Obi-Wan était près de moi. Nous avons emprunté ce long et large couloir aux arcades d’une sobre architecture. Nous sommes passés le long des piliers de marbre sculptés qui supportaient les arches millénaires. Le couloir au sol marbré était baigné d’une douce lumière tamisée. Mon émotion grandissait au fur et à mesure que je m’avançais vers cette nouvelle partie de ma vie, celle que j’allais maintenant assumer, seule dans mon cœur. Puis, nous avons pris un escalier majestueux qui donnait sur la galerie des Maîtres. Un côté était ouvert sur l’immense hall intérieur du Temple et l’autre donnait sur les appartements d’un bon nombre de chevaliers et maîtres Jedi.
Maitre Windu se retourna et vint vers nous. Il demanda à Obi-Wan de me montrer mon appartement et de m’aider à m’installer. Il me verrait le soir même. Plus loin, Maitre Nakeji n’avait pas bougé. Elle ne nous regardait pas. Après un dernier encouragement mon maître rejoignit son épouse qui avait commencé à s’éloigner. Ma-Lahossa les suivit. Obi-Wan reprit sa marche et nous conduisit au bout de la galerie.
Je m’arrêtais devant une porte de duracier portant seulement un nombre gravé. Je la regardais longuement. J’avais peur. J’avais l’impression de me trouver face à un mur infranchissable. Il fallait que je le passe, que j’entre réellement dans cette nouvelle partie de ma vie.
Obi-Wan effleura le détecteur et la porte s’ouvrit. Il s’écarta afin que j’entre dans l'antichambre qui donnait sur la pièce principale. J’y entrais très lentement comme dans un sanctuaire. Aussitôt à l’intérieur, je sentis la présence de Qui-Gon dans la sobriété presque austère de cette salle. Une présence rassurante mais intense en même temps. Une présence étouffante. Je me sentais étrangère à ce lieu. J’avais le sentiment d’entrer dans un endroit interdit. Obi-Wan actionna l’ouverture vocale des stores et des fenêtres afin de laisser entrer la lumière. Anakin s'installa avec hésitation sur l'immense sofa de cuir ivoire qui était appuyé contre une paroi, face à la bibliothèque. Il attendit, silencieux, que Obi-Wan se décide à repartir. le jeune garçon était un peu raide. Il n’osait s’appuyer. Il avait peur. Je pouvais le ressentir. Ses yeux allaient et venaient, s'arrêtant sur chaque détail. Il découvrait, tout comme moi, l'appartement d'un Jedi.
Le soleil perçait les brumes basses de Coruscant. Un de ses rayons s’arrêta sur la rose posée sur le bureau de verre. Je m’y asseyais et effleurais du doigt la surface du meuble. Je laissais un trait malhabile dans la très légère couche de poussière qui s’y était déposée en quelques semaines.
Obi-Wan me fit brièvement visiter l’appartement qui serait désormais le mien jusqu’à ma mort., Outre l'antichambre, il y avait une grande pièce carrée aux murs blanchis à la chaux. Un côté donnait sur une petite loggia où, Obi-Wan me l’avait dit, Qui-Gon et lui méditaient souvent le matin, en communion avec l’environnement et l’astre solaire naissant. Une partie était aménagée en salon avec une immense bibliothèque de bois clair. Un récepteur holographique était habilement dissimulé dans ce meuble.
Il y avait également une kitchenette, une salle de bain et deux chambres, celle qui fut la sienne quand il était encore padawan et celle de son maître qui devenait la mienne.
C’était une pièce carrée. Une baie vitrée occupait un mur. Elle donnait, en contrebas, sur l’un des jardins du Temple. La pièce était très simple dans son agencement, à la limite de l’austérité. C’était le lieu le plus intime de l’appartement. J’y ressentais, plus encore, la présence de Qui-Gon. Il y avait, sur un mur, une immense holo-image, le représentant auprès d’Obi-Wan. Je m’arrêtais devant ce portrait. Il était magnifique, expressif. Je pouvais presque sentir son regard bleu posé sur moi.
Derrière moi, il y avait un immense futon posé sur une sorte d’estrade basse. Un paravent laqué masquait une partie du coin repos. Un vase de porkale bleue était posé sur le sol. Quelques fleurs aux teintes pastels formaient des arabesques et des volutes duveteuses. Il y avait également une console de verre avec des images et d’autres statuettes épurées ramenées de voyages lointains. Il y avait quelques pierres dans une coupelle de jade, d’autres plus importantes posées à côté.
J’étais en train de contempler le portrait quand Obi-Wan revint vers moi et me dit qu’il devait s’installer avec Anakin. Devenu maître, il logeait avec son padawan comme il l’avait fait avec Qui-Gon. Il allait revenir un peu plus tard. Il m’embrassa doucement sur la joue. Anakin l’attendait déjà à la porte et me salua en s’inclinant devant moi. Ils sortirent.
L’appartement d’Obi-Wan était situé non loin du mien, dans un couloir perpendiculaire à l’allée des Maîtres. J’étais padawan mais ma situation particulière et celle de mon Maître rendaient la cohabitation impossible. Je repensais à lui. J’avais été stupéfaite d’apprendre qu’il était l’époux de Lusiana Nakeji. Il me semblait entendre à nouveau le ton péremptoire de Lusiana. « Je suis avant tout Madame Windu ». Elle semblait se méfier de moi. Pourtant, elle n’avait rien à craindre de moi. Son époux non plus.
Depuis que j’avais rencontré Qui-Gon et surtout depuis sa mort, je m’étais hermétiquement fermée au monde masculin. Le moindre regard posé sur moi me gênait et me paralysait. Il n’y aurait qu’un seul homme dans ma vie. Celui qui m’avait donné mes plus belles joies, celui dont j’étais enceinte.
Je sentais bouger les enfants en moi. Quelques coups vigoureux tout en étant d’une extrême douceur. Ils percevaient ma peine. Mes enfants vivaient, à travers moi, l’effroyable émotion de la perte de leur père. Pendant les quelques jours qui avaient précédé mon arrivée ici, ils étaient étrangement calmes comme abattus par l’immense douleur qui me submergeait.
Je n'osais aller et venir dans l'appartement. Bien que je sois chez moi, je me sentais encore une étrangère dans ce lieu où tout me rappelait la présence de l'homme que j'avais tant aimé. J'avais l'impression de la salir si je bougeais ou touchais quelque chose. Elle était si forte mais si lourde aussi que je n'osais bouger. Je m’étais allongée sur le sofa en attendant Obi-Wan qui m’avait promis de revenir. Mace Windu m’avait également dit qu’il passerait me voir. Je devais voir Yoda à son bureau. Son bureau ! J’ignorais où il se trouvait. J’allais devoir trouver mes marques dans cet endroit séculaire où je n’étais que rarement venue et toujours en compagnie de Qui-Gon. Ma vie était ici maintenant. Je devais et j’allais aussi y laisser mon empreinte.
Je fermais les yeux et les souvenirs m’assaillirent. Tout s’était passé si vite. Je n’avais pas eu le temps de me préparer à tout cela. J’étais enfouie dans ma douleur. J’avais simplement oublié que la vie continuait. Même si Qui-Gon avait disparu, j’étais là avec deux enfants à naître, son après et ma vie à assumer.
Je m’enroulais dans le manteau de bure de Qui-Gon et enfouis ma tête dans la capuche. Je formais autour de moi un cocon afin de me protéger. Ces derniers mois, je ne m’en souciais guère. Qui-Gon était là ! Il veillait sur moi, sensible, tendre. Depuis quelques jours, tout s’était écroulé. J’étais de nouveau seule, une solitude pesante, lourde, amère, douloureuse. Celle que je n’aurais jamais voulu connaître tout en sachant cependant que cela arriverait un jour. Celle dont je repoussais l’idée en me disant qu’elle n’existait pas, qu’elle m’épargnerait.
Sa vie en était un facteur, ces risques qu’il prenait pour accomplir sa mission. Il me l’avait dit un jour ou nous en parlions. Il avait frôlé la mort à de nombreuses reprises. Au moment du démantèlement du laboratoire où j’étais prisonnière, il avait été très sérieusement blessé. J’avais craint pour sa vie. Il avait ressenti longtemps les séquelles de cette blessure. Il n’en disait rien mais je voyais de temps en temps son visage se crisper.
Sa dernière mission lui fit rencontrer la mort. « La plus belle de ses missions un acte d’amour était ». Ce furent les dernières paroles de Yoda prononcées juste avant la cérémonie de crémation. Magnifique oraison du vieux Sage à son ami, son enfant quelque part. Une reconnaissance tacite également de ce sentiment si pur et si noble que l’Ordre rejetait sous cette forme.
Je repoussais doucement la capuche et ouvris les yeux. Tout était silencieux. Je percevais le silence. Une multitude de sensations que je ne pouvais distinguer m’envahissaient. J’étais attentive à cet environnement nouveau pour moi où je devais faire ma place.
Ma place ! Où était-elle vraiment ? Dans le cœur de celui qui avait péri. Mais ici ? Je ne savais plus. Tout était confus. Tout me semblait complètement paradoxal. J’étais devenue padawan contre ma volonté initiale. Pourtant j’avais besoin d’être ici. J’avais du mal à comprendre ce qui se passait en moi. Tout allait trop vite. Depuis la mort de Qui-Gon, je n’avais plus de prise sur ce qui se passait autour de moi. C’était seulement ici que j’allais pouvoir le faire. Il avait laissé une aura où je m’étais réfugiée pour me protéger. J’entrais à nouveau, dans ma coquille comme je l’avais fait si souvent sur la base Sith. Pourtant cette fois, je n’avais de haine en moi, seulement cet amour unique qu’un homme avait éprouvé pour moi. J’allais avoir besoin de tout son amour et de sa force pour affronter ce qui m’attendait ici.
L’accueil au Temple Jedi n’avait pas été des plus chaleureux. J’avais l’impression d’être dans la fosse aux lions. Lusiana Nakeji, qui m’avait accueillie sur le tarmac de l’astroport m’avait rejetée à la première seconde où elle m’avait vue. Pourtant, je pensais qu’elle compatirait à ma peine. Nous avions aimé le même homme. Repliée sur la mienne, j’oubliais simplement qu’elle avait sa propre douleur à gérer. Elle l’aimait encore. Je l’avais vu dans ses yeux, dans l’éclair de douleur qui y était passé, vite remplacé par une lueur de colère, de jalousie ou de haine. Je ne pouvais encore le dire. Elle avait eu la réaction d’une femme qui découvre qu’elle n’est pas seule dans le cœur de celui qu’elle aime depuis longtemps. Elle se rendait compte qu’il y en avait une autre et enceinte de surcroît. Je savais que Qui-Gon lui avait parlé de moi. Mais que lui avait-il dit ? Savait-elle que j’étais enceinte de lui ? J’en doutais. Son regard accusateur en était la preuve. Pourtant, je le comprenais, l’acceptais même. Elle avait, à mes yeux le droit d’être jalouse. Elle souffrait. Elle avait déjà appris la mort de Qui-Gon. Elle m’avait vu arriver. J’étais la dernière dans le cœur de celui qu’elle avait aimé. J’étais une rivale. Elle devait souhaiter, et je le faisais aussi, rester la seule et l’unique dans le cœur de Qui-Gon.
J’étais enceinte. Elle ne pouvait certainement pas supporter l’image que l’homme qu’elle avait aimé ait pu en serrer une autre dans ses bras, avoir pour elle les gestes de tendresse qu’elle avait également connus. Ces gestes lui appartenaient. Elle ne pouvait concevoir que l’homme qui l’avait aimée, elle, puisse en aimer une autre. L’amour ne se partageait pas.
Surtout, j’avais vu qu’elle avait violemment réagi quand Mace Windu m’avait appelée Jinn. Ce nom devait lui faire très mal. Je savais que son amour avait été sacrifié à l’Ordre et qu’elle n’avait jamais pu porter le nom de l’homme qu’elle aimait. Tout ceci, en elle, devait être exacerbé par la mort de Qui-Gon. Elle n’avait qu’un moyen d’exprimer cette souffrance. S’en prendre à moi, la seule responsable à ses yeux.
Je me souvenais également d’autres regards, sévères et durs, ceux d’autres membres du Conseil dont Adi Gallia. Je savais qu’elle ne m’aimait pas. Je ne le lui demandais pas d’ailleurs, seulement de m’accepter en tant que membre de l’Ordre. Je ne voulais pas avoir de traitement de faveur. Je souhaitais simplement être vue comme n’importe quel élève de ce Temple. Mais je savais que c’était impossible.
Mon âge déjà. J’avais l’âge où la majorité des Jedi étaient déjà chevaliers, certains en passe de devenir maîtres. Mon statut particulier. J’avais été la compagne d’un Maître Jedi alors que le code interdit l’attachement. Je savais que Qui-Gon avait plus ou moins officialisé sa liaison avec moi face aux autres, malgré les reproches qu’il encaissait sans rien dire. Adi Gallia ne manquait jamais de lui rappeler son inconduite à chaque fois qu’elle le pouvait. Il avait parlé de moi à son amie la plus proche, Lusiana. Mace Windu, son ami, membre du Conseil, savait également qu’il vivait avec moi, malgré l’interdit.
Yoda, malgré son silence bienveillant, avait compris, dès les premières semaines. Il avait accepté de m’unir à Qui-Gon. C’était un geste hautement symbolique dans ce lieu où l’attachement et l’union étaient interdits. Il avait accepté ma grossesse comme si cela lui semblait la chose la plus logique du monde dans ce milieu particulier. J’existais à ses yeux, non seulement en tant qu’être mais surtout en tant que femme, épouse d’un Jedi et future mère de ses enfants. Et je vivais au Temple !
Je me demandais s’il y avait d’autre couples au Temple. Qui-Gon et moi ? Lusiana Nakeji et Mace Windu ! J’étais pratiquement certaine que leur union était cachée. Tout restait discret, à la limite de l’ignorance, voire même de la honte.
Mace Windu et Yoda étaient bien les seuls à m’accepter sans réserves, du moins en apparence. Je doutais fort que ce fut le cas de tous. J’étais une intruse dans ce monde replié sur lui-même. Les Jedi étaient ouverts vers l’extérieur par leur finalité, leur altruisme leur compassion. Tout ceci en faisait des êtres à l’écoute des autres. Mais au sein de leur Temple, ils vivaient un peu en autarcie, repliés sur eux-mêmes. Ils avaient un code derrière lequel ils se retranchaient, un code d’honneur. Tout était chargé de symbole. Leur long manteau brun, leur dénuement, leur sabre de lumière, la tresse, signe distinctif du padawan, certains gestes, une philosophie de vie, de pensée en faisaient des êtres différents en apparence. Mais pourtant, ils étaient des hommes et des femmes avec leurs problèmes, leurs émotions, leurs ressentis.
J’entrais dans ce monde comme un élément étranger. Je l’avais ressenti dès mon arrivée. Comment allaient-ils se comporter avec moi qui étais, par ma seule présence, la preuve d’un manquement manifeste au code de l’un d’entre eux ? Preuve de l’immobilise d’un ordre qui devait pourtant évoluer au gré et pour ceux qui le servaient.
Notre arrivée avait été remarquée. Celle pour qui Qui-Gon avait délibérément et ouvertement enfreint le code et le jeune garçon qu’il avait découvert sur Tatooine et présenté comme l’Elu de la Force, cet enfant dont il avait confié l’avenir à Obi-Wan. Le Conseil avait du s’incliner devant la volonté inébranlable de Qui-Gon, transmise à Obi-Wan de voir Anakin devenir un Jedi. Tout comme moi, Anakin avait ressenti les regards dont il était l’objet, animosité, intérêt, compassion et bienveillance. Quant à moi, j’avais ressenti des regards de tristesse et de compassion mais surtout des regards gênés et souvent accusateurs, lourds de reproches. J’avais surtout vu ces mêmes regards se poser puis se détourner de mon ventre, gros des enfants de celui qui avait désobéi à l’ordre. Même si les Jedi prônaient, dans leurs préceptes, la compassion et la tolérance, ils ne pouvaient s'empêcher, pour quelques-uns, d'avoir des attitudes contraires.
J’ouvris les yeux. Le détecteur de visite clignotait et bipait. Il me fallut quelques secondes pour me resituer dans cet endroit que je ne connaissais pas. Je m’y sentais moins étrangère, comme si cet endroit m’attendait depuis toujours. J’avais retrouvé, malgré ma peine, une impression de calme relatif de protection autour de moi, tout comme pendant les moments où j’étais avec Qui-Gon. Il était là ! Je sentais sa marque. Elle était dans les objets de cette pièce. Il les avait touchés. Ils étaient associés à ses souvenirs, à des moments heureux ou moins chanceux de sa vie. Il me parlait à travers eux. Ces choses avaient une âme, la sienne. Et pourtant il craignait de ne rien laisser derrière lui.
Je me levais avec difficultés et me dirigeais vers la porte en traînant les pieds. Obi-Wan était là. Il avait apporté un sac et quelques fleurs pour disposer sur la table basse.
-J’ai pensé qu’elles te feraient plaisir fit-il d’un air gêné. Il faut un peu de couleur dans ta vie.
-Je te remercie Obi-Wan répondis-je dans un murmure.
Il devait retirer les effets de son maître afin que je puisse installer mes affaires. Je regardais d’un œil torve mon sac de corde. Il n’avait pas bougé de l’endroit où Anakin l’avait posé tout à l’heure. Obi-Wan entra dans la chambre de Qui-Gon, la mienne désormais. Je le suivis.
Je m’asseyais avec quelques difficultés sur le lit bas. Obi-Wan commença à emballer les vêtements de son Maître. Il les avait posés sur le lit, près de moi. Deux ou trois robes de Jedi de couleur ocre, des pantalons plus foncés, des sous-chemises de lin sable, d’autres vêtements.
Je l’observais discrètement.
Ses gestes étaient mesurés, d’une lenteur et d’une douceur extrême. Je le vis essuyer furtivement une larme. Il plia soigneusement chaque effet et le rangea dans un sac de cuir nuback marron qu’il referma doucement. Ce ne fut pas très long. Comment une vie aussi riche, aussi pleine, une vie entière consacrée à cet Ordre pouvait-elle se résumer à quelques pièces de tissu jetées dans un simple sac de cuir me surpris-je à penser en observant le jeune homme.
Cela me fit mal de me rendre compte que cet homme que j’avais aimé jusqu’à la mort ne serait plus maintenant qu’un souvenir. Pourtant, il était tellement présent en moi et en ces lieux où il avait vécu que le vide ressenti était immense et douloureux.
Obi-Wan m’avait gentiment demandé si je voulais conserver quelque chose de Qui-Gon. Je ne voulais de lui que mes souvenirs, l’anneau d’or que je portais au doigt et son manteau de bure. Il était trop large et encore trop long pour moi mais tant pis.
Je me levais avec difficultés et sortais de la pièce pendant qu’Obi-Wan terminait ce qu’il avait à faire dans la chambre. Cela me faisait mal de voir les effets de Qui-Gon retirées. J’avais l’impression qu’on le tuait une seconde fois, qu’il était jeté hors de chez lui, que je prenais sa place.
Je ne pouvais supporter la présence de quelqu’un près de moi en ce moment, même si c’était celle d’Obi-Wan. Quelques minutes après, le jeune homme me rejoignit. Il posa le sac près de la porte et entreprit de m’expliquer le fonctionnement des différentes installations de l’appartement. Il refit la programmation vocale et rétinienne. Je devais enregistrer ma propre voix et mon empreinte. A chaque fois, il repassait le mémo code et la voix douce et ferme de Qui-Gon sortait du pupitre. Il répéta la manœuvre un certain nombre de fois. Et ce qui devait arriver se produisit. La voix de Qui-Gon me fit craquer une nouvelle fois. Je m’effondrais en larmes. Le jeune homme s’excusa auprès de moi tout en continuant sa tâche. Il enregistra soigneusement les commandes pendant que je m’étais installée au bureau de Qui-Gon.
Je n’osais toucher les objets qui s’y trouvaient. Je regardais le détecteur holographique. Il permettait la communication entre les membres du Temple et la lecture des info bulles et des data-images. Je pris une boule dans une petite corbeille près de la rose rouge et la posais sur le détecteur. Une image de Cirrus se matérialisa lentement, comme un voile qui prenant délicatement forme et couleur devant mes yeux. Nous étions, Qui-Gon et moi, assis au bord d’un lac, ce lac immense où nous aimions nous promener le soir. L’image montrait Qui-Gon assis sur le sol, me tenant serrée contre lui, sa tête sur la mienne, ses bras autour de ma taille. Je me souvenais parfaitement du moment où il avait mémorisé cet instant dans la databank de son comlink. C’était au lendemain de la nuit inoubliable où j’étais enfin devenue femme dans ses bras.
J’étouffais un gémissement. Obi-Wan se retourna et vit que j’allais défaillir. Je ne pensais pas qu’il eut gardé toutes ces images de moi.
-Il t’aime, Kiara. Il sera toujours avec toi.
-Je le sais Obi-Wan. Je l’ai toujours su. C’est trop injuste. Pourquoi lui ? Pourquoi un homme tel que lui devait-il partir ? C’est trop tôt. Nous avions encore tellement de choses à découvrir et à vivre ensemble ! Je n'aurais pas du lui survivre. Il aurait mieux valu que je meure aussi. Je …je ne peux… pas. Je ne veux pas. Je ne veux pas vivre sans lui. Il me manque ! Il…
-Il me manque aussi. Il avait aussi tant de chose à donner, à m’enseigner.
-Je… Je suis égoïste. C’est aussi difficile pour toi, Obi-Wan.
Il baissa la tête et je vis les larmes dans ses yeux.
-Non ! Pas toi, Obi-Wan ! Ne pleure pas. Je ne le supporterai pas.
Il se pencha et posa une autre bulle. Une autre photo de moi, assise devant la cheminée de la maison de Sarah, un autre endroit où j’aimais me réfugier. Les flammes faisaient un halo autour de mon visage. Obi-Wan eut un léger sourire triste en posant ses mains sur mes épaules.
-C’était son image préférée. Il m’avait dit qu’elle montrait le feu d’amour de tes yeux, aussi intense et beau que celui qui était derrière toi.
Les larmes surgirent de nouveau, douloureuses. Les souvenirs affluaient.
C’était peu après la mort de mon fils. Un soir, éperdue de douleur, je m’en étais prise violemment à Qui-Gon qui tentait de me réconforter. Je l’avais méchamment éconduit quand il me disait qu’il comprenait ma peine. J’avais ricané en me fichant de lui et il m’avait alors avoué qu’il savait ce qu’était la perte d’un enfant. Avec beaucoup de pudeur et de délicatesse, il m’avait parlé de sa petite fille tuée par des mercenaires à la solde de Xanatos, son ancien padawan. Une enfant tuée par vengeance, uniquement pour le faire souffrir. Il m'avait également confié que le corps de son petit garçon, certainement tué aussi, n'avait jamais été retrouvé. Il m’avait alors parlé d’Ellya, celle qu’il considérait comme sa femme. Il m’avait livré une partie de sa vie et m’avait, sans le savoir, libéré d’une partie de mon fardeau. Et moi, insensible, totalement hermétique à tout sentiment de compassion, je l’avais méchamment rejeté alors que sa démarche n’était alors faite que pour me venir en aide.
Il y avait eu tant d’autres moments comme celui-ci. Des moments d’écoute, d’autres de réconfort que je prenais alors pour de la pitié, tellement ma vision de l’autre était fausse. Je n’avais pas su discerner, à l’époque, l’être exceptionnel qu’il était, à tous les niveaux. Je n’avais pas su décrypter les messages qu’il me faisait déjà. Je n’avais surtout pas voulu, par peur. J’avais perdu tant de temps à le fuir ou à le repousser. J’avais amenuisé, sans le savoir ses moments de bonheur. Si j’avais su ! Je lui avais fait tellement de mal par ma crainte et mon rejet. J’aurais du être à son écoute comme il était à la mienne. J’aurais du aller vers lui dès les premiers appels. Mais je ne l’avais pas fait. Et je le regrettais amèrement maintenant. Son absence me faisait si mal. Le manque de lui était cruel, déchirant.
Je sentis à nouveau les larmes me brûler les yeux. L’image se brouilla et je m’écroulais en larmes, la tête dans le creux de mes bras. Je ressentais une nouvelle fois l’intensité de son amour pour moi et l’immensité du vide de sa perte.
Je sentis une pression sur mon épaule. Obi-Wan tentait de me réconforter. Je m’effondrais contre lui. Les larmes coulaient sans que je puisse les arrêter. Je sentais une vague de froid en moi, une déchirure, comme si mon cœur trop lourd de peine se rappelait à moi. J’avais si mal. Une douleur si forte que les mots ne pouvaient la décrire. Mes enfants ne bougeaient pas. Mon ventre arrondi était lourd comme une pierre. Obi-Wan ne parlait pas. Il m’avait serrée contre lui, amical, réconfortant. J’appelais en gémissant Qui-Gon entre deux sanglots. Un appel au secours. Obi-Wan me serra encore plus fort contre lui. J’entendais sa voix. Il me parlait à l’oreille.
-Ne pleure pas. Sois forte pour vos enfants !
-Je… Je ne peux pas. Je n’en ai plus la force. Je ne veux pas Obi-Wan. Le Sith aurait …
-Non, Kiara. Il veut que tu vives, que tu sois forte pour lui.
-Non. Tout est fini…. Je ne veux plus.
Je pleurais longtemps blottie dans ses bras. J’avais l’impression de tomber dans un gouffre froid. A un moment, il s’écarta légèrement de moi et je vis qu’il avait également pleuré. Puis il m’aida à m’asseoir sur le divan. Je tenais à peine sur mes jambes et Obi-Wan devait me soutenir. Il me força doucement à m’allonger. Puis il me recouvrit de mon manteau de bure. J’avais froid. Il me prépara une tasse de thé et programma le synthétiseur alimentaire pour faire un potage.
Je devais normalement dîner avec Yoda et mon maître. Je ne m’en sentais pas la force. J’étais si mal que je ne sentais incapable de me lever et surtout d’affronter le regard du vieux Sage. Je ne voulais voir personne. Je voulais rester seule avec ma peine, seule avec mes souvenirs. Je le dis doucement à Obi-Wan qui me répondit qu’une demande du Maître était un ordre.
Je n’avais pas le courage de voir Yoda. Pourtant, je savais que le vieux sage serait affable, même gentil avec moi. Je n’étais pas en mesure d’affronter ma propre peine, je ne pourrai affronter celle des autres.
Obi-Wan se rangea finalement à ma décision et m’embrassa sur la joue.
-Je vais m’occuper d’Anakin. Il a besoin de moi, lui aussi. Je dirai à Yoda et à Maître Windu que tu te reposes.
-Merci Obi-Wan, merci pour tout.
Il me regarda longuement.
-Promets-moi de prendre au moins le potage et le thé fit-il en remontant les pans du manteau sur mes épaules.
Je hochais affirmativement la tête. Je savais qu’une nouvelle fois, je n’en ferai rien. Mais je voulais qu’il parte. Pourtant, il ne me gênait pas. Il était profondément gentil, prévenant. Mais je ne supportais pas la compassion, la peine, la gentillesse à mon égard. Je ne supportais rien.
J’entendis le chuintement de la porte d’entrée. Obi-Wan était parti. J’étais enfin seule. Je me recroquevillais en position fœtale sur le divan, m’enroulais dans mon manteau et fermais les yeux.