Aïgal s’engagea dans la ruelle. C’était une passe sombre, vaguement éclairée çà et là par les reflets bleutés lancinants de quelques néons épars. La nuit était à présent pleinement tombée sur la cité, bien que l’animation des bars environnants n’eût pas faibli. Au contraire, la faune interlope affluait en abondance dans les bas-fonds. Les trafiquants en tout genre se disputaient l’argent des indigents ayant échappé aux rackets des malfrats. Partout, les intrigues, les débauches et les vicissitudes contentaient les uns, fâchaient les autres. Elle n’avait néanmoins cure de toute cette agitation, perdue dans ses songes. Le calme relatif de la zone où elle déambulait suffisait à son recueillement.
La ruelle l’emmena jusqu’à une petite place obscure, apparemment déserte. Des parois la cernaient de tous côtés à l’exception d’une petite allée partant timidement au fond à gauche. Des passerelles surplombant l’endroit contribuaient à masquer les rares sources lumineuses, donnant au décor un aspect sinistre. Le parfait endroit pour une embuscade…
« Bonsoir jeune Jedi ! »
Aïgal tressaillit. La voix venait d’une ombre adossée au mur connexe à l’allée du fond. Il ne lui avait pourtant semblé y voir personne l’instant d’avant. L’ombre s’avança d’un pas nonchalant, et un rai de lumière blafard éclaira le visage de l’inconnu. Il avait le visage pâle, la peau presque blanche, d’où ressortait un regard perçant aux yeux cernés de noir, dont la prunelle anthracite brillait dans un reflet d’eau trouble portant tout le mystère de l’âme obscure du serviteur de la Sith. Son corps svelte s’épanouissait dans un fin kimono de coton noir, boutonné sur le côté. De larges pans de tissu partant de sa ceinture retombaient sur ses jambes, les caressant dans le glissement silencieux d’un souffle d’une faible brise nocturne. Sur le côté brillaient les gardes jumelles courbées de deux sabres lasers.
Loss Raw avait attendu sa proie des heures durant, patiemment, tapi dans l’ombre. Son Maître l’avait envoyé sur Nar Shaddaa séduire cette jeune femme candide dotée d’une maîtrise de la Force exploitable. Un nouvel apprenti potentiel. Il offrit un sourire à Aïgal et reprit.
« Tu as peur. Ce sentiment émane de ton esprit, je le sens. »
La jeune femme eut un mouvement de recul. Cet homme sombre ne lui inspirait aucune confiance. Etait-ce l’un de ces ennemis invisibles dont lui avait parlé Quinlan ? Où était-il à présent ? Il l’avait quitté quelques heures plus tôt.
« J’ai beaucoup à faire… »
Il avait repris son air froid, celui qui présageait du plus grave… Et maintenant, elle se retrouvait en face de cet être étrange, il lui semblait comme être réduit au pire de lui-même, cela se lisait dans l’agonie de son corps…
« Respire pleinement ta peur. Laisse-là t’imprégner, savoure-là, découvre ses vertus ! »
« Laissez-moi tranquille ! » s’exclama Aïgal, reculant à nouveau d’un pas.
Mais le Sith assaillit de plus belle. Un pas en avant, de nouvelles paroles provocatrices. La jeune femme était presque acculée au mur. Continuer de l’oppresser, hanter son esprit, atteindre son âme, la plonger dans le Côté Obscur de la Force…
Aïgal transpirait. Elle sentit soudain avec effroi le mur toucher sa main. Elle était acculée. Le trouble envahissait son esprit. Ses pensées s’obscurcissaient. Elle ferma les yeux, des larmes perlaient à ses paupières… C’était comme si sa peur venait de se matérialiser en un homme déchu. Elle se refusait à admettre que quelqu’un puisse autant s’être dénaturé, et c’était cette ingénuité qui la rendait vulnérable. Le Sith eut un sourire mauvais.
« Laisse-là tranquille ! »
Loss Raw s’interrompit. Il lança un regard de haine vers l’agaçant importun qui s’immisçait ainsi dans la confrontation. Puis il le reconnut. C’était Quinlan Vos, un Jedi déviant, sur lequel son Maître fondait aussi quelques espoirs. Son visage se recomposa en un sourire narquois.
« Tiens ! vous ici Maître Vos ? j’étais en train d’expliquer à votre jeune amie les dangers de se promener ainsi seule la nuit, dans des ruelles obscures et mal famées. »
« Je ne vois ici qu’un danger pour sa sécurité. C’est celui que tu représentes. »
D’un bon, Quinlan descendit de la passerelle d’où il surplombait la scène. Le regard menaçant, il fit face à Loss Raw, qui dardait en retour un sourire cruel au Jedi.
Les deux hommes commencèrent à marcher en cercle, se défiant des yeux, s’adressant des mots aiguisés comme des dagues. Finalement, le Sith tendit sa main doucement vers Aïgal. Quinlan sentit la menace. Il sortit son sabre et bondit sur son adversaire. Loss Raw activa les siens et contra l’attaque du Jedi. L’écho du crissement des lames se répercuta dans la ruelle.
« Toujours aussi prompt à sortir le sabre Maître Quinlan… dis-moi, Aïgal, ton Maître t’a-t-il enseigné sa manière expéditive de résoudre ses problèmes ? » lança Loss Raw tout en contre-attaquant d’un mouvement des poignets.
Quinlan abattit son sabre contre les lames meurtrières du Sith, parant à son tour.
Aïgal resta silencieuse, absourdie, tout venait de basculer. Elle entrait dans un monde qu’elle ne connaissait pas. Elle ne percevait que l’agressivité et la volonté de faire mal derrière ces paroles.
Loss Raw esquiva une nouvelle attaque de Quinlan. Les deux hommes formaient à présent un triangle parfait avec Aïgal.
« Son sens de la … ‘négociation’ à mon égard n’appartient pas vraiment aux techniques habituelles d’un Jedi… »
« Ravale ton venin, vipère ! on ne négocie pas avec les Sith ! » coupa sèchement Quinlan, le regard noir, en contrant une double attaque du Sith à hauteur de la tête.
« Ton Maître n’a vraiment aucun sens du dialogue courtois. »
Le Jedi noir décroisa ses sabres, arrêtant une attaque sur son flanc gauche pour enchaîner de l’autre sabre par une attaque basse.
« Et…T’as-t-il appris le Code? Il est l’un de ceux qui en a transgressé toutes les règles. »
« Aï, cet homme ne doit avoir aucun impact sur toi, il ne cherche qu’à te provoquer. »
Quinlan sauta pour éviter la lame rouge de Loss tout en armant son bras, puis lança dans un cri une attaque puissante vers l’épaule gauche de son adversaire. Celui-ci fléchit la jambe opposée et balaya verticalement devant lui de son sabre droit pour contrer l’attaque. Les lames s’entrechoquèrent dans un hurlement d’énergie.
« Aïgal ! joli nom pour une Jedi. Quand Maître Quinlan t’aura enseigné le côté obscur de la Force, tu seras nommée Darth, hmm il faudra trouver qulque chose d'aussi joli que ce prénom! Et tu dirigeras la galaxie à nos côtés. »
« Jamais ! » cria la jeune femme. « Quinlan me préserverait de lui-même s’il sombrait.»
A cette phrase, le visage du Sith s’anima d’une expression de joie sadique. Celui du Maître Jedi s’assombrit. Les deux adversaires avaient repris de la distance, les sabres en garde. Quinlan se trouvait maintenant entre Loss Raw et Aïgal.
« Vraiment ! Oh, mais peut-être a-t-il omis de te raconter ce qu’il a fait sur Ryloth, quand il a tué l’oncle de sa Padawan comme ça ! » minauda le Sith, envoyant une puissante salve d’éclairs de la Force obscure, dans un sourire de jubilation sadique.
Quinlan se cabra pour résister aux éclairs. Son regard exprimait à présent une haine meurtrière. Aïgal reçut une partie de la décharge, tombant en arrière dans un cri.
« Tu n’aurais pas dû. » Vociféra le Maître Jedi. Déjà, il avait levé sa main libre pour riposter de manière semblable.
« Quinlan! » hurla Aïgal, qui sentait au plus profond d’elle-même que quelque chose venait de se briser en lui.
Mais le Jedi avait lancé sa salve d’éclairs sur le Sith qui l’avait reçu dans un rire dément. Il s’élançait à présent vers Loss Raw, armant une attaque violente, le cœur enragé. Le choc des lames créa une décharge d’énergie phénoménale qui illumina le visage des deux hommes et projeta des gerbes d’éclair en tous sens dans la place. Aïgal était bouleversée, elle voyait l’homme qu’elle aimait saisi par la violence brute, une violence que rien ne pourrait arrêter, elle se sentait totalement impuissante, des sanglots lui obstruaient la gorge. Elle qui ne pleurait jamais… Elle se concentra, écouta son cœur battre et plongea dans ses propres tumultes, elle avait l’impression absurde qu’en elle se trouvait la clé, celle qui arrêterait ce massacre. Elle vit le visage du Sith en elle, ce visage déformé par la haine. Qu’adviendrait-il si l’homme qui les avait agressés obtenait gain de cause ? Ils seraient plongés dans les ténèbres… Elle ne pouvait pas croire qu’elle se laisserait happer ainsi par tant de haine, de colère, ni de mépris… Elle ne pourrait jamais admettre que qui que ce soit ait perdu son humanité à ce point. Et c’est ce fol espoir qui l’arracha à elle-même, qui lui permit d’user de la Force. Elle toucha l’esprit de Quinlan, s’offrit à lui dans toute sa lumière. Vos pu sentir à son tour ce qu’Aïgal avait à peine touché du doigt : un soupçon, presque imperceptible, de quelque chose qui s’opposait à la haine, refoulé au fond du cœur, au-delà du voile d’obscurité. Il y avait quelqu’un d’autre derrière ce personnage noir et cruel. Une petite flamme que des années de colère dans l’étreinte de la Force obscure n’avaient pas réussie à étouffer totalement. Elle avait senti l’ange brisé derrière l’ange déchu, l’âme triste derrière l’assassin cruel.
Aïgal s’était relevée alors que Quinlan contrait d’un enchaînement calculé les deux attaques décalées envoyées par le Sith.
Le visage de Quinlan retrouva un peu de sérénité. La haine avait fait place à un regard dur et froid, déterminé. Il lança une nouvelle attaque, longue, massive. Loss Raw la contra calmement dans un mouvement rapide et précis.
Le sourire s’effaça totalement du visage du Sith. Il ne dit rien, s’efforçant de ne pas laisser paraître le trouble que ce brusque changement de situation avait réveillé en lui. Ses sabres partirent dans une nouvelle attaque. La dextérité exceptionnelle de ce bretteur les accompagnait encore, mais la rage qui rehaussait leur puissance meurtrière s’était évanouie. Loss Raw essayait de détourner son regard des yeux de Quinlan et Aïgal fixés sur lui, exprimant un élan de compassion insoutenable et selon lui absurde pour son esprit déchiré. Le vrai combat n’était plus dans l’affrontement des sabres spectaculaire et intense. Il était dans l’affrontement des sentiments, la bienveillance contre la haine. Car il avait ressenti de façon très lointaine cet échange télépathique entre ces deux êtres liés par un amour incroyable. Et le Jedi déchu ne pouvait gagner sur ce terrain. Il le sentait. Il s’élança finalement dans une dernière attaque dans un grand cri, sautant au-dessus de son adversaire, croisant une dernière fois la lame verte de Quinlan, enchaînant dans un nouvel élan acrobatique, se plaquant un instant sur le mur pour s’élancer de plus belle dans un ultime saut pour atterrir sur la plate-forme surplombant ses ennemis. Il se dressa dans un dernier rire méprisant, mais le rire sonnait faussé, jaune. Le Côté Obscur avait échoué. Loss Raw disparut.
Aïgal et Quinlan échangèrent un long regard, silencieux. La jeune femme avait découvert en un instant la part d’obscurité dans le cœur de l’homme qu’elle aimait, et la part de lumière dans celui qu’elle ne haïssait plus. Elle se sentait assaillie de sentiments, crainte mêlée d’affection pour Quinlan, réprobation mêlée de compassion pour Loss. Ces deux hommes lui avaient successivement semblé si proches l’un de l’autre, égarés aux frontières de la lumière et de l’obscurité.
Quinlan rompit le silence.
« C’est la première fois que je croise la route de ce Sith. Mais il est à l’image du genre de dangers que je craignais pour toi ici. Les Sith se font de plus en plus menaçants, ils cherchent à enrichir leurs rangs, ils préparent leur revanche. Tu n’as pas été entraînée à les combattre, ce qui fait de toi une proie facile pour eux. »
« J’ignorais qu’il existait des êtres autant remplis de haine. Et pourtant…Il y avait plus qu’autre chose, une tristesse insondable en lui, un gouffre de souffrance… »
« Il y a derrière lui un seigneur Sith. Il l’a entraîné contre son gré sur la voie du côté obscur de la Force. Il ne trouvera le repos que dans la mort, je le crains. C’est pour t’éviter cela que je dois te mettre en sécurité. Les Sith ont décelé ta présence ici, nous le savons maintenant. Il te faut quitter Nar Shaddaa. »
Aïgal baissa la tête. Elle sentait que celui qu’elle aimait allait l’envoyer loin d’elle.
« Tu vas m’envoyer dans un nouveau repaire égaré au fin fond de je ne sais quelle planète et me laisser seule… J’en ai assez. Je préfère te suivre et t’aider à affronter ceux que tu combats. »
« Tu ne peux pas venir avec moi. C’est bien trop risqué. Si ce soir, tu as réussi à m’aider… Il se peut qu’un jour, je me retourne contre toi. Je ne suis pas sûr de pouvoir toujours te préserver de moi-même contrairement à ce que tu penses…»
Aïgal s’assombrit. Elle avait jusqu’ici vécu leur bonheur au présent et aujourd’hui que l’avenir était évoqué… Tout n’était que peur et peine… Impuissance et rage, espoir et amour… Tout se mêlait dans sa tête. Ce qu’il venait de se passer avait un impact bien plus profond que ce qu’elle aurait souhaité…
Ils rentrèrent taciturnes jusqu’au repaire de Villie, dont les plaisanteries ne parvinrent pas à atténuer leur morosité. Aïgal monta sans hâte dans sa chambre, fit ses bagages, se coucha et, laissant toute la pression retomber, se mit à pleurer comme elle ne l’avait jamais fait. Elle se calmait à peine, quand Quinlan entra dans la chambre à son tour et vint se blottir contre elle sans un mot.
Ce fut leur nuit, leur unique nuit. Pour faire s’évanouir l’ombre, pour révéler la beauté, pour que leur amour existe rien qu’une fois dans cet état de grâce absolu. Celui qui combat l’Obscurité pour répandre la Lumière.