvions découvrir que tous les deux. Combien de temps est ce que cela allait nous prendre ? Peut-être une semaine, un mois, une année ou bien une éternité ? Ce n’était pas le plus important, car nous savions que quoiqu’il devait se passer, il resterait l’une des pierres capitales de l’édifice de nos vies.