Par Emrys Harriet
Chapitre IV A la recherche des événements
Seddik détacha son cheval et l’emmena près d’un arbre, non loin du char. Ensuite, il rejoignit Emrys qui avait déjà pris place dans l’herbe, au bord de la route. Le vieil homme avait un grand sac en bandoulière qui pendait de son côté gauche. Emrys, quant à lui, avait déjà déposé ses affaires à ses pieds et ouvrit son sac, afin de prendre un morceau de pain et de la viande de porc, avant de recevoir un nouveau sandwich. Seddik s’assit en face de lui, cherchant dans son sac quelque chose à se mettre sous la dent. Emrys avala ce qu’il était en train de mâcher, avant de poser une question.
- Cette forêt est tellement lugubre. Je comprends les gens qui en ont peur.
- Et pourtant, c’est le chemin le plus rapide pour se rendre à Nars, répondit le vieillard, sortant une gourde en bois brun. Tu me semblais bien pressé. Je ne voulais pas passer par la route du sud. Elle fait un trop grand détour. Je ne veux pas dire que ce chemin habituel donne une moins belle vue. Au contraire, je dirai même, que le lac Blanc est magnifique depuis la route.
- Oui. Je n’en doute rien, mais il est vrai que si tu n’avais pas eu une quelconque idée pour traverser le pont de la Grande Forêt, nous aurions dû rebrousser chemin, et par malheur, perdre plus de temps qu’il n’en aurait fallu.
- Je suis, certes, d’accord avec ton raisonnement, mais je dois dire qu’avant, la route de la Grande Forêt était la plus fréquentée de toutes.
- Avant ? S’interrogea Emrys. Avant quoi ?
- Avant le grand malheur, Emrys. Avant l’invasion du mal. Beaucoup de monde croit que les ombres se limitent, pour le moment, au septième et sixième royaume, mais Emrys, la Grande Forêt est la preuve que le mal est partout autour de nous. Il s’est infiltré dans le monde entier. Les arbres pensent et communiquent entre eux. Ils sont aussi craintifs du mal que nous. Alors ils se protègent en faisant peur. (Seddik reprit son souffle.)
Le seul moyen que nous ayons, pour lutter contre lui, est de nous montrer plus fort et ne pas avoir peur. Si nous nous laissons impressionner par le mal, il ne peut que nous habiter à notre tour.
Emrys écouta attentivement les explications du vieil homme, tout en mangeant son dîner.
- Pourquoi me dis-tu tout cela ? Demanda le jeune homme.
- Parce que je sais que tu vas affronter de grands dangers, répondit Seddik, après avoir bu quelques gorgées de lait de brebis. Je sais que tu es ici pour continuer ce que Gereon avait entrepris, des années auparavant.
- Et quel était-ce ?
Le vieil homme ne répondit pas tout de suite. Il referma son sac et se releva. Emrys l’imita. Une fois debout, Seddik s’approcha du jeune homme.
- Rechercher la couronne de Verum, lui répondit-il à voix basse.
Le vieillard se détourna et s’avança en direction de Reghtis qui broutait toujours l’herbe.
-Il est temps de regagner Nars, fit-il à haute voix. Là-bas, j’aurai quelque chose pour toi, Emrys. Alors j’aimerai que tu m’accompagnes jusque chez l’un de mes amis.
- D’accord, répondit le jeune garçon.
Seddik se courba à la hauteur de son cheval et lui dit des paroles, en asla.
- Pead guhroh xiwepd. Woipd.
L’animal ne bougea pas. Emrys ne s’étonna pas de la suite des événements.
- Ossag pieda, vocu ba tiuscu.
Reghtis releva la tête du sol et suivit lentement son maître. Emrys grimpa dans le char. Seddik le rejoignit après avoir attaché le cheval au véhicule. Puis ils repartirent sur la route. Les terres de cette région étaient plates et étendues. Plus de champs de blé ou d’orge, comme à l’intérieur de l’Océan de verdure, mais des vergers de pommes, poires, abricots et de prunes s’étendaient à perte de vue, que ce fut à droite ou à gauche de la route.
Beaucoup de travailleurs observèrent le char qui s’avançait lentement sur les pierres du chemin, tout en cueillant leurs beaux fruits.
Après une ceazii environ, ils atteignirent un autre barrage sur la route. Seddik s’arrangea pour faire croire aux gardes qu’ils avaient rendu visite à un ami. Ils passèrent ainsi, sans encombre, et droit devant eux s’étendait le village de Nars, en plus, bien entendu, des grands vergers. Ils leur restèrent encore un long chemin à parcourir avant d’atteindre l’entrée de Nars.
- Comment sais-tu que mon père recherchait la couronne de Verum ? Demanda Emrys qui, depuis leur départ de midi, n’avait plus rien dit car la vue l’avait surpris après le passage de la Grande Forêt.
- C’est lui-même qui me l’a dit, il y a trois jours. Je lui avais demandé ce qu’il avait fait durant ces dernières semaines, car on ne l’avait plus revu depuis longtemps. Il m’a dit qu’il avait besoin d’une preuve. Ayant appris que tu es le fils du roi Boto Harriet, je me suis bien douté que cette preuve ne pouvait être qu’en rapport avec Verum. Je vois que j’ai visé juste.
- Tu crois vraiment en cette histoire ? Je veux dire à la couronne et en ses pouvoirs ?
Seddik parut choqué par cette question. Il prit un air grave et dur, pour renforcer sa position.
- Bien entendu. Le mal n’a jamais été aussi puissant qu’il y a une vingtaine d’année en arrière. Je crois effectivement que la couronne a été égarée quelque part, ou complètement disséminée, ce qui me paraît improbable, car rien ne peu la détruire.
Le vieil homme attendit qu’un ouvrier des vergers regagne la terre, avant de reprendre la parole d’un air sérieux, peut-être même un peu froid, mais Emrys n’était pas à court de mise en garde.
- En tout cas, fit Seddik. Si tu comptes faire cette quête, sache qu’elle sera longue et périlleuse. Tu ne compteras pas les jours et les semaines, mais les mois, voire les années. Si, bien entendu, tu y parviendras un jour à la fin.
- Je te suis reconnaissant de tes avertissements, mais sauf ton respect, mon père m’a révélé que moi seul étais capable d’accomplir cette tâche.
- Oui, tu en as la force et le courage. Je prie pour que tu réussisses. Pour que le mal qui a terni les Terres Nobles, disparaisse pour toujours. Sache que les ombres sont tout autour de nous et que si nous n’y prenons pas garde, elles nous entraîneront dans les ténèbres. Seule la couronne peut nous sauver du désastre et il est à toi de la retrouver. Malheureusement, je crains que tu sois suivi par quelques ténébreux.
Sois sur tes gardes.
Emrys ne comprit pas vraiment tout ce qui se passait. Trop de choses nouvelles étaient apparues dans sa vie, d’un seul coup. Avec le temps, il arrivera peut-être à y mettre de l’ordre.
Il approchaient de l’entrée du village, où deux statues de trois rhubi de haut avaient été sculptées. Celle de droite représentait le fondateur de Nars et aussi son premier chef, Mountassir. Il tenait un long bâton dans la main droite, au sommet duquel reposait une pierre. Son autre bras longeait son côté. Il avait une petite moustache et les cheveux longs jusqu’aux avant-bras.
L’autre de gauche était Onofre, le saint patron de Nars. Un sabrolaser, dont la lame était positionnée vers le haut, se tenait entre ses dix doigts. Un chapeau en pointe, et recourbé, couvrait sa tête chauve et une longue barbichette lui arrivait, approximativement, au centre du torse.
Bien évidemment, ces deux statues de pierre étaient presque aussi vieilles que le village lui-même, dont il y a six cent cinquante-trois ans que la première demeure fut construite.
Ils pénétrèrent dans le village. La rue principale qui traverse tout Nars est composée de grandes pierres plates, disposées les unes contre les autres. Toutes les autres ruelles n’étaient que terre et petit gravier. Les maisons, construites en pierres, étaient surmontées de toits en métal. Les cheminées avaient la forme ronde d’un tronc d’arbre régulier au centre vidé, et les volets, taillés dans de grands chênes. Au centre de Nars avait été bâtie une grande fontaine circulaire, munie d’une colonne centrale rectangulaire d’où sortait du sommet, l’eau d’une profonde source. Sur l’un des côtés du pilier avait été sculpté d’anciens symboles aslas. Il y avait une multitude de gens dans les rues, soit des travailleurs, partant aux vergers après avoir dîner, soit des femmes avec de grands paniers remplis de linge sous le bras, partant étendre leurs vêtements, afin de les faire sécher au soleil.
Le char emprunta un chemin qui partait en direction du sud, juste après la fontaine. Puis elle continua dans la même direction jusqu’en bordure du village. S’approchant des dernières maisons, Seddik en désigna une du doigt en disant que c’était ici qu’ils se rendaient. Emrys regarda plus attentivement la demeure. Celle-là, comparée à la plupart des autres constructions, était de forme ovale et sa cheminée se trouvait au centre de celle-ci.
Contre le mur, était posée une grande échelle, et il vit de la paille jonchant le sol tandis que d’autres touffes tombaient à terre. Levant les yeux, il découvrit un homme sur le toit de la maison. Celui-ci enlevait le foin de son toit, laissant à découvert les montants en bois formant un grand quadrillage. L’homme vit la charrette avancer dans sa direction et il fit un geste de la main, que Seddik lui rendit. Puis il descendit par l’échelle, afin de se retrouver au sol et aux côtés de ses visiteurs.
- Seddik, enfin te voilà, déclara-t-il Comme tu peux le voir j’ai déjà commencé les travaux avant ton arrivée. Je veux vraiment changer ce toit, les plaques métalliques devraient bientôt arriver. Mais ne devais-tu pas arriver plus tard dans la journée ? Comment se fait-il ?
- N’es-tu point content de me voir, Rabi ?
- Je ne dirai pas cela, mais je n’ai pas tout à fait fini là-haut, et je ne peux nullement rester discuter avec toi, (Il regarda Emrys qui se tenait toujours à côté du vieillard.) et avec ton ami. Vous n’avez qu’à entrer à l’intérieur, je reviendrai plus tard.
Rabi remonta précipitamment sur le toit. Seddik tourna la tête du côté d’Emrys.
- Rentre seulement. Je vais juste mettre le char dans la cour.
- Très bien, fit Emrys.
Il descendit du véhicule et attendit que Seddik soit parti, afin de pouvoir traverser la rue et atteindre la porte de la maison. Il l’ouvrit et pénétra dans la demeure. Devant lui, le foyer de la cheminée était empli d’un faible feu rougeâtre. Une cheminée étrange, du point de vue d’Emrys, dont le fond circulaire était très large et était surplombé de quatre fines colonnes de pierre qui retenaient la deuxième partie de la construction, circulaire également, dont il y avait un espacement d’un mètre avec le bas où reposait le feu.
Le rez-de-chaussée était une grande pièce unie, utilisée comme salle de séjour, cuisine et salle à manger, l’étage supérieur abritait les chambres et salle de stockage de matériel.
De beaux meubles sculptés étaient placés contre les murs de la maison. Près du feu, quatre fauteuils demeuraient autour d’une petite table ronde. A l’opposé d’Emrys se trouvait une grande table en bois, entourée de six chaises. Quelques ustensiles de cuisine, tels que casseroles, louches, longs couteaux, étaient accrochés aux parois de la cheminée.
Après un moment à observer le lieu où il se trouvait, Emrys se retourna, entendant la porte d’entré s’ouvrir et il aperçut Seddik entrant dans la maison, portant son mystérieux paquet sous le bras. Il referma la porte derrière lui.
- Alors, Emrys. Tu n’imaginais nullement cette demeure aussi grande.
- Non. Il est vrai je dois le dire. Cette pièce commune fait paraître les lieux beaucoup plus vastes.
- Je suis du même avis. Tu ne verras point pareille maison comme celle-là dans tout Nars. C’est l’unique et la seule construite ainsi.
- Tu m’avais dit que tu avais quelque chose à me donner, et c’est en partie pour cela que je suis ici.
- Oui c’est exact. Viens ! Suis-moi !
Seddik se dirigea vers un escalier en bois qui se trouvait à gauche de l’entrée et ils montèrent au premier étage, débouchant dans un corridor qui faisait toute la largeur de la maison. Emrys suivit le vieil homme qui avait pénétré par la deuxième porte de droite.
La salle dans laquelle ils se trouvaient désormais était petite, étroite, mais confortable : une chambre d’invité. Seddik s’avança en direction d’une chaise et s’assit. Puis il prit le paquet, l’ouvrit et en tira un long bâton blanc, droit et uniforme. De son sommet partaient cinq petites branches recourbées comme les serres d’un aigle. Seddik demanda à Emrys de venir à ses côtés. Le jeune homme lui obéit et se posa sur le lit en face de lui.
- Voilà ce que je voulais t’offrir, Emrys, déclara le vieillard. C’est un kurep-junoyai. Les gens ont décidé de garder son ancien nom. Cela veut dire bâton magique en langage asla. Le voilà, il est à toi. Où tu iras, tu en auras grand besoin, plus que moi en tout cas. Tenez.
Le vieillard tendit le cadeau.
- Ça a dû te coûter cher, répondit le jeune homme. Non. Je ne peux pas accepter
- Je ne peux pas l’employer. Il ne m’est d’aucune utilité. Les kurep-junoyai sont les outils des sorciers, Emrys. Je n’en suis pas un.
- Comment ? Et la barrière ? Le pont dans la forêt ? C’était de la magie, non ?
- Oui. Bien entendu, chuchota le vieillard, comme s’il avait peur de quelque chose. Mais je suis un enchanteur.
- Mais le bâton magique ne fonctionne pas avec toi ?
- Il faudra que je fasse des recherches sur les objets qu’utilisaient les enchanteurs.
Le jeune magicien ne comprenait pas le comportement de son ami. Quelque chose ne tournait pas rond. Seddik semblait craindre que quelqu’un sache la vérité.
- Pourquoi parles-tu doucement ? Demanda finalement Emrys. Qu’est-ce qu’il y a ?
- Il faut que tu sache que les enchanteur sont rares, et pas tous les sorciers ne les aiment. Mais oublie cela. Tu le découvriras plus tard.
Emrys prit le bâton dans ses mains et le regarda de bas en haut, plusieurs fois. Puis il tourna la tête du côté de Seddik.
- Je te remercie infiniment, mais qu’a-t-il comme pouvoirs ?
- Le kurep-junoyai n’a que le pouvoir d’augmenter les tiens. Il est très rare de trouver un objet tel que celui-ci. Il a été taillé au cœur même d’un rajable de cent ans. Alors son pouvoir est immense, mais qu’à partir du moment où tu sauras l’utiliser.
- Tu pourrais m’apprendre ?
- Je crains fort que non, mais tu auras du temps, en chemin, pour apprendre à connaître ton kurep-junoyai. La seule chose que je peux te dire, c’est qu’au sommet, où ressortent ces cinq pointes, là tu pourras y placer un objet magique. Dans le temps, les gens y mettaient une pierre, mais c’est à toi de décider.
- Merci de ton aide. De m’avoir amené jusqu’ici.
- Ce n’est rien. J’espère que mon cadeau te sera d’une grande utilité.
- Le jour où je reviendrai, je te le dirai.
- Hé ! Où êtes-vous ? Cria la voie de Rabi, qui venait de rentrer dans la maison.
Sa question eut réponse immédiate, car Seddik et le jeune homme, redescendaient à l’instant par l’escalier.
- J’ai fini de tirer la paille en bas, continua Rabi. On peut commencer à la charger sur le char quand tu veux Seddik.
- Navré, mon cher ami, répondit le vieil homme. Mais le jeune homme, ici présent, doit nous quitter sur le champ. Et je l’accompagne jusqu’à la sortie du village.
- Sur le champ, as-tu dit ?
- Oui, Rabi. Profites-en pour te reposer.
Seddik et Emrys se dirigèrent vers la porte. Ils saluèrent Rabi et tirant sur la poignée, la porte s’ouvrit.
- Je ne serai pas long, déclara Seddik avant de sortir en refermant derrière lui.
Ils s’avancèrent tous deux à travers Nars en direction de l’est. Seddik s’appuyait sur une canne en bois, quant à Emrys, il marchait, son bâton dans la main gauche. De temps à autre, le vieil homme saluait certaines personnes qu’ils croisaient dans les rues. Puis, après une quinzaine de minutes, ils atteignirent la sortie du village, où la route menait directement à Titus.
Ils s’arrêtèrent, se regardant dans les yeux, étant face à face. Une légère bise commença à souffler.
- Je te souhaite bonne chance, Emrys. Je ne viendrai point plus loin qu’ici.
- J’aurai tellement voulu que tu viennes avec moi.
- Non Emrys. Le chemin que tu vas emprunter, durant ta quête, n’est pas une route pour moi.
Emrys abaissa les yeux vers le sol, secouant légèrement la tête.
- Mais ne te soucies guère, continua Seddik. Tu ne continueras pas seul. Certaines personnes t’accompagneront, tout en les cherchant bien et qu’une grande confiance règne.
- Merci pour tous tes conseils, mais j’aurai voulu que ta sagesse m’accompagne dans ma tâche.
- La tienne est plus grande encore, mon ami. En temps voulu, tu sauras l’écouter et la laisser te guider. Mais pour l’instant, seule la logique, te sera d’un grand secours. Allez. Pars de l’avant. Seuls tes choix futurs, écriront l’avenir.
- Au revoir Seddik.
- Au revoir Emrys. Que les grands esprits veillent sur toi.
Le jeune homme se tourna en direction de Titus. Après une trentaine de gud, il se retourna, levant la main droite en guise de salut. Seddik fit de même. Sa longue barbe dansait dans la bise de l’après-midi, ainsi que ses cheveux et ses vêtements. Quelques instants plus tard, il repartit, tapant sa cane sur le chemin. Le voyant disparaître derrière la colline, Emrys se retourna, continuant sa route en direction de Titus.
La grande ville, paraissait large et étendue. De hauts murs de pierres l’entouraient. Elle avait la forme d’un triangle, trois tours dans chaque angle, hautes et étroites et également de chaque coté des Portes. Il était encore un peu loin, pour visualiser des détails.
Après quelques heures, il fut arrivé aux Portes Sud-Ouest. Elles étaient grandes, larges et munies d’un bel arc de grosses pierres taillées. Autrefois, les portes restaient toujours fermées et des gardes accordaient le passage aux voyageurs et habitants. Pour fêter les premiers jours de paix, après la Guerre des Sept, les portes de bois furent défaites et brûlées dans un énorme foyer, au centre du village. Emrys, en passant sous l’arche, entendit des bruits d’outils de diverses sortes et il découvrit des ouvriers qui travaillaient du métal.
Le jeune homme s’approche d’eux et leur demanda ce qu’ils faisaient. L’un des travailleurs lui répondit qu’ils reconstruisaient d’autres Portes, car les foscioums allait sûrement tenter de traverser les montagnes du royaume de Paitje, maintenant que l’hiver était passé. Emrys se contenta de les saluer et reprit la route.
Les maisons citadines étaient de toutes autres conceptions que celles de Nars. Elles étaient beaucoup plus hautes, le métal des portes et des volets peints de couleurs différentes. Toutes les rues de la ville étaient formées de grandes pierres plates, telle une énorme mosaïque avec des tons de différents gris. Une multitude de gens déferlait sur les routes.
Emrys réalisa qu’un grand marché avait lieu dans la grande avenue. Il y découvrit toutes sortes de marchands et de toutes races, des xouxs principalement, et également quelques niuprs, mais pas vraiment d’aslas. Il y avait des sculpteurs, des tailleurs de pierres, des orfèvres, des armuriers et bien d’autres artisans.
Pouvoir se frayer un chemin parmi la foule n’était pas chose aisée. Emrys se faisait bousculer de tous les côtés. S’informer sur l’emplacement de la bibliothèque était impossible. Il y avait trop de bruits, musiques et chahuts de discutions. Emrys se déplaça du côté droit de l’avenue, puis prit une petite ruelle qui la coupait, afin de déboucher dans une rue parallèle. Il regarda autour de lui, et le problème, maintenant, n’était pas le bruit, mais il n’y avait personne.
Aucun habitant à qui demander sa route. Ils s’étaient tous rassemblés à la foire, mais il devait en trouver un ici, à moins que la chance lui fasse tout de suite trouver le bâtiment. Il vagabonda dans le reste de la ville, à la recherche d’un villageois, mais en vain. Il n’y avait personne. L’idée de crier dans la rue lui vint en tête et il le fit.
- Hé ! Y a-t-il quelqu’un ?
Il répéta plusieurs fois la même chose, tout en marchant lentement, avant qu’un volet d’une maison, au deuxième étage s’ouvrit. Un vieil homme se pencha à l’extérieur, regardant Emrys d’un mauvais œil.
- Allez donc faire du bruit avec les autres, cria-t-il furieusement. Sinon taisez-vous.
- Navré de vous avoir dérangé, monsieur. Je ne suis pas d’ici et je cherchais la bibliothèque.
- Voyez-vous ça ! Tous ce raffut, pour une stupide bibliothèque. Allez jusqu’à la Grande Place. C’est juste à l’angle, mais elle sera bien fermée, les jours de fête.
Emrys n’entendit pas la fin de la phrase. Il était déjà parti au pas de course. La Grande Place se trouvait au centre de la ville et il prit donc cette direction. La place devait accueilli la foire, mais tant pis. Le plus important était de rentrer dans la bibliothèque, trouver des livres intéressants, et repartir le plus vite possible en direction du nord.
Gereon en avait trouvé, il y a longtemps, il restait à espérer que les livres soient toujours ici.
Il déboucha à nouveau dans l’avenue principale, il lui restait une centaine de rhubi avant d’arriver sur la Grande Place. Après maints efforts, il arriva dans un angle de la place et face à lui, était situé la bibliothèque. Il traversa tout droit, lors qu’un homme monté sur un cheval passait. Il allait piétiner Emrys, mais le cheval prit peur et se leva vivement sur ses pattes arrières. Le cavalier le rassura, puis se tourna vers Emrys, lui criant des insultes en xoux, dont le jeune homme compris partiellement le dialecte utilisé.
Après cet incident, il arriva finalement devant les portes du bâtiment. Il souffla, soulagé d’être enfin arrivé au lieu voulu. Il prit dans sa main droite le heurtoir et frappa à la porte. Il attendit quelques instants, jusqu’à ce qu’une femme d’âge avancé apparaisse devant lui.
- Excusez-moi monsieur, fit-elle. J’avais oublié de mettre la pancarte "Fermé". Je suis navrée.
- Fermé ! Déclara Emrys. Pourtant, je me dois d’entrer. C’est très important.
- Désolé, monsieur. Mais je ne peux pas faire de faveur. Je dois tout nettoyer de fond en comble. Je ne peux pas me permettre de vous laisser entrer. Il n’y a personne ici, pour vous informer.
- Le responsable n’est pas là, alors.
- Exact.
- Savez-vous où je pourrais le trouver ?
- Il faudrait voir de l’autre côté du bâtiment. C’est là qu’il habite.
- Je vous remercie madame.
La grande porte se referma avec un léger grincement. Emrys redescendit les escaliers, devant l’entrée, ensuite il se dirigea à l’arrière de la bibliothèque passant du côté gauche. Il fit le tour, de l’autre côté, et tomba sur une porte en bois, pas très haute, munie d’une grande poignée en métal. Il frappa à la porte, puis attendit patiemment sur le palier.
Quelles minutes plus tard, la porte s’ouvrit, dévoilant une jeune femme, de grande taille, aux cheveux coiffés en chignon.
- Oui, monsieur ? Demanda-t-elle.
- Bonjour, madame, répondit Emrys. Je désirerai savoir où je pourrai trouver le responsable de la bibliothèque. On m’a dit qu’il logeait ici.
- C’est exact, monsieur. Mais il n’est pas là pour le moment.
- Savez-vous où il se trouve. C’est très important.
- Il doit être à la foire. Mais allez plutôt à La Griffe du Dragon d’or. C’est une auberge sur l’avenue principale. Prenez la direction du nord. C’est sur la droite en longeant la rue. Vous ne pouvez pas vous tromper.
- Merci bien, madame.
Emrys partit en courant, jusqu’à ce qu’il atteigne l’avenue. Là, la foule s’était écartée, laissant la place à une dizaine de personnes qui dansaient, en chantant d’anciennes paroles aslas, sur le héros Rocco :
Rocco zeop d’ip uzzu,
Zao nhupx junoboip,
Ua jepxi iproih gheawih
Yai zu diazi uhji yao ojgehruor,
Z’idghor xi z’irhi iruor.
Yaupx zid igiid rhuorhid iruoipr,
Yaupx zid keabzoihd,
Guh zi bqeb bixuoipr,
Z’idghor, zao,
Cuoduor rejkih api gzaoi,
Xi koipcuord ir xi kepqiahd,
Geah ibuhrih zi juzqiah.
Yaupx zid ejkhid,
Ir zid ripikhid,
Ipwuqohipr zid rihhid pekzid,
Oz di kurror,
Ir higeaddu z’ipijo,
Hipxupr uav rihhid pekzid,
Nhupxi guov,
Ir zepnai kiuari.
Ap meah, oz hiwoipxhu,
Zehdyai xupd z’ejkhi,
Zi jepxi rejkihu,
Pead duawih xid xibejkhi.
Emrys ne pouvait pas passer sur les côtés, parce qu’ils étaient bloqués par les spectateurs. Il décida donc d’entrer sur l’avenue, entre les deux à trois rangs de personnes qui se trouvaient devant lui. Arrivé à l’intérieur du cercle de la foule, il marcha d’un pas rapide, direction nord, quant on lui agrippa la main et le tira avec les danseurs, faisant une chaîne de main en main. Il ne voulut pas se débattre, cela aurait gâché la fête.
Mais au contraire, il se laissa aller, regardant la jeune fille qui l’avait attiré dans la danse. Elle était blonde et mince, portant une longue robe bleu-turquoise. Ses cheveux longs flottaient dans les pas de la danse.
Après quelques minutes de danses et de chants, Emrys réussit finalement à se libérer de la troupe et partit d’un pas précipité, au nord. Voyant que les danseurs étaient loin derrière lui, il ralentit et plusieurs rhubi au devant de lui, il découvrit une grande pancarte accrochée au mur d’un bâtiment. Elle avait une bordure dorée et le dessin d’une patte de dragon du côté de l’immeuble. Il était inscrit sur celle-là "La Griffe du Dragon d’or". De l’auberge, sortait une belle et harmonieuse musique, un ensemble de violons et de contre-basses.
La porte possédait un vitrail multicolore, composé de carrés et de rectangles de différentes tailles. Au devant, était placée une grille en fer forgé, munie de multiples motifs. Emrys entra sans hésiter. Il découvrit une grande salle enfumée, un bar au fond, sur toute la largeur du bâtiment. Il y avait une multitude de tables, dans toute la pièce, de différentes grandeurs, pour deux, quatre et même huit personnes et également une petite scène où jouaient cinq musiciens.
Une grande foule emplissait la salle, des humains pour la plupart, mais également des xouxs et quelques maoisiens. Ils parlaient de plusieurs sujets, mais le plus courant, et qui ressortait le plus, étaient bien entendu sur les foscioums, leur invasion et leur avancée dans le royaume de Paitje, ainsi que la rénovation des murailles de Sophus.
Emrys se demanda comment il allait trouver le responsable de la bibliothèque, car il n’eut pas l’idée de demander son nom. Il regarda de gauche à droite, observant attentivement toutes les personnes présentes. Puis il se demanda comment il avait pu faire confiance à Seddik, la première fois qu’il le vit, et il se souvint de la voix résonnant dans son esprit. Il décida de se concentrer en fermant les yeux.
Après plusieurs minutes la voix revint, mais elle disait autre chose.
Laisse-toi guider.
Les mots se répétèrent. Le jeune homme ne connaissait pas cette langue, mais malgré cela il comprit le sens. Entendant cette phrase répétitive, il fixa du regard un homme, dans un coin de la salle. Il était chauve et muni d’une moustache blonde, une allure svelte et des vêtements dans les tons marrons et bleu-marine. Celui-ci était en grande conversation avec un autre homme, plus âgé que lui.
Calvin Gino, commença à dire la voix, d’une fois qu’Emrys avait posé les yeux sur l’homme au moins une dizaine de minutes.
Le jeune homme répéta une fois, le nom et le prénom, à voix basse et s’avança en direction du moustachu. Ensuite l’homme plus âgé, qui se trouvait à la table, se leva, rompant la discussion. Puis il s’en alla, tandis qu’Emrys arriva et s’assit lentement en face de l’homme qui, pour lui, était le gérant de la bibliothèque. L’homme ne le remarqua pas, car il avait tourné la tête en direction du bar.
- Calvin Gino ? Demanda Emrys, assez sûr de lui.
L’homme se retourna, surpris de ne pas avoir entendu le jeune garçon s’installer en face de lui.
- Oui, monsieur. C’est moi. (Il plissa les sourcils.) Je ne crois pas vous connaître, ou bien je me trompe.
- Vous avez totalement raison, monsieur Gino. Vous ne me connaissez pas, mais peut-être vous rappelez-vous de mon père, Gereon Bachar.
- Gereon Bachar, répéta Calvin, tout en cherchant dans sa mémoire. Ah oui, mais cela fait longtemps, presque vingt ans. Il cherchait des livres avec une grande détermination et une grande conviction. J’avais parlé avec lui sur la couronne de Verum. Il semblait vouloir la rechercher, car selon lui, c’est à cause de cela que foscioums, à l’époque, avait envahi le septième. Peut-être a-t-il raison.
- Il a raison. Il m’a confié cette tâche et j’ai besoin de votre aide.
- Des livres ?
- Entre autre. Si vous les avez gardés, bien entendu.
- Evidemment que je les ai gardés. Quand votre père est revenu, il semblait désespéré. Il m’a redonné mes livres et a ajouté que s’était le devoir de quelqu’un d’autre de retrouver la couronne et non à lui. J’ai donc gardé précieusement les livres, chez moi. Depuis ce jour, ils ne sont plus jamais ressortis.
- Pourrais-je les voir ?
Calvin parut soudain septique.
- Qui me prouve que vous êtes…
- Emrys Bachar, conclut le jeune homme.
- Oui. Voilà.
- Je peux vous le prouver, mais pas ici. C’est trop risqué, même d’en parler. Je n’ai pas envie que l’on suive ma trace.
Calvin réfléchissait, en se frottant le menton. Il hésitait et Emrys le comprenait. Cela embêtait Gino de montrer ses livres, comme cela embêtait Emrys de sortir Mens.
- Très bien, déclara Calvin. Allons à l’intérieur de la bibliothèque. Elle est fermée, il n’y aura personne et plus que tout, pas d’oreilles indiscrètes.
- Cela me va.
Ils se levèrent, tous deux, et prirent la direction de la sortie. Au dehors, la foule était moins grande. Emrys était étonné.
- Comment se fait-il qu’il n’y ait presque plus personne ici ?
- La plupart des gens se sont rendus aux Portes de la ville. Ce soir, on les replace. Nous fêtons cela, mais ça n’annonce rien de bon. Pour moi, c’est comme le début de la guerre, mais je ne partirai pas. Je compte me battre jusqu’au bout. Allons. Venez. Je désire me dépêcher. J’aimerai participer à la fête.
Ils s’avancèrent à travers la grande rue et atteignirent la bibliothèque, après quinze minutes. La porte était fermée et Calvin dut employer une grande clef, afin de l’ouvrir. Il y eut à nouveau un léger grincement. Puis ils entrèrent à l’intérieur du bâtiment, refermant la porte derrière eux et ils la verrouillèrent. Calvin s’arrêta dans le halle et se tourna face à Emrys.
- Quelle est votre preuve ? Demanda-t-il, sur le ton de l’impatience.
Emrys sortit délicatement Mens, qui était resté jusqu’à présent sous ses vêtements. Calvin plissa le front, n’étant pas plus convaincu pour autant. Il était clair qu’en dehors des étranges inscriptions, la pierre ne brillait pas et elle faisait en sorte de ne pas attirer l’attention.
- C’est tout ? Demanda Calvin. Et bien, je m’attendais à mieux, qu’un vulgaire bout de caillou.
A cet instant, Mens commença à s’illuminer, et la clarté devenait de plus en plus intense. Gino recula vivement, mettant la main droite devant les yeux. Il paraissait avoir peur, comme si la pierre s’était fâchée contre lui et qu’une crainte s’éveillait en lui. Emrys, quant à lui, n’avait pas bougé, et ses yeux n’étaient pas fermés, comme si la lumière ne lui faisait rien.
Le hall devint presque blanc, puis la lumière baissa lentement, jusqu’à ce que la pierre redevienne comme avant. Calvin garda encore un moment sa main devant le visage. Il n’osa pas l’enlever tout de suite. Après s’être rapproché d’Emrys, il baissa la main et le regarda les yeux écarquillés.
- Je vous crois à présent, monsieur Bachar.
- Vous pouvez m’appeler Emrys, répondit le jeune homme, remettant Mens sous son chemisier.
- Très bien Emrys. Suivez-moi.
Ils se mirent en marche, entre de longues rangées d’étagères remplies de livres. Il y en avait de toutes sortes : histoire, mathématiques, constructions, cultures et traditions et bien d’autres encore. Emrys regarda à gauche et à droite, essayant d’observer le classement. Calvin remarqua son attitude.
- Il n’est pas nécessaire de chercher. Ils ne sont pas ici. Ils se trouvent chez moi, je vous l’avais dit.
- Oui, c’est vrai.
- Voilà, nous y sommes.
Au devant d’eux, se dressait une petite porte en métal. Calvin l’ouvrit à l’aide d’une clef en argent. Puis la porte coulissa. Ils entrèrent dans une petite remise, où était rangée une multitude de livres tout poussiéreux, mais Gino continua. Le lieu était sombre, car il n’y avait aucune fenêtre. Il y avait une autre porte, tout au fond. Calvin l’ouvrit également.
- Entez seulement. J’en ai pour quelques minutes.
Emrys pénétra dans la salle. Il comprit alors qu’il était dans la demeure du gérant. Calvin repartit en arrière, afin de refermer à clef la porte menant à la bibliothèque, puis il revint aux côtés d’Emrys.
- Bienvenue chez moi, déclara Calvin.
- Merci, c’est très chaleureux.
- Je vous en pris, mais prenez seulement place, fit-il en désignant le salon. Je reviens dans un moment.
Emrys s’avança vers un fauteuil et s’assit. Il regarda autour de lui. Une cheminée avec un léger feu sur la droite, au devant, il paraissait y avoir la cuisine. Calvin revint vers lui, avec six livres dans les bras. Il les posa ensuite sur une petite table, avec un grand bruit sourd et de la poussière s’en échappa.
- Voilà, déclara Calvin. Ils sont tous là. Il y a des tas d’informations à l’intérieur. Je vous laisserai faire le tri vous-même.
Emrys prit le premier livre de la pile. Il avait pour titre : Les légendes des Temps Anciens. Il le feuilleta rapidement.
- Vous logez quelque part ? Demanda Calvin.
- Non. En fait, je pensais repartir ce soir.
- Partir ! En plein milieu de la fête ! Mais c’est un moment historique, Emrys. Après plus de deux mille ans, les Portes de Titus qui étaient jadis brûlées, se relèveront de leurs cendres.
- Oui, certes, mais il est impératif que je me mette en chemin.
- Je vous comprends, c’est pour cela que je vous laisse tous ces livres. Vous pouvez les prendre, moi, ils ne me servent à rien.
- Merci.
- Je vous propose de venir à la fête, ce soir et vous pouvez dormir ici. Mon toit est vôtre.
- Je ne refuserai pas cette invitation.
- Bien. Voilà ce que nous allons faire. Je vous laisse étudier les livres, pendant ce temps-là je sortirai. Je reviendrai aux alentour des dix-huit heures, puis nous partions aux Portes Nord.
- D’accord. Cela me va.
- Bon, fit Calvin, tout en se levant. Je vous laisse, à toute à l’heure.
Calvin sortit de la pièce, puis Emrys entendit s’ouvrir et se refermer rapidement une porte. Ensuite il étala les livres sur la table. Il les feuilleta les un après les autres et y découvrit des choses intéressantes : l’histoire des huit combattants, les aventures de Rocco, la Guerre des Sept, la disparition des rhezzs. Mais dans aucun qu’entre eux, il était écrit l’emplacement des pierres, si un jour la couronne devait être fragmentée. Après une bonne heure de recherches intensives, il trouva une phrase, dont il retint : Les pierres appellent les pierres et l’élu à elles, le cœur de l’homme digne saura les trouver, et franchir toutes les épreuves. Il posa le livre sur les genoux et répéta cette phrase.
ll approchait des dix-huit heures et Calvin revint auprès d’Emrys.
- Alors. Vous êtes prêt ? Demanda-t-il.
- Oui, répondit Emrys. Un petit instant.
Il prit tous les livres, ouvrit son sac et les plaça à l’intérieur. Ensuite il posa son sac et sa sacoche au pied du fauteuil. Il prit juste un manteau, car le soleil allait bientôt se coucher et il faisait vite froid. Puis il se leva et rejoint Calvin qui l’attendait devant la porte d’entrée. Il sortit et Gino ferma la porte à clef.
- Dépêchons-nous, déclara l’homme. Ils ont fait un grand foyer sur la place et il y aura un défilé des flammes, jusqu’aux trois Portes. C’est comme cela que l’on appelle la marche, parce qu’il n’y a pas de flambeaux.
- Pas de flambeaux ? Un défilé par magie ?
- Oui, bien entendu.
- Mais pourquoi donc ?
- Cela donne de l’espoir. Le symbole de notre force mentale. Comme Rocco l’a démontré, l’arme du psychique et plus forte que tout.
- Je suis d’accord, mais c’est une théorie. Malheureusement, à ce que j’ai entendu la famille des Donovan est très puissante. Et pour ma part, je crois que seule la couronne de Verum pourra les arrêter, et pas autre chose, même pas la magie des aslas.
- Peut-être bien, mais cela les ralentira.
Ils arrivèrent sur la place. Un énorme feu brûlait au centre et une multitude de personnes s’était assemblée tout autour. Certains dansaient en tournant, près du foyer. Il y avait des chants de toutes sortes, en langage courant, pour la plupart, mais également en asla. Il y avait aussi des musiciens de toutes sortes. Ceux qui ne chantaient pas, frappaient dans les mains, ou avec leurs pieds. Emrys et Calvin les imitèrent.
Le ciel devenait de plus en plus sombre et lorsqu’il fut noir comme de l’encre, les danseurs frottèrent d’un geste brusque, leurs mains l’une comme l’autre, faisant dégager une flamme jaune dans l’une de leurs paumes. Ils se divisèrent en trois groupes, plus petits. Les rangs de spectateurs se séparèrent également, créant trois ouvertures sur les rues principales. Les danseurs et chanteurs et musiciens s’enfilèrent dans chacune des routes et le monde qui les regardait, les suivirent, tout en frappant vivement leurs mains, afin de créer eux aussi une flamme dans leur paume.
Calvin tapa des mains et fit pareil aux autres. Emrys essaya, mais en vain. Il se contenta de suivre Gino et les autres, en direction du nord.
Le ciel était, maintenant, étoilé, formant une grande bande blanche et scintillante. La lune brillait également, elle sera pleine demain soir. La procession s’avançait lentement vers le nord. Les murs de la ville devenaient de plus en plus proches. Enfin, la foule arriva devant les Portes Nord. Elles étaient posées contres les murs de chaque côtés de l’ouverture. Les danseurs firent deux lignes sur les côtés de la rue, agitant, maintenant, plus que les bras. Les personnes s’arrêtèrent. Près des Portes, apparurent quatre musiciens de cors, jouant une belle mélodie.
Ensuite une vingtaine de personnes, d’age avancé se dressèrent devant les Portes, dix pour chacune d’elle. Ils levèrent chacun leurs bras, vers l’avant, en direction des Portes, prononçant des paroles répétitives en asla : Reo ziwi. Reo xigzubi.
A cet instant, les deux portes se soulevèrent et se déplacèrent lentement dans l’air, jusqu’à arriver l’une contre l’autre. Là, elles descendirent lentement, et un bruit sourd résonna lorsqu’elles se fixèrent dans les charnières des murs. D’un seul coup, la foule hurla, cria, en langue courante et en asla, les danseurs se remirent à bouger en tout sens.
Emrys sentait une atmosphère étrange. Les gens semblaient heureux, mais il savait, comme tout le monde ici, qu’il n’y a pas à se réjouir des jours qui viendront : de la joie pour la sécurité de la ville, et de la peur pour les ombres qui vont s’abattre sur la planète toute entière. Tout cela se dégageait dans la foule. Emrys le comprenait, mais lui-même ne se sentait pas en sécurité dans la cité. Une ombre envahit tout, lorsque le soleil ne brille plus et ça, même de grandes portes ne pourraient pas le stopper.
Il faisait déjà tard dans la nuit, Emrys commençait à sentir sa fatigue de la journée et son bon sens lui murmurait qu’il serait plus sage d’aller se reposer sur-le-champ. Il s’approcha de Calvin, mais dut tout de même crier pour se faire entendre, tellement il y avait de bruit.
- Je pense que la journée de demain sera longue pour moi. Je crois qu’il vaudrait mieux que j’aille me coucher.
- Vous avez raison, en plus, il n’y a plus rien d’intéressant maintenant. Allons-y.
Il s’en allèrent gentiment au sud.
Après une vingtaine de minutes, ils arrivèrent chez Calvin, puis entrèrent dans le bâtiment. Il faisait bien chaud, car le feu avait été alimenté par de grandes bûches de pin. Ils déposèrent leurs manteaux à l’entrée, alors une femme, la même qui avait ouvert à Emrys la première fois qu’il était venu ici, apparut devant eux.
- Bonjour, fit-elle à Emrys, puis regarda Calvin. Tu rentres enfin. Nous pouvons passer à table.
- Très bien, mais tu peux rajouter un couvert. Emrys Bachar restera ici pour la nuit.
- D’accord. Ça ne devrait pas poser de problème. (Elle s’approcha d’un escalier, qui partait à l’étage supérieur.) Clémentine. Dîner.
Après cela la femme repartit à la cuisine, tandis qu’une petite voix répondit du sommet de l’escalier. Calvin demanda à Emrys de le suivre. Ils entrèrent dans la salle à manger. Elle était séparée de la cuisine par une légère paroi en bois de cèdre. Il y avait une grande fenêtre à l’autre bout, munie de deux rideaux verts. Tous les murs de la pièce étaient formés de lamelles de bois.
Des sortes de petits bols étaient fixés contre les murs de la salle, en guise de lumière. Emrys se demandait comment les flammes ne brûlaient pas les parois. C’était sûrement de la magie, comme quand Seddik avait eu une flamme sur le pouce, ainsi que les bandes de feu chez Marted, et comme les gens à la procession de ce soir. Au centre de la pièce, il y avait une table de taille moyenne, autour de laquelle étaient placées six chaises. Sur la table, reposaient trois coupes, en argent. Calvin s’approcha de l’une d’elle, puis tapa dans les mains, faisant dégager des étincelles qui allumèrent la coupe.
Emrys écarquilla les yeux.
- Comment avez-vous fait cela ? Demanda-t-il.
- C’est un petit tour de rien du tout, répondit Calvin.
- Mais je n’arrive pas à le faire. Je peux émettre de la chaleur et brûler quelque chose en touchant, mais pas faire une flamme. Vous pouvez me l’apprendre ?
- Bien entendu. Mais tout d’abord, vous devez vous mettre dans votre esprit la chose suivante : qu’est-ce qui fait qu’une flamme vit ?
- De l’air et du combustible.
- Exact, et retenez aussi qu’il faut une chaleur issue d’un frottement. Maintenant, nous savons qu’il y a de l’air dans la pièce, et que le frottement est issu de nos doigts ou de nos mains. Il ne reste plus qu’à trouver du combustible.
- D’accord, je comprends, mais dans une main, il n’y a pas de combustibles.
- C’est là que vous avez tord. Vous m’avez dit que vous arriviez à émettre de la chaleur avec vos mains, sans qu’il y ait de flamme. C’est parce que vous avez modifié l’air entourant vos mains, en une fine matière métallique. Le métal tient la chaleur en lui, mais ne brûle pas. Ce qu’il faut que vous fassiez, c’est changer cette matière en une autre, combustible, comme le bois. Alors, à cet instant, l’air, la chaleur et le combustible feront naître votre flamme. Avez-vous compris ?
- Compris, oui. Mais…
- Il faut essayer. Allez-y.
Emrys tendit la main droite en avant, paume vers le haut. Il se concentra, en plissant légèrement le front, mais rien ne se passa. Il continua et maintenait sa concentration, en fermant maintenant les yeux. Calvin le regarda, se demandant pourquoi il ne cognait pas ses mains ensembles. L’air, au-dessus de la main, commença à vaciller, comme de l’air chaud. Il ouvrit la main gauche, en direction de Calvin.
- Pouvez-vous me donner mon bâton ? Demanda-t-il à Calvin.
Calvin passa dans le salon et prit le kurep-junoyai qui était resté contre le fauteuil. Il l’amena à Emrys qui l’empoigna fermement dans la main gauche. Quelque secondes plus tard, une grande flamme jaillit dans la paume droite du jeune homme. Calvin sursauta, surpris et faillit tomber en arrière.
Sans frottement, mais comment a-t-il fait ? Se demanda Calvin. C’est impossible. Il est vraiment fort pour son âge. Je comprends pourquoi Gereon lui a confié cette quête.
Emrys ouvrit les yeux, puis sourit, voyant ce qu’il avait réussi à faire.
- Faites attention, déclara Calvin. Il faut que vous mainteniez votre concentration, sinon vous vous brûleriez la main.
- D’accord, mais maintenant, je fais comment pour l’éteindre ?
- Retransformez la matière combustible, en une matière métallique, ensuite, enlevez la chaleur de votre paume, puis la couche de métal.
- Très bien.
Emrys se concentra. La flamme disparut et il baissa la main.
- Merci, Calvin. Vous ferriez un très bon professeur.
- Oh ! N’exagérons rien, répondit l’homme, sachant qu’évidemment, Emrys avait plus de pouvoir que lui, en peu de temps de pratique.
Calvin alluma les deux autres coupes sur la table.
Dix minutes plus tard, ils passèrent tous à table. Emrys remarqua que Clémentine n’était rien d’autre que la jeune fille qui l’avait tiré dans la danse, cet après-midi. La plupart du temps, elle lui lançait des sourires, car elle se trouvait juste en face de lui. Emrys se sentait mal à l’aise, presque autant que le soir où il avait dormi à Gaume. Il essaya de ne pas y penser.
Après le repas, il prit ses affaires : sacs, bâton, et manteau. Puis il suivit Calvin qui l’amena dans sa chambre. Elle était assez grande, munie de meubles divers, commode et armoires. Emrys n’avait pas besoin de tout ce luxe, surtout pour une nuit. Ce qui lui importait, c’était de pouvoir bien dormir, afin d’être en pleine forme, pour partir demain. Il entra dans la pièce, Calvin le salua, puis referma la porte derrière lui.
Emrys déposa son sac, ainsi que sa sacoche au pied du lit et accrocha le manteau à la poignée de l’armoire. Ensuite il s’approcha de la fenêtre, en face du lit. Il l’ouvrit et regarda à l’extérieur, levant la tête vers le ciel. La lune brillait fortement et les étoiles clignaient dans le ciel, qui était d’un noir glacial. Il y eut un grand courant, fouettant le visage d’Emrys. Il regarda la ville, ces lumières. Plus un seul bruit résonnait à l’extérieur.
Le jeune homme étira les bras, puis il recula, fermant la fenêtre. Il s’avança vers le lit et enfin se coucha, après avoir déposé son bâton sur le plancher. Quelques instants plus tard, le noir envahit ses yeux, sombrant dans le sommeil.