Le jour pointait tout juste sur la petite lune verte d'Endor. Le soleil jouait à travers les branches des arbres géants, chatouillant d'un rayon taquin le museau d'un kawak, pelotonné dans la chaleur douillette de son terrier, au creux d'un tronc. Les premiers chants des oiseaux raisonnaient déjà. D'un nid à l'autre, on s'appelait. On secouait ses plumes, attentif aux réponses de ses congénères, qui faisaient connaître leur présence. On se réveillait doucement en s'étirant pour sortir ses muscles de leur léthargie de la nuit. Les plus affamés sortaient déjà en quête de quelques baies ou noix, à moins qu'un ver ou un coléoptère n'ait la bonne idée de passer à portée du bec. C'était l'aube qui se levait, une journée toute neuve qui naissait, saluée de la même façon depuis les origines. Dans un joyeux tintamarre, la forêt sortait de sa torpeur nocturne pendant que les noctambules regagnaient leurs pénates pour prendre un repos bien mérité.
Le petit satellite d'Endor, lors du terrible chambardement qui avait fait naître le système, avait reçu à profusion les conditions idéales pour que naisse la vie. Sa planète-mère, qui avait donné son nom à sa petite lune vivante, était restée par contre à jamais stérile. Elle était noyée dans de lourdes couches de gaz. Et parmi les seize satellites de la géante gazeuse, seul un avait bénéficié de cette effervescence qu'engendrait la vie. Le soleil, avec l'aide de la Force, avait pu y accomplir ce miracle. Il inondait doucement de sa lumière nourricière le petit satellite perdu aux confins de l'univers. Une multitude d'espèces et de races avaient pu voir le jour au fil des révolutions qui rythmaient les saisons. C'était ainsi qu'une espèce s'était développé et avait prospéré. Elle était devenue prédominante, pour y avoir développé une intelligence supérieure. Ces petits plantigrades avaient construit des abris de plus en plus élaborés au point de devenir de véritables maisons qui formaient un village en hauteur dans les arbres, pour se protéger des prédateurs. La Force ne leur avait pas donné de griffes aiguisées ou la rapidité. Mais elle les avait dotés d'une arme bien plus redoutable, la malice. Et ils s'étaient organisés en communauté et avaient développé un langage et une vie sociale.
La petite tribu vivait comme toutes les autres espèces animales et végétales, au rythme des saisons. A chaque aube recommençaient les mêmes gestes millénaires. Le lever du soleil était le signal du début de la journée de travail, comme son coucher marquait invariablement le début du repos. Mais ce matin était particulier. Les ewoks ne se levaient pas. Les premiers rayons de lumière avaient réveillé la forêt, mais les ewoks saluaient la nouvelle journée par leurs ronflements. Une fois n'était pas coutume. Les événements de la veille les avaient totalement épuisés. Sans qu'ils s'en rendent vraiment compte, ils avaient été l'un des éléments décisifs dans l'ultime bataille qui était déroulée dans leur ciel. Ils n'avaient pas mesuré la portée de la décision qu'ils avaient prise de se ranger contre l'Empire aux cotés des forces de l'Alliance Rebelle. Ils étaient devenus ainsi des héros dans la victoire qui venait de bouleverser le destin de la galaxie entière. Il est vrai que les concepts même de galaxie, de voyage à travers les étoiles, les dépassaient. Leur univers se limitait à la forêt, ce qui était déjà immense pour des plantigrades d'un mêtre de haut, aussi malicieux furent-ils. C'est pour cela qu'ils n'avaient pas compris grand chose quand ils avaient vu d'innombrables vaisseaux descendre du ciel. Poussés par la curiosité, Ils s'étaient approchés et avaient vu les étrangers abattre les arbres et construire des bâtiments bizarres, dans des matériaux qu'ils ne connaissaient pas. Ils auraient bien voulu en savoir un peu plus, mais les étrangers ne l'entendaient pas de cette oreille. Il avait bien fallu se rendre à l'évidence qu'ils n'étaient pas très communicatifs, et n'avaient pas très grande envie que l'on vienne se mêler de leurs affaires. Au besoin, leurs armes avaient fini de convaincre les oursons les plus curieux. Finalement, les humains en armure blanche restaient dans leur coin et ne gênaient pas ou très peu les ewoks dans leurs activités. Chacun se mêlait de ses affaires. La tribu avait décidé que les étrangers ne pourraient rien leur apporter de bon. Ils ne faisaient pas partie de leur monde. Leur présence les troublait bien un peu, mais la vie quotidienne avait rapidement repris ses droits. Il y avait bien quelques patrouilles qui circulaient sur des engins étranges et rapides comme des éclairs, et bruyants comme tous les démons du ciel. Mais en règle générale, cela n'entravait pas la chasse, et donc, on pouvait continuer à vivre dans cette atmosphère de mutuelle ignorance. Les ewoks avaient renoncé à comprendre ce qui se tramait dans la forêt. Ils se posaient bien quelques questions sur l'étrange chose qui se construisait dans le ciel. Mais les moyens des transports des soldats et leurs activités n'avaient rien de naturel. Il ne pouvait s'agir que de grands sorciers pour voler au-dessus des arbres sans être des oiseaux. Ils étaient plus puissants encore que les dragons. Le sorcier du village lui-même, n'avait que peu de réponses à apporter à ses congénères, même s'il adoptait toujours ce ton autoritaire et dogmatique. Les armes que les étrangers possédaient étaient aussi la preuve de l'immense pouvoir de sorcellerie qu'ils possédaient. Il valait mieux les laisser tranquilles dans leur coin, si on ne voulait pas s'attirer les foudres de leur colère. D'ailleurs, les troupes impériales considéraient les ewoks comme une quantité négligeable dont on n'avait rien à redouter. Il suffisait de les tenir à distance et le tour était joué. Que pouvait craindre le puissant Empire Galactique d'une bande d'oursons primitifs ?
Un jour, pourtant, d'autres étrangers étaient arrivés. Ceux-là étaient différents. Ils se cachaient des premiers. Ils étaient moins nombreux, et moins malins, aussi. Il fallait avoir moins de cervelle qu'un golahm pour se laisser ainsi prendre au piège. Mais puisqu'ils avaient eu la maladresse de se laisser prendre, autant les manger. Apres tout, ils étaient du gibier comme un autre. Par contre, ils étaient accompagnés du dieu d'or. Et quand la jeune femelle avait protesté, l'idée de la manger elle aussi, leur avait traversé l'esprit. Mais le dieu d'or avait déployé sa magie, bien plus puissante que celle des soldats-sorciers en armures blanches. Et il avait fallu s'incliner. Le dieu d'or parlait leur langue. Il leur avait raconté toute l'histoire des étoiles, une histoire merveilleuse comme celle des anciens à la veillée. Elle était peuplée de braves guerriers au grand coeur, et de méchants diaboliques. Mais tout cela ne concernait pas les ewoks. Qu'iraient-ils faire dans les étoiles ? Tout cela était bien loin d'eux...
Certes, les soldats de l'Empire avaient un peu empiété sur leur territoire. Mais il y avait de la place pour tout le monde, la forêt était bien assez grande. Mieux valait laisser les étrangers se débrouiller entre eux. Mais la jeune femme avait eu le mot adéquat pour les convaincre. Et puis c'est une bonne occasion de s'amuser. Une petite bande d'exaltés était alors partie à l'assaut impossible du bunker. Puis il y avait eu cette formidable explosion dans le ciel. L'étrange chose qui s'y était installée, avait illuminé la forêt comme un véritable feu d'artifice de milliers d'étoiles. Les ewoks n'avaient pas bien saisi l'enjeu de la bataille. Ils n'avaient pas vraiment compris qu'en aidant le petit commando rebelle, ils étaient entrés dans la grande histoire de la galaxie. Mais ce qu'ils avaient compris, c'est que personne ne viendrait plus couper les arbres.
Le calme était revenu sur Endor. Les installations impériales allaient être rendues à l'abandon de la jungle. Il n'y avait plus grand chose à y faire, il avait fallu les faire exploser pour couper l'alimentation du champ de protection de l'Etoile Noire. La nature reprendrait rapidement ses droits, et l'aventure que venait de vivre la petite tribu irait rejoindre les légendes millénaires que les anciens raconteraient à la veillée. Ce ne serait plus qu'une parenthèse dans la vie forestière du petit satellite. Et cette journée si extraordinaire pour toutes les espèces de la galaxie était saluée de la façon la plus simple du monde, la plus ordinaire, par les trilles joyeux des oiseaux qui ne troublaient même pas le sommeil lourd des dormeurs du village accroché aux arbres.
Les brumes matinales s'accrochaient et se déchiraient aux branches des arbres géants, aube ordinaire d'un matin extraordinaire. La fraîcheur humide de cette aurore nouvelle donna quelques frissons à la silhouette silencieuse qui marchait à pas de loup sur les passerelles de bois qui enjambaient les précipices entre les arbres. Elle se faufilait doucement entre les huttes, prenait garde de ne réveiller personne. Ses compagnons avaient livré tant de bataille, qu'enfin, ils pouvaient se reposer, sans craindre une alerte hurlant au milieu de la nuit, sans craindre de voir les plafonds de glace s'écrouler sur leur tête, sans craindre de se retrouver sans la ligne de mire d'une base sidérale surpuissante. Elle-même, depuis si longtemps, elle n'avait fait que dormir que d'un œil. Et le calme retrouvé lui faisait, soudain, peur. Depuis tant d'année, sa vie n'avait été faite que de lutte, de fuite, de caches secrètes. Aujourd'hui, elle aurait pu dormir, mais il lui manquait quelque chose. Il lui manquait ces bruits de machines, de moteurs de vaisseaux. Ces bruits lui étaient devenus à ce point familiers que son oreille les cherchait comme point de repère, pour se rassurer, comme si l'ambiance si anormale des bruits de la guerre était devenue normalité.
La lumière pointait à peine entrée les branches de verdure entrelacées. Elle respirait à pleins poumons l'air saturé des senteurs sauvages de la forêt endorienne. Elle réalisa soudain qu'elle était bien incapable de les identifier. Elle était plus habituée à respirer les gaz des hangars, les relents d'oxyde de carbone et l'air en conserve de la climatisation des différentes bases secrètes où elle avait du se cacher. Les senteurs naturelles de bois, de fleurs, d'humus, qui affluaient à ses narines lui étaient inconnues. Elle découvrait ces fragrances si simples de la forêt. Elle s'émerveilla de ce que ce matin nouveau lui offrait. Enfin elle avait le temps, le temps de regarder, d'écouter, de sentir et de toucher. Elle réalisait, qu'au-delà de toutes les idées politiques et philosophiques qu'elle défendait depuis qu'elle avait été élue sénateur, elle s'était aussi battue pour cela, pour la lumière délicate du jour qui se lève, pour les chants des oiseaux et les cris des animaux, pour une fleur délicatement parfumée. Elle s'était battue certainement pour la liberté de penser, de lire, d'écrire, mais aussi pour la beauté de tous les paysages de la galaxie qu'on avait si souvent oubliées de regarder.
Elle sursauta. Une branche avait craqué derrière elle. Ce n'était qu'un petit rongeur venu se repaître des reliefs des festivités de la veille. Assis sur ses pattes de derrière, il tenait entre ses petits doigts griffus une noix. Il la fixa de ses yeux globuleux disproportionnés par rapport à sa petite tête qui s'effilait vers le museau. Il lui fit une grimace en remontant ses babines découvrant de redoutables incisives. Puis il s'éloigna en déployant ses ailes de peau qu'il avait dû emprunter à quelque chauve-souris. Elle sourit en soupirant. Qu'elle était stupide ! Qu'avait-elle à craindre maintenant ? Elle avait beau se dire que tout était fini (ou presque...), qu'elle ne craignait plus rien, elle avait vécu tant d'années sur ses gardes, qu'à chaque bruit, chaque brindille qui craquait, chaque feuille morte qui tombait, elle s'attendait à voir surgir les uniformes blancs des commandos impériaux. Elle reprit son chemin après avoir observé un instant le vol souple du lymparo qui emportait son butin vers un endroit plus tranquille. Au loin, une source chantait doucement. Les délicates petites notes chantées par le liquide qui ricochait sur les galets arrondis du lit qui naissait, invitaient joyeusement les habitants de la forêt à se désaltérer. La petite mélodie informait inlassablement de la présence de l'eau salvatrice.
Sans qu'elle s'en rendit compte, Leia était arrivée auprès des cendres du bûcher, où Luke avait déposé la veille la dépouille noire de leur père. Devant les volutes de fumée grise qui s'échappaient encore, elle eut une réaction d'effroi. Jamais Vador ne serait son père ! Son père était mort ! Il était mort de la main même de celui qui avait été à l'origine de sa vie.