Je n'ai aucun souvenir distinct des jours suivants. Mon esprit, mes sens, ma raison, étaient bridés. A la place, je ne ressentais que ce bonheur cruel, cette excitation sauvage, du prédateur traquant sa proie. Au départ, je chassais pour me nourrir, maintenant, je chasse pour le plaisir. Pour le plaisir de tuer. Mais pourquoi tuer ? Ce n'est pas parce que je suis sans cœur, sans pitié… Non… Parce que cela me semble être dans ma nature… Je chasse parce que la nature m'a doté des qualités du chasseur, et d'un plaisir fou à déchiqueter le corps des animaux. Mon garde manger, établi à l'ombre de l'arbre où je me suis réveillé, ressemble plus à un trophée qu'autre chose.

Je me sens vide. Vidé. Anéanti. J'ai perdu tout espoir de retrouver un jour la civilisation. Je me contenterai de vivre ici, dans cette forêt, plus sauvage et meurtrier que toutes les bêtes qui vivent dans cette forêt. Car je suis féroce, le plus féroce d'entre tous dans cette forêt. Je ne peux pas expliquer cela, mais je me sens… Invincible. Non. Pas invincible. Indestructible. Je sens que tous les animaux me craignent et ne veulent pas croiser ma route. Et moi, cruel, je me jette sur eux, ne leur laissant aucune chance. Et plus je les fais souffrir, plus je prends du plaisir. Quelle horreur ! J'ai honte. Honte de moi. Honte de ce que je suis. Honte de ne pas pouvoir arrêter ce massacre. Ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais… Non. Rien à faire. Tel le toxicomane, je suis dans l'incapacité de m'abstenir de massacrer. C'est ma… nature…. Et pourtant je ne veux pas le croire.

C'est pourtant le cas. C'est ma nature. Je suis né pour prendre plaisir à tuer. Mais est ce du plaisir ? J'ai l'impression qu'à chaque fois que je tue, je souffre moins… Mais dès que je m'arrête, cette souffrance atroce qui me déchire me reprend… C'est horrible… Je ne peux rien faire, je suis impuissant. J'ai peur d'affronter ma peur, peur d'affronter ma douleur. J'ai peur de tout, de cette forêt… Et surtout de moi… Jusqu'où suis-je capable d'aller ?

Malgré toute ma volonté, il m'est impossible de faire partir cette douleur liée à mon ignorance. Elle m'empoigne, me déchire, me brise, et me laisse, pantelant, hurlant, comme à mon habitude, ma rage et mon désespoir. Je suis enragé, oui. Dire que je suis en colère serait un euphémisme. C'est pire que cela. Cette rage engendre la tristesse… C'est ce que je ressens… Et c'est pour cela que je tue. C'est la seule activité qui me procure du plaisir, et le plaisir est le seul moyen de brider la douleur… Le problème étant que je culpabilise, et cette culpabilité fait renaître en moi cette souffrance, plus puissante, plus atroce encore… Un cercle vicieux dont je ne sais comment je pourrai m'en sortir. C'est impossible. Impensable. Je suis destiné à vivre avec cela toute ma vie. A moins que quelqu'un me trouve… Ca y est. L'espoir qui renaît, et avec lui, toute ma souffrance s'amplifie. Combien de lunes ai-je vu passer ? Combien d'étoiles ai-je comptées ? Combien de fois ai-je regardé l'aube ? Je ne saurais le dire, mais il me semblait que j'étais ici depuis une éternité. Et pendant cette éternité, je n'ai jamais vu personne. Rien… Je hurle. Je rugis. J'agonise, déchiré de toutes parts. Je souffre, je n'ai jamais souffert comme cela. Je meurs…