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Par Kiara Jinn



II

La porte s’ouvrit et je m’engouffrais dans la zone d’équipement où j’arrachais fébrilement ma combinaison biologique. J’eus du mal à la retirer. Mes gestes étaient précipités et inefficaces. Elle collait. J’étais trempée de sueur. Mon léger maillot de coaton me collait à la peau.

Je me tournais vers l’homme et lui fis signe de se baisser légèrement. Il s’exécuta. Je retirais tout d’abord son casque en le faisant pivoter. Le léger déclic était rassurant. Le Jedi respira à pleins poumons, lentement, les yeux mi-clos. Je l’observais. J’eus une bouffée d’espoir. S’il avait bien suivi les indications données, il avait du mettre une sous-combinaison supplémentaire et surtout trois paires de gants de latex, plaqués aux poignets par des bandes d’autofix. Il me semblait les avoir senties lors de mon inspection initiale. Je fronçais les sourcils. Avais-je réellement senti ces trois épaisseurs ? Dans ma panique, je ne me souvenais plus. Est-ce que je m’en persuadais pour me rassurer ? Pour ne pas penser à cette culpabilité que je ressentais depuis que j’avais vu le trou sur son gant ? Pour ne pas penser à ma légèreté et à mon erreur? Ne pas penser à la mort qui rôdait autour de lui ? Je repensais à tous les menus détails que l’on oublie, par habitude, par excès de confiance en soi. J’avais vraiment commis une erreur impardonnable. Je voulais me persuader qu’il n’avait pas été exposé. J’espérais qu’il avait respecté toutes les consignes d’habillage. Outre les gants, sa sous-tenue, s’il l’avait mise, serait une barrière complémentaire contre le virus. Je priais également pour qu’il n’ait aucune blessure sur la peau, pouvant être la porte d’entrée à un agent chaud.
Je l’aidais à retirer la combinaison biologique, arrachant d’un coup sec les bandes d'autofix dorsales placées par le droïde. Je la jetais dans un container métallique qui partirait à la destruction. Elle tomba dans le fond avec un claquement. Je me tournais vers lui et poussais un léger soupir de soulagement en le regardant. Il portait les gants, bien maintenus par la bande d’autofix et avait passé ses chaussettes chirurgicales par-dessus les jambes du pantalon. Sa chemise de laboratoire, malgré son étroitesse, était parfaitement rentrée dans la ceinture coulissante du pantalon. Une bande d’autofix recouvrait la jonction entre ses vêtements. Par contre, sa casaque était humide de sueur, tout comme la mienne.

-Laissez-moi contrôler vos mains.
Je retirais les bandes d’autofix et les gants en prenant soin de les séparer. Mes mains couvertes de latex accrochaient sa dernière paire de gants. Je retirais les miens d’un geste brusque. Il me regarda, étonné.
-J’ai l’habitude de travailler sans gants quand je le peux. Ils me gênent.
Je testais ses gants. Comme je le craignais, il y avait des trous dans les trois paires. Et ce n’était pas un défaut de fabrication. Il me regarda et je vis la peur passer dans son regard. Il lisait dans mes pensées, réagissait en même temps que moi quoique de manière plus mesurée. Je repris les gants, les testais à nouveau et m’aperçus avec soulagement que les trous ne coïncidaient pas. Il m’interrogea une nouvelle fois du regard.
J’eus un léger sourire et il me regarda. Son visage ne reflétait aucune surprise comme s'il s'attendait à ce que j'allais lui annoncer.
-Excusez-moi mais c’est le soulagement. Tout va bien. Je pense que vous n’avez pas été exposé mais je vais vous faire un test sanguin pour être rassurée. Venez avec moi.
Il hochait la tête tout en se frottant les bras, malgré les manches de la casaque. Il devait avoir froid dans cette pièce à pression négative que nous appelions la zone grise. J’attrapais une blouse stérile sur un présentoir et la lui remis. Il l’enfila et me suivit. J'en fis de même en m'apercevant subitement de ma tenue. J’étais en maillot et en sous-vêtements. J’avais même, en arrachant mes bottes de laboratoire, retiré les chaussettes. Je n’avais même pas senti la froideur du revêtement métallique du sol sous mes pieds nus. J’enfilais une paire de chaussons de bloc opératoire.

Je l’entraînais dans un vestiaire violemment éclairé transformé en petite salle d’examen et lui désignais le fauteuil central d'un geste. Il s’y installa. Je mis le siège en position de repos afin qu’il soit plus à l’aise et réglais vocalement l’intensité lumineuse de la pièce. Je mis une paire de gants et une bavette sur la tablette de prélèvements. Il me présenta son bras. Je préparais le bouton préleveur, posais le garrot et pratiquais la prise de sang au pli du coude. Il me regardait faire.
-Vous n’avez pas d’autre moyen de faire vos tests sanguins ?
-Si mais je préfère cette méthode qui est plus fiable fis-je en massant doucement du doigt le point de ponction. J’ai mis au point ce test de dépistage et je suis certaine de la fiabilité des résultats.
Il ne perdait pas un seul de mes gestes. Je plaçais un patch anti-saignement au bacta sur le point de ponction et déposais le prélèvement dans un tube isolant.
-Pourquoi ces précautions ?
-Les cellules sont fragiles et peuvent être altérées. Le test pourrait être faussé. Je fais un test direct et ensuite une immunoélectrophorèse si j’ai le moindre doute.
Il hocha la tête en m’écoutant.
-Quand aurai-je les résultats ?
-Pour le test direct, dans une minute ou deux. C’est le temps nécessaire pour faire l’examen. Je pense sincèrement qu’il n’y a rien.
Qui-Gon acquiesça et se renversa légèrement dans le fauteuil médical. Il referma les yeux. Il sentit que la jeune femme le regardait l’air soucieux.

Il revoyait dans son esprit les dernières minutes. Il l’avait suivie dans le sas de décontamination puis dans un vestiaire. Dans ses gestes hâtifs, il ressentait son anxiété. Tout en marchant très vite, elle retirait sa tenue d’un geste précipité. Elle s’acharna sur une manche. La combinaison adhérait à la protection interne et elle réussit, non sans mal, à la retirer. Sa légère chemise blanche était trempée de sueur et lui collait à la peau. Elle se tourna vers lui et arracha d’un geste vif les bandes d’autofix qui fermaient sa propre combinaison. Il sentit qu’elle était tendue pendant qu’elle l’aidait à se dévêtir.
Elle tremblait très légèrement et pourtant elle lui semblait avoir une excellente maîtrise de ses gestes. Elle retira les trois épaisseurs de gants en les examinant soigneusement. Ses mains gantées accrochaient le latex et elle retira rageusement ses propres gants qu’elle jeta sur le sol. Puis elle vaporisa les gants suspects d’un soluté réactif. Il la vit froncer les sourcils et refaire l’examen. Elle se tourna ensuite vers lui avec un léger sourire pour lui dire qu’il n’y avait pas d’inquiétude à avoir. Elle préférait pourtant lui faire un examen sanguin de contrôle.

Qui-Gon était debout près d’elle. Il la regardait faire, sans aucune réaction. Il avait l’impression d’être déconnecté, spectateur d’un mauvais film dont il était l’un des protagonistes. Il sondait la Force, filait à l’intérieur de ses propres vaisseaux. Il ne pouvait s’imaginer le sang rempli de particules virales. Ces cellules qu’il avait vues au microscope le glaçaient d’effroi. Il pensait qu’il était trop tôt pour qu’il rejoigne la Force. Il ne souhait pas le faire de cette manière. Il frissonna. Il reporta ses pensées sur autre chose, fixant la nuque de la jeune femme qui préparait son prélèvement.
Quelques mots revenaient avec force à son esprit : claquoir, 7 jours, hémorragies massives, bilan de vos erreurs ! Cela n’arriverait pas. Il refusait de se projeter ainsi en avant. Il tremblait légèrement. Elle s’en aperçut et lui remit une blouse médicale. Elle le regardait d’un air perplexe. Il savait parfaitement à quoi elle pensait. Cette fois, il pouvait lire dans son esprit. Même si elle était sensiblement rassurée, il persistait un fond d’inquiétude en elle. Il le sentait.

Elle remit des gants et une bavette médicale tout en lui désignant d’un geste le siège d’examen où il s’installa. A sa demande, il lui présenta son bras. Elle piqua à l’aide d’une sorte de sonde préleveuse. Ses gestes étaient relativement doux tout en étant très sûrs. Excellente infirmière se surprit-il à penser. Il pouvait parfaitement lire en elle. Elle le voyait sur un lit d’hôpital, en proie à cette fièvre hémorragique létale en quelques jours dont elle lui avait parlé. Sans être résigné, il pensait à cette éventualité. S’il devait rejoindre la Force, il se plierait à sa volonté. Il eut cependant des regrets concernant sa vie. Il n’avait pas terminé la formation d’Obi-Wan et il n’avait pas achevé son accomplissement d’homme, à ses propres yeux. Il lui restait tellement de choses à vivre, à découvrir dans la Force, à enseigner. Mais s’il devait rejoindre la Force et se fondre dans son flux, il s’y préparerait et le ferait. Qui-Gon n’avait plus de sensation imminente de danger en lui, seulement la peur que le jeune médecin ressentait et qu’il percevait également. Il se leva et la suivit.

Elle glissa le support dans le porte-échantillon du microscope holographique. Elle avait instillé une goutte de réactif en vue de l’examen direct. En cas de contamination, les cellules du prélèvement luiraient d’un éclat vert émeraude. Elle le lui avait dit lors de l’expérience. Il se tenait debout près d’elle. L’émeraude ! La couleur de mon sabre se surprit-il à penser. Elle se pencha légèrement. Il sentit presque aussitôt en lui une onde de chaleur, comme une caresse apaisante pendant qu’elle se redressait et fixait ses yeux.
-Aucune lueur. Tout est normal. Vous n’avez pas été contaminé.
Il se détendit légèrement et eut un imperceptible soupir. Elle leva la tête vers lui.
-Voulez-vous voir votre propre sang?
-Bien sûr.
Elle actionna un senseur pendant qu’il se penchait au-dessus de l’oculaire.

Il accepta et se pencha. Son bras me touchait et je me reculais imperceptiblement. Je lui indiquais brièvement les différentes cellules sanguines. Il les examina pendant quelques secondes et se tourna vers moi.
-C’est parfait. Je n’avais pas particulièrement envie de dire adieu à la vie me dit-il d’un air léger.
-J’en suis persuadée. Je peux vous avouer maintenant que j’ai eu très peur pour vous.
-Ah bon ! Vous la dominez parfaitement. Vos gestes étaient très sûrs me dit-il d’un air faussement enjoué.
Je le regardais. Je me rendis compte qu’en fait, il essayait de détendre l’atmosphère et de me rassurer. J’éteignis le balayage et la pièce se trouva à nouveau plongée dans une clarté aveuglante. Je me levais et le regardais.
-Vous allez pouvoir vous revêtir maintenant. Il y a une douche dans le vestiaire. Je vous conseille de vous y rendre et surtout de la prendre. C’est une sécurité supplémentaire. Je vous attendrai à la sortie du vestiaire dans une dizaine de minutes.
-Parfait. A tout à l’heure me fit-il avec un sourire en se dirigeant vers le sas de sortie.

Qui-Gon se doucha et resta un certain moment appuyé contre la paroi, les yeux fermés, laissant l’eau tiède ruisseler sur lui. Il se laissait complètement aller, se détendait. Il essayait de faire le vide dans son esprit. Puis subitement, il sursauta. Il se souvint qu’il était attendu, sortit de la cabine et passa dans le sas de séchage. Enfin, il se revêtit. Il inspecta soigneusement ses mains, les tournant et retournant plusieurs fois. Elles n’avaient rien. Aucune plaie n’attira son attention. Ses ongles étaient parfaitement coupés et n'avaient pu déchirer le gant de latex. Ce n’était donc pas un accident. Il frissonna légèrement. Il avait frôlé la mort, une mort invisible, insidieuse portée par un ennemi qui n’avait pas de matérialisation à ses yeux, outre les images qu’il avait vues dans le microscope. Un ennemi qui surgissait une fois que les ravages causés étaient irrémédiables. Il réfléchit tout en enfilant sa sur-tunique et en mettant son médaillon holographique autour de son cou.
Ces séquentielles étaient prévues dans le but de faire un vaccin universel. Mais elles pouvaient fort bien être à l’origine d’une arme, une arme bactériologique dont l’action létale était propre, rapide. C’était indubitablement, sous une façade respectable, la finalité de ce laboratoire. Une arme biologique proche de la perfection, de l'efficacité absolue pour ses concepteurs, un germe létal à des degrés jamais atteints, synthèse de tout ce que l’univers pouvait renfermer d’agents chauds. Un virus mortel obtenu par clonage. Un clonage qui pourrait fort bien porter sur des humains, en faire des êtres immunisés contre tous maux, des êtres pouvant subir également des mutations, des manipulations, des êtres… invincibles. Il secoua lentement la tête. Il eut comme un flash. La Chemistral créait une arme absolue, secrète, mortelle. La femme qui lui avait montré l’expérience l’avait découvert et avait tenté d’alerter les autorités.

Il sortit du vestiaire masculin et attendit quelques minutes devant la porte coulissante. La directrice de recherches sortait du secteur féminin, à quelques mètres de lui. Il la regarda avancer vers lui d’un pas vif. Il se trouva face à une jeune femme assez petite aux traits fins mais ordinaires, aux yeux noirs et aux longs cheveux bruns ramenés en chignon bas sous un léger filet médical. Ils étaient dans une sorte de couloir violemment éclairé. Elle se tenait très droite, les mains enfoncées dans les poches de sa blouse. Il s’aperçut qu’il la regardait fixement et baissa légèrement les yeux. Sans sa coiffe médicale, avec sa blouse blanche et sa tenue de chirurgien, il la reconnaissait parfaitement. C’était bien la jeune femme qui avait fait passer l’appel au secours. Son regard avait cet éclat qui l’avait frappé quand il avait vu le contenu de la sphère chez Lusiana. Le même regard qu’il avait saisi derrière la visière du casque de protection quand elle s’était présentée à lui. Un regard noir, profond.

Une dizaine de minutes plus tard, je le retrouvais de l’autre côté de la zone grise. Il portait ses vêtements de Jedi. C’était bien l’homme aux cheveux longs que j’avais aperçu lors de la première venue de la commission sénatoriale. Il me paraissait encore plus grand qu’avec la tenue de chirurgien. Je remarquais qu’il portait une moustache et une barbe bien taillées, détails auxquels je n’avais pas prêté attention quand nous étions dans la zone chaude. Ses cheveux étaient tirés en arrière, en demi-queue de cheval. Ses yeux bleus tirant sur le gris étaient posés sur moi. Il me fixait. Son regard était perçant. Malgré les ridules qui plissaient ses paupières, son regard me semblait d’une étonnante jeunesse chez un homme d’âge mûr. Il s’était adossé à la porte du vestiaire du personnel masculin et m’attendait. Il avait croisé les bras et ses mains étaient rentrées dans les larges manches de son manteau de bure marron. Il me sourit en s’inclinant devant moi.