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Par Emrys Harriet



Chapitre I Le debut de la Fin

Printemps 1980 A.N.

La nuit du 23ème jour de printemps était belle, mais aussi glaciale que les grandes périodes hivernales. Ce soir-là, la pleine lune éclairait le palais de Harriet, qui dominait la grande colline de la belle et fière cité de Jouda. Grandes tours de forme rectangulaire, reliées entre elles par d’énormes murailles, au centre de cette protection, se trouvait une haute et immense tour circulaire, lieu de vie des habitants du château. Nuit noire et froide, telle la mort, appelée ou acclamée par les hurlements des loups. Cela faisait plusieurs millénaires que la fière capitale de Roald n’avait plus connu de jours comme celui-ci. Depuis la fin des Temps Anciens, où les ténèbres de Fosco avait, pour la première fois, envahi le royaume. Mille neuf cent quatre-vingts années s’étaient écoulées, après la victoire des Terres Nobles. Mille neuf cent quatre-vingts ans de paix, de bonheur et de tranquillité. Malheureusement, tout cela était fini, car les ombres étaient de retour.
Depuis le balcon de la salle du trône, le roi Boto Harriet, et son épouse, la reine Kordelia, observaient les lumières des torches en furie et la lueur des sabrolasers qui s’avançaient dans les plaines sombres de la nuit. Le souverain de Roald possédait des cheveux noirs bouclés, un nez droit et allongé. Ses yeux étaient de couleur brun-vert. Il était vêtu d’une cape rouge, lui retombant jusqu’au niveau des pieds. Tout le reste de ses vêtements était bleu-foncé, mis à par ses bottes brunes. Un long morceau de tissu à carreaux bleus, verts et noirs, représentatif des Roaldames (Tissu Roaldame, pouvant être considéré comme le frère jumeau du tissu écossais et irlandais), lui recouvrait le bras droit, de la main à l’épaule. C’était un homme grand et fort, d’une carrure imposante et il avait atteint sa vingt-cinquième année. La reine, quant à elle, avait les cheveux longs, jusqu’au milieu du dos, mais ils étaient également aussi noirs que ceux de son époux. Contrairement à Boto, elle possédait des habits blancs, comme les neiges éternelles des hauts sommets de Paitje, longue robe, chaussures fines et un voile blanc, descendant de sa couronne, lui recouvrait le visage, femme fine et distinguée de vingt et un ans.
Le ciel se chargea de nuages et peu à peu, il recouvrirent la lune, comme un tissu de velours noir sur un diamant. Les ombres étaient déjà passé par-dessus les remparts de la ville. Le roi Boto se retourna et regarda l’un de ses serviteurs. Son nom est Gereon Bachar, le plus fidèle de ses hommes, mais aussi son ami le plus cher. Il avait les cheveux bruns et très courts, muni d’une petite barbiche, un air jeune et fier, même s’il approchait la quarantaine. Il portait des vêtements de mendiant. Le roi lui fit un signe de tête et le serviteur se pencha en guise de révérence. Une goutte d’eau tomba de son menton. Boto s’approcha et lui releva la tête. Les yeux vert émeraude de l’homme étaient à demi-plongés dans le flot de ses larmes. Il prit dans ses mains un panier recouvert d’un tissu qui se trouvait à ses côtés et regarda le roi dans les yeux.
Boto lui fit une tape amicale sur les épaules et le serviteur s’en alla en courant le panier sous le bras. Harriet retourna auprès de sa femme qui était restée sur le balcon. Les yeux de la reine étaient un mélange entre peur, tristesse et colère. Au loin les lumières de l’enfer traversèrent lentement la ville de Jouda. Le roi savait que la bataille était perdue d’avance, mais non la guerre. Il avait mis dans ce panier, porté par Gereon, l’objet de la victoire. Malheureusement pour la cité et le royaume, cet objet n’était pas encore prêt. Il faudra du temps, beaucoup de temps et de patience. C’était le travail de son serviteur, maintenant, et plus le sien.

Des cris retentissaient dans la cité. Les maisons et demeures flambaient dans de grandes colonnes de feu. Des foscioums montés sur des drocknites étaient armés de lances-laser, ou de sabrolasers. Ces guerriers de l’ombre éprouvaient une grande satisfaction à faire le mal autour d’eux, et aussi détruire un semblant de bonheur et de joie. Ils étaient vêtus de grandes armures cornues, ainsi que leurs montures. Ce qui leur donnait une allure encore plus effrayante que d’habitude. De longs cris perçants et aiguës sifflaient entre leurs rangées de canines. Les torches qu’ils portaient, furent jetées sur les maisons.
Plusieurs gardes joudans s’approchèrent des soldats foscioums. Les guerriers de l’ombre n’avaient pas l’air de vouloir tuer les habitants de la cité, mais ceux qui leur barreraient la route n’auraient pas le mérite de survivre. Les envahisseurs lancèrent leurs drocknites sur les joudans, les piétinant, les griffant jusqu’au sang. Les gardes tombèrent les uns après les autres. Même aux combats de sabre, leur agilité était moindre, comparée aux foscioums et ils furent terrassés.
Une fois qu’ils n’eurent plus d’obstacle en travers de leur route, trois des cavaliers ténébreux se lancèrent au pas de charge. Sur leurs sombres drocknites, rien ni personne n’osait rester sur leur chemin. Ils se dirigèrent vers le palais.

Gereon Bachar referma la porte du palais de Harriet, quand il entendit le bruit de pas de plusieurs drocknites. S’il avait écouté sa raison, il se serait rendu pour ne pas mourir. Mais il avait promis de quitter le royaume de Roald, de partir le plus loin possible, dans un lieu paisible et tranquille. C’était la volonté du roi Boto et il honorerait cette promesse.
Le serviteur n’était pas un roaldame. Il venait de Sophus, le pays des magiciens. Malheureusement pour lui, il ne vécut pas très longtemps dans son royaume. Son père était un grand voyageur. A la mort de sa mère, il avait alors deux ans, il reprit la route avec son père qui avait refusé de le laisser dans une autre famille. Pour finir, ils se sont installé tout les deux à Jouda.
Contrairement aux enfants de Sophus, il n’avait jamais appris la magie. Une chose qu’il regrettait, mais son père lui avait toujours dit que les pouvoirs ne servaient à rien, car il n’y avait plus rien de mauvais en Silaurs et ce qui se passait sur les autre planètes de la galaxie ne les concernait guère. Un chose complètement absurde. Ce n’était rien d’autre qu’une excuse pour qu’il ne culpabilise pas, mais en ce moment, Gereon aurait bien voulu savoir devenir invisible. Il était pétrifié, mais une promesse était sacrée pour les sophustils. Il la tiendrait.
Il regarda le panier qu’il portait sous le bras, puis partit en courant, à l’arrière du palais, mais les cavaliers se rapprochaient trop vite. Il se coucha dans l’ombre des hautes herbes. Les guerriers de l’ombre s’arrêtèrent devant la porte blindée. Gereon retint son souffle. Les trois foscioums restèrent sur place, tournant la tête de gauche à droite. Le serviteur ne bougeait plus. Les vieux habits de mendiant qu’il avait vêtus étaient sombres et lui donnèrent l’air d’un rocher isolé.
Le vent souffla sur la colline et les herbes bougèrent en tous sens. Celle-ci chatouillèrent le nez de Gereon et il résista de toutes ses forces à l’envie d’éternuer. D’autres cris de drocknites résonnèrent, les trois guerriers de l’ombre se retournèrent et virent plusieurs foscioums s’avancer en direction du palais. Leurs camarades venaient vers eux et ils décidèrent d’enfoncer la porte. Les drocknites utilisèrent leurs pattes avants et s’appuyèrent de toute leur force, tandis que les cavaliers enfoncèrent les lames de leurs sabres dans les charnières. Après quelques secondes, ils avaient fini leur travail. Un fracas retentit et les guerriers de l’ombre s’engouffrèrent dans le palais de Harriet. Gereon releva la tête. Plus un bruit sur la route, le calme était revenu. Il se leva entièrement, puis courut à travers les herbes de la colline pour arriver dans la cité.

Dans le palais, le silence régnait en maître. Le roi Boto avait ordonné à plusieurs de ses hommes, de partir à la cité pour retarder les foscioums, afin que son serviteur Bachar puisse s’enfuir du palais. Mais les autres, restés à l’intérieur, ne devaient s’opposer à aucun des ennemis. Ce que cherchaient les guerriers de l’ombre n’était plus là. C’est pourquoi il ne servait à rien de mourir. Mieux valait se rendre en vie.
Le bruit des portes s’ouvrant résonnèrent dans la salle du trône et enfin celles de la pièce s’ouvrirent. Trois foscioums apparurent, l’un d’entre eux s’avança vers le roi, tandis que les deux autres restèrent à l’entrée. Boto soutint son regard froid, et rempli de haine. Les yeux de l’adversaire étaient rouges, comme la lave coulant du Mont Nomane. Pour le souverain de Roald, c’était la fin. Sa cité a été prise ce soir-même, mais il n’a pas encore dit son dernier mot. Et il ne le dira jamais. S’il devait mourir, il garderait tous ses secrets avec lui. Aucun d’entre eux ne sera divulgué.

- Où est la couronne ? Fit le foscioums qui s’était approché de Boto.
- Elle n’est plus ici, répondit le roi. Et jamais vous ne mettrez la main dessus, Donovan.

Le foscioum hurla. Le cri perça le ciel, comme l’éclair.

Les flammes consumaient tout ce qu’elles trouvaient sur leur passage. Les guerriers de l’ombre avaient pris tous les habitants de la cité. Gereon devait être le seul à marcher dans les rues. Même si tous les autres n’étaient plus là, cela ne l’empêchait pas de s’avancer dans la ville. Il arriva jusqu’à un pan de falaise, près des collines d’Orell, à l’ouest de la cité.
Il chercha un endroit couvert de lierre et de plantes grimpantes. Il écarta le feuillage, tel un rideau végétal, et pénétra, panier sous le bras, dans une sombre grotte. Le serviteur était l’une des rares personnes à connaître ce souterrain. Et pourtant, les plateaux de Lafad jusqu’en terre de Roald, en sont pleins, toutes ces cavernes furent creusées par les cours d’eau de toute la région, des petits ruisseaux, aux grands fleuves. Tout cela s’est fait il y a des millénaires, avant la venue des hommes dans cette région. De nos jours, les rivières et autres sources d’eau qui ont fait ce minutieux travail, ont disparu. Et c’est peut-être à cause de cela que la plupart des gens disent que c’est l’œuvre de la folie des xouxs et non de la nature.
En temps normal, Gereon aurait pensé à tout ceci, en traversant la grotte, mais franchement, l’heure n’était plus aux émerveillements. Il devait marcher lentement pour ne pas tomber. La caverne plongea dans les ténèbres et il dut mettre une main contre la paroi de rochers, pour éviter une chute malencontreuse.
Le tunnel fit un tournant, et derrière ce contour, des cristaux et pierres précieuses de toutes sortes brillaient, éclairant la grotte. Une preuve qu’aucun xoux n’ait passé ici, sinon il n’y aurait plus eu un seul joyau. Gereon, voyant mieux maintenant, marcha plus rapidement. La caverne monta de plus en plus. Après une quinzaine de minutes, il ressortit du gouffre. Il écarta le feuillage qui l’empêchait de passer.
Le sommet des collines d’Orell était calme et tranquille. Les insectes chantaient, deux à trois oiseaux passèrent dans le ciel. La sortie du tunnel était l’un des rares endroits des collines à avoir des rochers. Ces terres servent essentiellement de culture, ou de pâturage, et toutes les pierres ont été enlevées des champs. Gereon regarda la cité de Jouda qui n’était plus qu’un tas de flammes brûlantes. L’homme se mit à genoux, sur la terre et posa son panier dans l’herbe. Avec ses mains, il retira le morceau de tissu qui couvrait celui-ci. Alors la tête d’un enfant apparut. Il était tout petit et si vulnérable. Gereon passa une main sur le front du nouveau-né. Il dormait paisiblement dans son panier.

- Voilà, lui dit doucement le serviteur. Tu es hors de danger. (La pluie commença à tomber sur les collines.) Mais pas encore en sécurité. Je vais te montrer un pays fantastique. Je suis sûr que tu vas l’aimer.

Gereon le recouvrit et regarda une dernière fois Jouda, dont les flammes diminuaient grâce à la pluie qui, maintenant, tombait à verse. Les nuages se faisaient de plus en plus nombreux, preuve que l’ombre qui s’est abattue sur la capitale, n’allait pas s’arrêter là. Le serviteur reprit le panier sous son bras et partit le plus vite possible en direction de la forêt de Brent, au nord, loin de ce lieu de désolation et de terreur. Il avait une promesse à tenir. Celle d’élever le fils du roi Boto Harriet.