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Par Kiara Jinn



Plusieurs fois, au cours de ce voyage, je m’étais ainsi isolée et réfugiée dans mes souvenirs. La réalité me faisait peur. Coruscant était l’inconnu pour moi. Certes j’y étais allée à plusieurs reprises quand j’étais étudiante, puis avec mon époux. Je m’y étais rendue avec Qui-Gon peu après ma fuite du vaisseau laboratoire. Nous y étions revenus à plusieurs reprises et séjournions même dans un hôtel non loin du Temple Jedi. La veille de mon départ pour Naboo, nous nous y étions fait la promesse de rester ensemble quoiqu’il arrive. Je regardais le bracelet d’argent que je portais au poignet. Le bracelet d’union naboo gravé au nom de Qui-Gon. Il l’avait mis autour de mon poignet en me demandant d’être son épouse. J’en avais fait de même pour lui avec le bracelet gravé à mon nom. Nous nous étions unis symboliquement. Nous devions le faire sur Naboo, après son retour. Mais il n’était pas revenu de mission. Il ne reviendrait pas.

Je ne pensais pas revenir à Coruscant dans de telles conditions, seule, enceinte et surtout prête à entrer comme élève au Temple Jedi. Une page de mon histoire était vraiment tournée et j’avais tellement de mal à le faire, à aller de l'avant. J’avais peur, terriblement peur. J’avais mal. Tout en moi refusait ce qui allait se passer à partir de maintenant. Je voulais fuir loin de tout.

Je sursautais légèrement quand Maître Windu effleura mon bras de son doigt. Nous étions arrivés à destination. Perdue dans mes pensées, je n’avais pas vu passer le temps. J’avais même du dormir. Maître Windu me tendait un gobelet de café. J’étais tellement angoissée que je n’arrivais pas à déglutir. Il insista pour que je boive et je le fis avec difficultés. Mon maître s’installa à nouveau près de moi et but lentement son gobelet. Il m’invita à regarder par la baie latérale.

Coruscant qui formait, quelques dizaines de minutes plus tôt, un tapis sombre parsemé de taches lumineuses sur le noir spatial, était à présent une multitude de pics élancés. A travers les nuées de brume matinale, je distinguais des tours gracieuses et longilignes qui se dressaient vers le ciel. Elles brillaient de mille feux. D’autres, que je devinais en contrebas, avaient une forme pyramidale. D’autres encore étaient de configuration différente. De nombreux vaisseaux et une multitude de taxis aériens se suivaient et se croisaient à différents niveaux suivant des routes bien déterminées. Le trafic était relativement important à cette heure matinale. Le soleil se levait à peine sur la capitale de la République et le ciel s’éclaircissait par endroit. Le bleu et le gris se mêlaient au mauve sombre et aux derniers rougeoiements de l’aube.

Traversant les nuages d'altitude et les brumes résiduelles, le vaisseau descendait lentement en arcs gracieux entre les immenses tours de Coruscant. Je distinguais assez loin un quartier dense qui, je le savais, était celui du Sénat galactique. Il était situé non loin du secteur Republica 500 dont les tours pyramidales abritaient les résidences des sénateurs et hauts fonctionnaires de la République. Je cherchais des yeux, les tours élancées du Temple Jedi. Je ne les trouvais pas. En fait, je refusais de les voir, par peur. Près de moi, Obi-Wan réveilla Anakin qui s’était endormi, vaincu par la fatigue. Il lui tendit un gobelet de jus de naranja et une barre de nutifruits.

La voix de Mace Windu me tira de mon observation. Il me désigna le dock d’appontage, minuscule au-dessus du vide.
-Kiara. Nous allons bientôt atterrir. Nous serons accueillis par Maître Nakeji et sa jeune padawan. Elles reviennent de Yaga Minor. Elles nous accompagneront au Temple Jedi.
-Maître Nakeji ?
Ce nom ne m’était pas inconnu. Mais il m’était impossible d’y associer un visage.
-Ma mère fit doucement Obi-Wan.
Ces simples mots me firent l’effet d’une bombe. Lusiana Nakeji. Je ne la connaissais pas mais elle faisait partie de ma vie. Elle était la femme que Qui-Gon avait aimée, celle dont il s’était séparé, poussé par les interdits du code Jedi, celle pour qui il nourrissait toujours une immense tendresse.
Je me demandais quelle attitude elle allait avoir avec moi, qui fus la dernière compagne de celui qu’elle avait tant aimé. J’avais vécu avec Qui-Gon la vie qu’elle n’avait pu vraiment avoir. J’étais enceinte de cet homme qui nous avait tant aimées, l’une et l’autre, chacune à sa manière, chacune pour ce qu’elle était. Je trouvais paradoxal d’être accueillie par cette femme qui, à un moment, fut pour moi une rivale. J’avais peur de me trouver face à elle. Je ne savais comment elle allait m’accueillir. Je doutais que l’accueil soit chaleureux. Elle devait me haïr ou l’avoir fait à un moment de sa vie. Je me mis à trembler. Je n’osais l’affronter. Je voulais rentrer sous terre.
Mace Windu s’en aperçut et me regarda gentiment.
-Tout ira bien Kiara. Détendez-vous.
-Maître, tout cela me fait peur.
-Je sais que c’est une nouvelle vie pour vous, un tournant de votre histoire, dramatique dans les circonstances où il s’est produit. Je comprends votre peine et votre peur actuelle. Mais vous ne serez pas seule. Vous avez des amis autour de vous. Vous pourrez déjà compter sur Obi-Wan et sur moi me fit Mace Windu avec un léger sourire.
Je ne répondis pas. C’était non seulement la vie au Temple qui m’effrayait mais aussi le fait de rencontrer celle qui avait tellement compté pour Qui-Gon

Mon émotion était intense, exacerbée par l’état de fatigue extrême et de faiblesse dans lequel je me trouvais. Je ne m’alimentais plus depuis le décès de Qui-Gon, me nourrissant exclusivement de thé et encore. J'avais énergiquement refusé les repas que mon maître m'avait préparés, malgré son insistance. Je ne dormais pratiquement pas non plus. Dès que je fermais les yeux, je revoyais les mêmes images de mort et de larmes. J’étais dans un état proche de l’épuisement. Mon visage était très pâle et mes yeux rougis par les larmes étaient cernés de noir. Je n’avais qu’une envie, dormir. Tout oublier. Me retrouver dans mes rêves, dans les bras de Qui-Gon. Rêver de lui encore et encore, seul moment où je me sentais bien, quand je m’isolais avec lui ainsi. Mais ces moments étaient trop souvent entrecoupés de cauchemars.
Les larmes me montèrent à nouveau aux yeux. J’avais peur de l’avenir, peur de cette formation de Jedi au Temple que j’allais accomplir alors que je ne voulais que m’occuper d’enfants, surtout des miens. J’avais relativement peur de ces gens que je voyais auréolés de prestige et que j’admirais tant quand j’étais très jeune. Et maintenant, je faisais partie de cet ordre qui m’impressionnait tant et que je jugeais comme une instance suprême et mystique par mes yeux d’enfant.
J’avais peur de leurs réactions à mon arrivée. J’avais, par mes actes, par l’amour qui m’avait liée à l’un d’entre eux et l’un des plus grands à mes yeux, provoqué une situation qu’ils ne voulaient peut-être pas assumer. J’étais dans le même état d’esprit. Je n’étais pas prête à assumer cet état de Jedi. J’avais peur de leurs regards, de leur rejet. J’avais surtout peur de l’après, de la solitude.

Mais ce qui m’effrayait le plus à ce moment précis, c’était surtout le fait de me trouver en face de Lusiana Nakeji. Je savais que Qui-Gon lui avait parlé de moi. Il me l’avait dit. Il ne voulait pas me cacher à celle qui était devenue, au fil du temps, sa meilleure amie, sa confidente, celle qui le connaissait le mieux. Il m’avait également parlé d’elle. Lusiana Nakeji était son premier amour, celui du tout jeune homme qu’il était. Un amour intense, idéalisé pour lui. Un amour qui s'était terminé dans la douleur. Un amour sacrifié au code. Mais Lusiana resterait sa première histoire. Et je le savais.
Je me souvins que je l’avais alors regardé avec des yeux un peu tristes. Il avait pris mon visage entre ses mains et m’avait longuement embrassée. Il m’avait assurée que l’amour qu’il me portait était celui de l’homme mûr, de l’homme conscient de ses désirs. Il m’aimait sans se poser de questions. Cet amour était une évidence pour lui. Il m’avait dit avoir atteint sa plénitude affective avec moi. Il savait que cet amour était le dernier qu’il éprouverait, le point ultime, l’aboutissement du lent chemin de son cœur. J’étais à ses yeux, la concrétisation du bonheur dont il avait toujours rêvé.

Outre Lusiana et moi, il avait aimé deux autres femmes. Il y avait eu Ellya qu’il avait rencontrée sur Agratis après l’échec de l’enseignement à Xanatos. Elle avait été tuée alors qu’il s’était absenté. Puis il y avait eu Tahl, jeune maître Jedi qui était morte dans ses bras. Elles avaient compté, l’une comme l’autre dans son cœur. Il avait énormément souffert lors de leur disparition.
Mais ces deux femmes n’étaient plus. Je n’aurais pas à voir leur regard posé sur moi. Je n’aurais pas à voir dans leurs yeux que j’étais l’étrangère, celle qui leur avait volé l’homme qu’elles aimaient. Je n’avais aucune culpabilité envers elles. Pourtant j’avais honte de ces pensées que je jugeais ignobles. Par contre, j’éprouvais face à Lusiana Nakeji, une profonde culpabilité que je ne devais pourtant pas ressentir et surtout une immense frayeur.

J’étais encore assise dans mon fauteuil quand le pilote ouvrit la porte qui menait au sas de sortie. Perdue et terrorrisée, je ne m'étais pas aperçue que le vaisseau s'était posé. Je regardais à l'extérieur. Des droïdes s'affairaient non loin. Je ne voyais rien d'autre que les équipements du dock et les tours environnantes. Obi-Wan et Anakin étaient déjà prêts à sortir. Le jeune garçon portait nos maigres bagages. Debout, Maitre Windu fermait son manteau et me demanda de me lever. Je le fis lentement, comme pour retarder le moment où j’allais sortir. Sortir au grand jour. La voir. Les voir tous ensuite. Affronter la vie au Temple. J’avais peur. J’avais l’impression d’être dans la fosse aux lions. J'étais tendue. Mon ventre lourd me faisait mal. Les enfants ne bougeaient pas. Ils devaient ressentir ma peur. J'inspirais profondément à plusieurs reprises pour me détendre et me donner la force d'avancer. Je sentis que mon maître posait la main sur mon épaule pour me donner du courage. Il me sourit légèrement et me demanda d’avancer. Je me redressais et m'enroulais dans mon manteau. J'avais froid. En traînant les pieds, je me dirigeais vers le sas de sortie du vaisseau. La porte se déverrouilla et glissa lentement sur son axe.