Un peu plus d'un an après la bataille de Naboo.
Le Conseil a donné à Kiara, devenue padawan de Mace Windu, l'autorisation de revenir chez elle, présenter ses enfants à sa famille. Lusiana Nakeji (épouse secrète de Mace Windu) doit rencontrer la Reine Amidala au Palais.
Depuis que j'avais remis les pieds sur Naboo, son regard ne me quittait pas, accompagnait chacun de mes gestes. Ses yeux fermés, sa tête reposant au creux des bras d'Obi-Wan, son corps étendu sur le revêtement froid de l'usine électrique du générateur, tel que je l'avais découvert avec horreur ! Ses yeux venaient de se refermer sur la vie quand je réussis à les rejoindre. Je ne voulais plus voir cette image si douloureuse. Je ne voulais plus le chercher en pleurant toutes les nuits, en l'appelant en vain depuis qu'il était parti.
Je me levais en tentant de me composer un visage convenable et embrassais longuement les visages endormis de mes deux enfants. Puis j'embrassais ma mère et la serrai très fort contre moi en lui murmurant un merci inaudible. Je me retournais lentement et me dirigeais vers la porte d'entrée en enfilant mon manteau de bure. Je m'enroulais dans le manteau de Qui-Gon comme si ce dernier devait me donner le courage d'avancer.
Ma décision était irrévocable, réfléchie. Je devais le rejoindre. Il n'y avait pas d'autre issue pour moi. Même l'amour de mes enfants, l'affection de mes amis ne me retenaient pas. Liu et Maï entreraient dans les younglings. Ensuite, comme les autres enfants, ils suivraient leur initiation dans les voies de la Force. Ils seraient choisis, un peu avant leurs treize ans, comme padawan par un maitre ou un chevalier Jedi qui prendrait leur éducation en charge. Peut-être serait-ce Obi-Wan ? Au moment où Liu ou Maï atteindraient cet âge, Anakin aurait terminé sa formation. Si Obi-Wan ne devenait pas le maitre de l'un d'entre eux, ce serait un autre Jedi. Je ne me faisais pas de souci pour eux. Ils ne seraient pas seuls. Lusiana veillerait aussi sur eux. Elle était si proche de moi qu'elle ne les laisserait pas.
Je marchais très vite en direction du palais. Les mêmes pensées revenaient sans cesse. Lusiana avait sa vie, son mari même si sa vie de maitre Jedi n'était pas des plus faciles. Je n'avais plus rien, outre le souvenir des moments passés avec Qui-Gon. J'avançais comme un automate, sans regarder autour de moi. Pourtant la cité était magnifique avec ses pierres blancs rosé. Les habitations proches de ce quartier du palais offraient leurs dômes irisés au soleil couchant. Les balustres travaillés supportaient des bacs emplis de fleurs dont les couleurs tombaient en cascades.
J'étais seule depuis un an, seule même si je ne l'étais pas vraiment. Obi-Wan, Lusiana, mon maitre ne me laissaient pas le temps de me morfondre. Ils étaient proches, chacun à leur manière ; affectueuse et proche pour Lusiana, posée et chaleureuse malgré sa réserve pour son époux, désinvolte et légèrement ironique pour Obi-Wan qui passait me voir tous les soirs. J'avais également les holo-images de Qui-Gon, ses écrits, son empreinte indélébile dans chaque recoin de l'appartement. Mais cela ne suffisait pas pour me réconforter. Ce que m'apportaient l'étude de la Force et mon enseignement étaient bien peu, à mes yeux, en rapport du vide immense qui m'habitait. Mon profond sentiment de culpabilité ne m'avait pas quittée depuis son décès, exacerbé par la solitude où je m'enfermais. Je n'acceptais pas l'idée de sa mort.
J’approchais du complexe énergétique Le garde que j’avais vu, après un bref moment d’étonnement, m’avait indiqué un chemin assez rapide. Je lui avais menti en disant que je venais rejoindre mon maître Jedi. Je savais que Lusiana avait un rendez-vous avec la souveraine. Elle devait s’entretenir avec elle du dédommagement que les Némoïdiens devaient remettre aux peuples Naboo et Gungan en dommage du blocus de la planète. J’avais donc trouvé ce prétexte de la rejoindre pour rassurer ma mère qui s'inquiétait à mon sujet. Le mensonge était une pratique que mes pairs ne cautionnaient pas. Moi non plus d’ailleurs. Je ne l’acceptais pas, me disant que c’était un refuge de faiblesse. Mais tant pis ! Il fallait absolument que je vienne ici.
J’étais allée trop loin dans ma quête. Je ne pouvais plus reculer. Je devais aller jusqu’au bout. Pour une fois dans ma vie, je finirai ce que j’avais commencé. J’atteindrai ce but que je m’étais fixé. J’accomplirai ce que je nommais mon devoir moral. J’étais dans un état second, incapable de réfléchir, complètement polarisée sur ma quête. Ce n'est pas la bonne, Lusiana me l’avait pourtant dit mais j’étais incapable de faire la part des choses. J’étais trop choquée par les émotions intenses qui se bousculaient en moi. Je ne pouvais même pas les exprimer tant j’étais enfouie dans ma douleur. Tout, autour de moi était confus. Je ressentais comme un tourbillon dans la Force. Une onde, comme un vent malfaisant, un vent de colère. C’était en fait la mienne qui se manifestait ainsi à travers ma douleur. Je ne pouvais maîtriser cette colère que je sentais en moi, celle de n’avoir pu empêcher ce drame. Je la sentais sourdre en moi, je me sentais de plus en plus mal. J’avais froid tout comme cela se produisait avant, quand je faisais ce cauchemar où je voyais la mort de Qui-Gon. Un froid glacial que j’avais commencé à ressentir à quelques mètres du Palais.
Je me trouvais projetée un an en arrière, cette nuit terrible de sa mort. Cette nuit où ce froid s’était manifesté en moi de façon encore plus aiguë que d’habitude. J’avais très mal dormi. Un sommeil entrecoupé de cauchemars où je voyais Qui-Gon se faire empaler par la lame rouge du Sith. Je m’étais réveillée en hurlant de terreur sur le grabat de la tente de rétention où je me trouvais avec d’autres compagnons d’infortune. Nous avions été arrêtes quelques semaines plus tôt. J’avais réussi à m’échapper. Juste après ce rêve horrible, je sentais que je devais aller impérativement vers le palais. Dans le jour naissant, au péril de ma vie, je m’y étais rendue pour arriver au moment terrible ou Qui-Gon venait de rendre le dernier soupir dans les bras de son élève. Pourtant, j’avais cru pouvoir arriver à temps pour empêcher l’irrémédiable. Mais il était trop tard. La Force, je sus après que c’était elle, guidait mes pas au sein de ce dédale de couloirs que je ne connaissais pratiquement pas. Elle m’avait conduite dans le générateur, à cet endroit ou Qui-Gon venait de mourir.
Toutes ces images se précisaient à moi dans un flux douloureux mêlé de colère. Cette colère que je sentais monter en moi, contre cette injustice, contre moi, contre ceux qui n’avaient pu empêcher ce drame. Il fallait qu’elle sorte. Même si, j’étais devenue padawan Jedi, si je m’étais engagée dans les voies de l’étude de la Force et de son service, je voulais aussi savoir comment tout ceci avait pu arriver. Je l'avais dit à Lusiana peut avant qu'elle ne parte vers le palais et elle m'avait, une nouvelle fois, dissuadée de la rejoindre. Je devais comprendre. Comprendre à qui incombait la faute de cette tragédie.
Mais je connaissais les coupables ou plutôt la fautive. C’était moi. Je n’avais su, pu le retenir quand j’avais ressenti son devenir. C’était cette mission qui l’avait conduit au-devant de sa mort. C’était ce Sith qui l'avait tué à cause de moi. C’était mon amour qui l’avait tué. Je devais accepter ma faute. Avant de le rejoindre pour lui faire pardonner ma faute, je devais vivre dans cet endroit les affres de la souffrance de la culpabilité que je devais assumer. Je ne devais plus fuir. Je devais l’accepter et mourir comme Qui-Gon l’avait fait, ici-même avant moi. Je devais payer de ma vie le prix de ma faute. Il n’y avait aucune autre solution. C’était la seule envisageable. C’était mon destin et je devais l’assumer.
Je passais par une galerie parallèle au Palais. Je marchais vite pour me rendre sur ce lieu. Mes pieds bottés claquaient sur le revêtement dallé du sol. Mon long manteau brun battait mes chevilles. Je me retrouvais rapidement devant la porte qui, au fond du hangar menait au complexe. Je ne pouvais avancer. Il me semblait que j’entrais dans un univers de glace. J’avais froid et pourtant, le début de soirée était doux. J’avais resserré les pans de mon manteau autour de moi. Il me semblait lourd. Son poids sur mes épaules était pratiquement insupportable. Il me faisait même mal. Et pourtant, ce manteau faisait partie de moi. Il me rassurait depuis que je le portais. C’était celui de Qui-Gon qu’Obi-Wan avait posé sur mes épaules après son décès. Son manteau !
Je fermais un instant les yeux. Devant moi, il me semblait voir une ombre noire. Le Sith était là ! Il les attendait ! Un homme petit, au large manteau noir plissé, lui arrivant au-dessus des chevilles. Une capuche noire qui lui tombait sur les yeux ! Une onde de froid qui me heurtait de plein fouet. Un objet métallique dans ses mains. Un long cylindre argenté. Son sabre ! Ce double sabre à la lame rouge dont il m’avait si souvent menacée quand j’osais lui résister ! Ce sabre avec lequel il avait porté à l’homme que j’aimais le coup fatal. Il me semblait entendre le bourdonnement des lames qui s’activaient. L'une ! Puis l'autre ! Ce bruit d’arc, ce bruit qui me faisait si mal ! Je m’étais mise à trembler incoerciblement. La présence maléfique du Sith ! Je voyais ses yeux jaunes me fouiller, me narguer. Ses yeux étaient pleins de haine. Je me souvenais de leur éclat malfaisant quand ils se posaient sur moi ! Je ne devais plus en avoir peur. Je devais la vaincre, aller jusqu’au bout !
Près de moi, il me semblait sentir la présence de Qui-Gon et d’Obi-Wan. Je voyais le déroulement de cet affrontement dans mon esprit. Je le sentais en moi. Il me semblait voir en flash Qui-Gon et Obi-Wan debout face au guerrier noir qui les fixait, les yeux pleins de haine. Darth Maul avait du les observer de ses yeux de félin, comme un prédateur guettant ses proies. J’imaginais les deux Jedi se regarder brièvement, se mettre en position d’attaque dans un même mouvement et avancer lentement sur lui. Ils étaient concentrés, tentaient de capter ce que le Sith pensait. Ils essayaient d’entrer dans son esprit mais il avait érigé une barrière mentale entre eux et lui.
Je sentis également quelque chose en moi. Une présence qui tentait de s’introduire en moi. Je me raidis brusquement. Je sentais que c’était Lusiana. Elle me touchait par l’esprit. Elle avait tenté de me dissuader de venir jusqu’ici. Elle me disait qu’il était inutile que je me torture ainsi. Il ne fallait pas que je m’enferme dans le souvenir de Qui-Gon. Elle m’avait dit que je devais vivre pour lui parce qu’il n’aurait pas souhaité me voir enfermée dans son souvenir. Il fallait que je vive pour nos enfants, pour nous, pour moi surtout. Elle était très inquiète pour moi. Je le sentais. Mais je ne voulais pas qu’elle le soit. C’était ma douleur, mon combat, l’ultime, celui dont je savais que je ne reviendrai pas. Je lui avais caché mon but réel. Mais elle était tellement proche de moi qu’elle avait ressenti ma profonde peine. Je doutais qu’elle connaisse mes intentions d’en finir. Je n’en avais soufflé mot à personne. Mais elle devait le craindre. Elle me soutenait toujours quand j’allais mal. Elle était toujours proche de moi. Elle m’avait dit que je devais me battre, que la vie était plus forte que la mort. Elle m’avait dit qu’il fallait que je fasse mon deuil. Mais c’était impossible. Pour moi, le fait d’accepter la mort de l’homme que j’aimais le plus au monde était une chose inconcevable. C’était comme si je le tuais à nouveau. Je ne le pouvais pas. Jamais je ne le pourrai. Tout était confus. Je me noyais dans un brouillard de douleur, d’images plus noires les unes que les autres. Des flashes douloureux transperçaient mon cœur. Je tentais de refouler mes larmes. Mais elles me brûlaient les yeux. Elles étaient là, ces larmes de honte, de douleur, ces larmes du manque horrible de l’être aimé.
Je restais longuement debout devant cette porte, retardant le moment où j’allais passer ses battants et me retrouver dans le complexe. Je clignais des yeux. La silhouette en noir avait disparu. Mais elle était là. Je sentais sa présence maléfique comme je sentais celle de Qui-Gon et de son disciple. J’avançais d’un pas mal assuré vers la porte. Je marchais à deux reprises sur mon manteau. A un moment, j’éprouvais un sentiment de terreur. Je devais repartir. Il le fallait. Il était encore temps. Je ne pourrai supporter d’entrer dans cet endroit. Je ne pourrais supporter les images qui allaient m’assaillir. Je le sentais. Ce sentiment de malaise que j’avais éprouvé pendant toute la durée de ma captivité sur Naboo, juste avant la bataille, cette impression de lourdeur, de perte, ce froid glacial était revenu en moi. Il me transperçait comme le ferait la lame du sabre laser du Sith.
J’avais mal. Une douleur intense, sourde, une douleur à laquelle il fallait que je mette fin parce qu’elle était devenue insupportable. Je ne pouvais vivre avec plus avant. Je ne pouvais plus assumer ce sentiment de culpabilité, de perte, de vide abyssal. Je ne pouvais plus supporter l’absence de Qui-Gon, cette insoutenable absence qui durait depuis près d’un an. Pourtant, j’avais cru pouvoir le faire, pouvoir, le temps aidant, non pas oublier mais en faire de merveilleux souvenirs. Mais c’était impossible.
Il fallait que j’accomplisse ce parcours qui serait le plus difficile de toute ma vie, certainement plus difficile que celui que j’avais emprunté lors de ma détention chez les Sith. Il fallait que je fasse le chemin de mon non-retour, que j’aille au bout de la douleur. Il fallait que je souffre autant qu’il avait souffert afin d’atténuer un peu la peine qui était ma compagne depuis qu’il n’était plus. Ce n’était pas une peine mais bien ce sentiment de vide, d’un arrachement de moi que j’éprouvais depuis sa disparition.
Je n’avais rien surmonté, rien accepté. Je ne comprenais toujours pas pourquoi la Force l’avait rappelé à lui. Non ! Ce n’était pas la Force. La Force était la vie et non la mort. Qui-Gon ne faisait plus qu’un avec elle mais ce n’était pas sa volonté ! Suivant mes convictions, la Force nous portait vers la lumière, pas vers les ténèbres. Sa mort n’avait qu’une seule main. C’était la haine de ce Sith ! C’était ce qu’il voulait lui faire payer parce qu’il était un Jedi, parce qu’il défendait la paix et la justice, parce qu’il m’aimait. C’était cet homme, mon tortionnaire qui l’avait massacré ! Et c’était surtout mon propre sentiment d’avoir, quelque part, armé ce bras vengeur qui me faisait si mal !
J’avançais vers la porte. Je posais mes mains dessus, à travers la silhouette en noir que je revoyais maintenant transparente comme un hologramme de mauvaise facture. La porte était froide, massive, une porte infranchissable comme l’était maintenant ma peur d’avancer. Et pourtant, je le devais. Je devais m’enfoncer dans cette usine que je devinais derrière, comme je l’avais ressentie dans mon rêve, comme je l’avais devinée par la suite, juste après la blessure fatale de Qui-Gon, cette usine que je voyais à travers les portes laser qui isolaient le puits de fusion du reste du complexe.
Rien ne m’arrêterait. Durant ma captivité et depuis ma fuite du vaisseau carcéral avec les deux Jedi, j’avais toujours suivi ma propre voie dans la vie, consciente que de procéder autrement m’aurait brisée depuis longtemps. Cette règle de conduite n’avait pas toujours été facile à suivre, surtout pour une femme prisonnière. Mais j’avais survécu grâce à la succession de minuscules victoires que j’obtenais dans les situations les plus difficiles. Depuis ma fuite avec les deux Jedi, ma vie avait totalement changé. J'aimais et j'étais aimée d'un homme à qui j'avais donné deux enfants. Un homme qui n'hésitait pas à braver les interdits pour rester fidèle à lui-même. Un homme qui refusait de sacrifier son amour à son devoir. Et maintenant cet homme était mort. Je l’avais lâchement abandonné. Je l’avais laissé affronter celui qui m’avait réduite à néant. Je l’avais laissé payer mes fautes, supporter ma propre incapacité à me reconnaître telle que j’étais réellement. Je m’étais réfugiée derrière lui alors que j’aurais du affronter le Sith, ne pas le laisser prendre les coups à ma place.
Je m’étais arrêté, paralysée. Il me semblait avoir vu les trois combattants traverser le hangar. Tout bruit avait disparu. Pourtant, le complexe résonnait d’un martèlement sourd. Il me semblait entendre le bourdonnement des sabres laser et le son caractéristique des lames qui se heurtaient. Une légère odeur d’ozone flottait dans l’air. Mais tout était subjectif. Chaque bruit me semblait amplifié maintenant, chaque vibration était détectable. Je vivais en moi le combat qui s’était déroulé ici. Je ressentais chaque coup au plus profond de moi-même. Je ressentais les joutes de Qui-Gon, autant les coups qu’il donnait que ceux qu’il paraît. Ses attaques se répercutaient en vagues dans mon corps. Je vivais en moi ce combat qu’il avait du livrer. Chaque coup qu’il avait du prendre m’atteignait comme autant de coups de poignard.
Passé la première porte, je longeais un minuscule et étroit couloir sombre, seulement éclairé de veilleuses blanchâtres enchâssées dans les parois et le plafond, sans autre marquage. Je tâtonnais dans l’obscurité. Un peu plus tard, je me heurtais à une autre porte métallique qui portait également le logo du générateur. La porte s’ouvrit. Je ne sus comment cela se produisit mais elle s’était ouverte et j’avançais. J’arrivais sur un étroit surplomb, une sorte de plate forme d’inspection, attenant à une passerelle, protégé du vide par un tableau de commandes. J’étais certaine qu’ils y étaient allés. Je ressentais leur présence, encore plus aigûe que jamais.
Cet endroit ressemblait à un complexe industriel, une sorte d’usine électrique, identique à celle que j’avais vue dans mon cauchemar, la nuit de sa mort. Elle s’étendait sous une sorte de coupole immense dont je ne voyais pas le sommet, plongé dans la pénombre. Un bruit ressemblant à un bourdonnement sourd, légèrement pulsatile, venant des entrailles de la planète attira mon attention. Comme un cœur qui battait, celui de ce monde qui n’avait pas voulu mourir sous les coups de la Fédération du Commerce. Devant moi, à perte de vue, des passerelles métalliques s’entrecroisaient sur plusieurs niveaux au-dessus du gouffre qui semblait sans fond. Elles reliaient entre elles des sortes de larges disques, dotés pour certains d’entre eux, d’un pupitre de commande comme celui où je me trouvais. Des passerelles innombrables se croisaient au-dessus de la fosse gigantesque où étaient placés les deux extracteurs du complexe énergétique de Theed. La salle était éclairée par de puissants rayons lumineux qui semblaient monter des profondeurs vers le ciel, formant des colonnes de lumière blanche animées de mouvements ondulatoires rapides, telle un immense reptile, une sorte de magma de lumière animé d’une vie propre, rythmé par le bruit qui avait attiré mon attention quelques minutes plus tôt. Un cœur ! C’était exactement cela, le cœur de Naboo, son âme, celui de ses habitants, menacés dans leur quiétude, dans leur harmonie par ceux qui avaient décidé pour eux de leur avenir. Au-dessous de moi, il me semblait apercevoir deux lueurs, une rouge et une autre beaucoup plus claire. Mes yeux me faisaient mai. Je clignais des paupières. Les ombres avaient disparu.
Je regardais devant moi, incapable d’avancer. Mes jambes étaient lourdes, me faisaient mal. Les deux Jedi et le Seigneur Noir avaient du s’engager sur cette étroite passerelle d’entretien qui courait autour des canalisations plasmatiques. Je sentais leur empreinte. Il me semblait voir les deux Chevaliers frapper sans discontinuer les deux lames du sabre laser du Sith qui parait leurs attaques sans un seul instant de répit. Je refusais ces images qui se présentaient à mon esprit telles des flashes. J’avais mal, si mal ! Mon cœur était serré. Je ne voulais pas voir mais, malgré moi, mes yeux étaient ouverts, fouillant le moindre recoin de ce complexe comme si je les cherchais, comme si je voulais voir et revoir ces images à les graver dans ma tête. Pourquoi ne rebroussais-je pas chemin alors qu’il en était encore temps ?
En moi, je sentais un appel, une onde douce et chaleureuse. Je savais que c’était l’esprit de Lusiana qui, depuis plusieurs minutes, tentait d’entrer en connexion avec le mien. Mais je le repoussais. J’érigeais entre elle et moi une barrière, celle de ma mort programmée. J’allais vers elle, je ne renoncerai pas. Je devais rejoindre Qui-Gon.
Une immense peur m’envahit soudain. Je me mis à courir sur l’étroite passerelle qui faisait suite au promontoire et m’arrêtais au bord du vide formé par le centre du cercle sur lequel j’étais arrivée. Levant les yeux, je vis une sorte de plate-forme circulaire descendre lentement. Je réfléchis très vite. Elle devait servir d’ascenseur. La suivant des yeux, je guettais le moment propice où elle arriverait à mon niveau. Au-dessous de moi, je vis les deux silhouettes qui couraient sur lune longue passerelle parallèle à celle où je me trouvais. Je fixais mon regard sur eux. Un très léger chuintement me tira de mes pensées. Le disque central qui s’était immobilisé à mon niveau commençait sa descente vers le niveau inférieur. Je devais impérativement sauter au risque de chuter dans le vide. Fermant les yeux, je me lançais et sentis une surface dure sous mes pieds. La plate-forme descendait lentement et s’arrêta au niveau inférieur. Cette fois, j’avais bien attendu le moment opportun et posais le pied sur le surplomb au niveau où les deux hommes combattaient. Mes jambes me faisaient mal. Je rassemblais mes dernières forces pour les rejoindre encore plus vite. Mes poumons me brûlaient. Je manquais d’air. Je n’allais pas assez vite. Au loin, au bout de la galerie, deux hommes se battaient. Je les distinguais parfaitement. Je voyais les étincelles que faisaient les deux sabres laser qui se heurtaient dans leur danse folle. Le combat était d’une intensité rare. Les deux hommes luttaient pour leur vie mais un seul survivrait.
Mon cauchemar reprenait lentement forme devant moi. Ses sinistres images se mettaient en place sous mes yeux. Je me mis à hurler le nom de Qui-Gon et d’un seul coup, les combattants disparurent. Je me mis à courir. Je glissais sur le revêtement trop lisse du sol.. Devant moi, au loin, je voyais scintiller les portes magnétiques. Un halo rouge qui disparaissait par intermittence. Le puits était situé au fond d’un couloir inondé d’une lumière rougeâtre, contrôlé par une série de barrages laser mortels qui s’activaient toutes les deux ou trois minutes. Les rayons laser se croisaient brusquement en différents points du couloir, pour former six cloisons d’énergie mortelle. Conformément au respect qu’avaient les Naboo pour les traditions, les six portes d’électrons faisaient référence à une légende ancienne selon laquelle le Chaos était confiné derrière six portes inviolables afin de protéger le monde.
Le grondement sourd du générateur rythmait mes pas tel une musique sombre et martelait le cri que je retenais en moi. Au loin, je voyais la silhouette en noir, virevoltant, bondissante. Sa lame rouge qui frappait et frappait encore. Devant lui, je distinguais les longs cheveux de Qui-Gon. Il résistait à ses attaques. Sa lame verte brillait alors que résonnait le bruit si particulier de leur choc qui me vrillait les tympans.
-Attends-moi ! Attends-moi !
Je m’arrêtais subitement. Autour de moi, les puis de lumière et le silence du complexe. Un silence de mort. J’étais arrivée devant la première porte magnétique. J’entendis le bruit particulier de l’onde. Le silence était accentué par le bruit intermittent du mécanisme des portes laser. Je me frottais les yeux. Les combattants avaient disparu. J’étais seule. Qui-Gon était parti et m’avait laissée derrière lui. J’étais si seule, si seule depuis un an ! Un froid lancinant me glaçait. Je fermais les yeux.
« Noooon ! N’y vas pas ! Noooooooon »
J’avais hurlé ! Non ! Une autre voix l’avait fait. Une voix forte mais douce. Mon esprit douloureux tentait de l’identifier. Lusiana tentait désespérément de me retenir. Je ressentais son angoisse à travers le flux de la Force.
-Non ! Laisse-moi ! Je ne veux pas.
La barrière laser s’ouvrit et je le vis. Qui-Gon était agenouillé devant moi, derrière ce rideau rouge. Il avait la tête légèrement baissée. Je le fixais, tremblante de peur. Il releva la tête, semblant regarder son adversaire. Je me redressai, tentais d’entrer en contact avec lui par la pensée. Je tremblais de frayeur. Je le savais, je l’avais vu. Cela allait arriver. Je le refusais de toutes mes forces. Devant lui, déformé par le faisceau, le Sith faisait les cents pas. Je sentais son regard, sa haine. Sa haine froide, implacable. Je me frottais les yeux pour échapper au regard du Sith. Mais il n’y avait personne. Tout était dans ma tête. Pourtant, ces images me semblaient si réelles.
Vite ! Vite ! Mon cœur battait de plus en plus vite. J’allais réussir à le rattraper. Je devais l’empêcher d’aller plus avant. Je fonçais pour me retrouver coincée derrière l’avant dernière porte laser qui se referma brusquement devant moi. Je sentais l’angoisse remonter en moi. Pourtant j’étais seule dans ce complexe. Tout était très sombre, seulement souligné par le halo rouge des portes et le rebord marqué de lumière du puits, juste derrière les deux combattants qui avaient disparu.
Je m’étais agenouillée à l’endroit que Qui-Gon venait de quitter. Je sentais son empreinte. Il combattait le Sith devant moi mais il était inaccessible. Il me semblait voir le visage du Sith. Un masque de haine, le Mal à l’état pur. Ses yeux jaunes luisaient d’un éclat démoniaque. D’immenses yeux jaunes dans la pénombre de ce lieu.
« Vous allez mourir tous les deux avec la petite salope et ensuite, ce sera votre Conseil de minables puis la Galaxie tout entière. Enfin, j’aurai ma revanche…. »
Il me semblait entendre les paroles vengeresses du père de mon fils. J’avais froid, je tremblais, vivais ce combat en moi. J’avais joint les mains et implorais dans une ardente prière, la Force d’aider Qui-Gon.
Devant moi, les images de mon cauchemar se superposaient avec une précision diabolique. Etait-ce vraiment un cauchemar ? La réalité ? Je ne savais plus. J’étais dissociée. Je voyais Qui-Gon reculer sous les attaques du Sith. Je gémissais sourdement, les mains crispées sur mes lèvres. Mais ce n’était que des images. Je murmurais d’une voix inaudible –ne recule pas sur lui-. La peur me submergeait. Un coup horrible en moi. Il me sembla voir le Sith reculer légèrement et, en une fraction de seconde, lui plonger sa lame rouge dans le corps, sans que Qui-Gon n’ait pu esquisser un seul geste pour se défendre. Sa tête était tombée en avant. Il avait vacillé. Il avait lentement glissé à terre.
Non ! Ce n’était pas possible. Ce n’était pas vrai. Ces images que je refusais n’étaient pas réelles. Cela n’était pas arrivé. C’était un horrible cauchemar. Mon cauchemar qui revenait me hanter. J’allais me réveiller, le sentir près de moi, contre moi. Il allait me prendre dans ses bras, me rassurer, me protéger comme il le faisait depuis que je le connaissais. J’allais poser ma tête sur son épaule, dans ses cheveux.
J’ouvris la bouche pour crier mais aucun son ne sortit. Je ne rêvais pas. Tout était si réel, si horrible. Cela me tombait dessus comme des épées de glace. Et pourtant tout se passait dans mon esprit, dans mon cœur. J’avais terriblement froid, un froid glacial. Je sentis que mon cœur s’arrêtait de battre et je glissais sur le sol en gémissant sourdement, les yeux grand ouverts, agrandis d’effroi, paralysée de terreur, les mains tendues devant moi comme si je pouvais repousser le sabre rouge du Sith.
Il me semblait voir vu le visage de Qui-Gon pétrifié de douleur. Il me sembla l'avoir entendu crier.
-NOOOOOON !
Impuissante, pétrifiée de douleur, j’avais ressenti le coup fatal, la lame du Sith dans mon propre corps, fouillant mes chairs, aussi douloureusement que si j’avais été touchée moi-même, le choc qui précède la mort. J’entendis un hurlement qui résonnait comme si le cœur d’un être avait été arraché de sa poitrine, un cri déchirant, inhumain et je me rendis compte que c’était moi qui poussais ce cri atroce.
Je me souvenais ensuite de mon arrivée ici-même, au moment où Obi-Wan était en larmes, penché au-dessus de Qui-Gon qui venait de mourir. J’avais hurlé son nom. Obi-Wan s’était relevé et s'était précipité vers moi. J’avais couru vers Qui-Gon pour l’arracher à la mort. Obi-Wan avait tenté de me retenir. Je m’étais débattue et j’étais tombée sur le sol. Je me souvenais m’être précipitée vers Qui-Gon. Je m’étais laissée tomber près de lui. J’avais délicatement soulevé sa tête de mon bras et le regardais, impuissante, les larmes coulant de mes yeux. Je ne pouvais parler. J’avais le cœur pris dans un étau de glace. Son pauvre visage crispé me faisait si mal.
Je m’étais légèrement écartée de lui et avais pris ses mains que je serrais entre les miennes. Je voyais son visage douloureux à travers mes larmes et sa blessure, cette horrible blessure. J’essayais de ne pas la regarder. Je m’approchais de son visage et je l’embrassais encore, tentant de lui redonner un souffle de vie. Mais c’était fini. Il était parti. Il était mort et je n’avais rien pu faire. Puis Obi-Wan m’avait doucement arrachée à Qui-Gon et m’avait entraînée avec lui.
Fuyant mes souvenirs, je m’étais allongée sur le sol, à l’endroit même où Qui-Gon était tombé. Mes doigts malhabiles fouillaient le sol à la recherche de quelque chose qui le ramena. Je grattais le revêtement métallique à m’en faire saigner les doigts, comme si je m’accrochais encore à lui. Je l’appelais d’une voix tremblante. Mes larmes coulaient. J’avais mal, si mal. Je perdais totalement pied. Ma vie, encore une fois, venait de prendre fin ici, devant ce puits de fusion. Le puits de fusion ! Qui-Gon avait péri ici, à cet endroit précis, un an auparavant ! Je devais faire de même. Je ne devais pas lui survivre. Je ne pouvais continuer, sans lui, cette vie à laquelle il m’avait fait renaître. Tout était fini.
Pourtant, j’avais cru pouvoir tenir. J’avais cru m’en sortir. J’avais cru trouver dans l’amour de mes enfants, de Lusiana, dans la Force, dans l’apprentissage que je recevais depuis plus d’un an, un réconfort, l’appui indispensable. J’aurais du, grâce à la Force, surmonter cette épreuve. L’enseignement de mon Maître n’était pas en cause. L’amitié indéfectible de Lusiana non plus, mes enfants encore moins. C’était mon refus d’aller de l’avant, d’accepter la réalité, la certitude. La cruelle vérité était là, évidente. Je ne pouvais continuer sans lui. Même mes enfants ne me retenaient pas. Pour moi, la route s’arrêtait là, à l’endroit précis où s’était arrêtée celle de Qui-Gon. J’étais toujours prostrée sur le sol, anéantie de peur et de douleur. J’étais secouée de sanglots convulsifs. Je gémissais sourdement en appelant Qui-Gon d’une voix tremblante.
Je repris ensuite mes esprits et levais la tête. Il était temps de le rejoindre, d’avoir, au moins une fois dans ma vie, le courage d’aller au bout de mon combat. Je me relevais et m’avançais lentement près du bord du puits. Je marchais comme un zombie, un pas devant l’autre, un pas puis un autre. Je ne voyais pratiquement plus le puits à travers mes larmes. Il fallait que j’en finisse et vite. Je sentais que Lusiana était là, par son esprit, par sa douceur. Je la sentais non loin de moi et pourtant je voulais lui échapper. Je ne souhaitais pas qu’elle me vit me jeter dans le vide. Elle ferait tout pour me retenir. Elle ne devait pas le faire. Je devais aller jusqu’au bout. Je devais la prendre de vitesse si elle me retrouvait.
Je me penchais et regardais en bas. Dans le fond du puits, dans cette immensité noire, je vis le visage de Qui-Gon ou plutôt l’océan bleu de ses yeux. L’océan de ses yeux ! Ses yeux si merveilleusement bleus, ses yeux qui se posaient sur moi avec tant de tendresse et d’amour. Ses yeux qui s’étaient refermés alors que j’étais loin de lui. J’allais y plonger, m’y noyer. Plus rien ne m’arrêterait. Surtout personne. C’était mon seul choix, le seul possible désormais. Tout était paradoxal. Je me laissais emporter. C’était trop tard. Je ne pourrai jamais revenir en arrière. C’était la seule issue pour faire cesser cette souffrance intolérable.