III Ces pestes que nous adorons detester
Dans toute bonne histoire qui se respecte, pour que les héros nous apparaissent comme tels, il faut des figures malfaisantes, des empêcheurs de tourner en rond, bref, des ennemis. Les personnages féminins n’échappent pas à cette règle. Bien que les héroïnes appartenant au « bon coté » apparaissent très tôt dans la saga, il n’en va pas de même pour celles qui choisissent de servir l’idéal antagoniste, pour celles qui cherchent à tout prix à faire échouer le bien au profit du mal. En fait, dans les cinq films sortis jusqu’à ce jours, on n’en voit que deux : Aura Sing et Zam Wesell. En ce qui concerne la première, on ne fait que l’apercevoir au détour d’un virage de la Course de la Bounta. Pour Zam Wesell, on ne peut que regretter que son rôle dans l’histoire ne soit pas plus étoffé, et que Georges Lucas n’en ai pas fait un de ses personnages clé. Même dans sa trilogie originale ( Un Nouvel Espoir, L’Empire Contre-Attaque et le Retour du Jedi) Lucas ne peut faire apparaître les femmes que comme des figures emblématiques et charismatiques. Ce n’est que dans les livres de l’Univers Etendu que des auteurs comme Timothy Zahn, Michael Stackpole ou Kevin Anderson, nous font apparaître des femmes comme de véritables pestes, froides, dures et impitoyables. Pourtant, si ces figures condensent dans leurs aventures, dans leurs actes, tout ce qui nous répugne, tout ce que nous réprouvons, il faut bien avouer que nous ne pouvons nous empêcher de nous y attacher, même si c’est en espérant les voir vaincues à la fin.
Si on se penche un peu plus sur les femmes dans la littérature mondiale, on s’aperçoit que les méchantes, vraiment méchantes, machiavéliques et diaboliques, ne sont pas légions. Dans ce sens, les écrivains de l’Univers Etendu de Starwars sont un peu novateur en la matière. Ysanne Isard et Daala (dans l’ordre d’apparition dans la chronologie des livres) sont des monuments de la vilenie au feminin. Des Palpatine en jupon, ou bien des Tarkan avec du mascara, pourrait-on dire. Mais les comparer aux hommes serait plutôt réducteurs. Les femmes qui choisissent ce que nous appelons le camps des méchants usent d’armes que les hommes ne connaissent pas. Elles doivent pallier leurs faiblesses dans l’univers machiste qu’est l’armée en utilisant des moyens plus pervers encore pour se faire craindre à défaut de se faire respecter.
Dans la littérature classique, elles ne sont pas nombreuses les femmes dépeintes avec autant de noirceurs que Ysanne Isard, Roganda Ismaren ou Daala. On connaît tous la fameuse Milady de Winter de Dumas. On connaît tous aussi la méchante fée Viviane qui emprisonnera Merlin l’Enchanteur. Mais c’est dans les contes pour enfants qu’on rencontre le plus de telles mégères. Personne ne peut oublier l’ignoble Fée Carabosse, les méchantes sœurs de Cendrillon, ou encore l’infâme Reine de Blanche-Neige. Mais dans Starwars, ces trois démons féminins prennent une autre dimension.
Ysanne Isard est le mal personnifié dans une femme, avec la même noirceur que Palpatine. Elle manœuvre, elle conspire, elle assassine en catimini, elle manipule pour arriver à ses fins. Elle est autoritaire au-delà de la tyrannie. Elle aurait eu des dons dans la Force qu’elle aurait été bien pire que Guethzerion, la Sœur de la Nuit de Dathomir. Son surnom, Cœur de Glace, est encore loin de la réalité de ce qu’elle est. Tuer son père, dans l’unique but de prendre sa place aux cotés de l’Empereur montre bien à quel point son ambition démesurée peut la pousser. Sans scrupule aucun, elle devient l’un de pions les plus indispensables à Palpatine.
En fait, elle nous est dépeinte plus comme un homme que comme un être ayant encore une part de féminité. C’est un trait que l’on rencontre dans toute la littérature. Les femmes qui agissent de cette manière perdent de leur féminité à mesure qu’elles s’enfoncent dans le mal, comme si l’aspect féminin d’un individu était incompatible avec le crime, la perversion ou la corruption poussés à leur paroxysme. En s’enfonçant dans cette voie, les femmes ne perdent pas seulement leur dignité, mais elles perdent aussi cette part essentielle d’elles-mêmes, leur féminité intérieur. Elles sont belles en apparence, mais tellement noires à l’intérieur qu’elles n’ont plus que leur enveloppe corporelle qui garde les attributs de leur genre. Dans leurs gestes et dans leurs expressions, elles ne sont plus des femmes. Elles n’ont plus aucune douceurs, plus aucune sensualité.
Malgré tout, on ne peut pas trouver que des défauts à ces femmes que les auteurs souhaitent nous voir trouver antipathiques. Derrière leur caractère si repoussant par rapport à nos codes moraux, on devine aussi leurs faiblesse, ce qui nous les rends plus « humaines ». Ainsi, Roganda Ismaren (Les Enfants du Jedi ; Barbara Hambly), que Palpatine « éduque » de la même façon que Mara Jade, nous apparaît plus pathétique que foncièrement mauvaise. Elle a le malheur de tomber très jeune, et donc vulnérable, dans les griffes du tyran. Puis, sa position à la cours, au milieu de toutes les concubines impériales, la fait devoir se protéger dans ce monde impitoyable que dangereux. Les intrigues, les complots et les coups bas sont son quotidien. Et pour survivre dans un tel univers, il lui faut user des mêmes armes. Enfin, lorsque son fils naît, elle doit alors penser à le protéger. L’emprise de Palpatine combinée à toutes ses années passées dans un tel climat ont si bien œuvré que la jeune femme est devenue ce que l’Empereur attendait d’elle. Ambitieuse, manipulatrice, tyrannique, la seule chose qui peut encore nous faire avoir de la compassion pour elle, c’est l’amour quasi aveugle qu’elle éprouve pour son fils. Mais n’ayant eu pour seul modèle d’éducation que celui qu’elle a subit elle-même, elle reproduit inévitablement ce schéma en élevant Irek, sensible à la Force, comme un Seigneur Sith, destiné à reprendre le trône de Palpatine. Et bien que l’auteur laisse planer sciemment des doutes sur la paternité d’Irek, elle n’hésite pas à présenter son fils comme étant l’héritier légitime du trône impérial. Roganda nous apparaît comme ces mères qui, lorsque l’avenir ne peut plus leur apporter en propre, se projettent vers leurs enfants. A travers Irek, ce sont ses propres ambitions que Roganda tente de concrétiser.
Daala est une méchante un peu à part dans cet univers, sans doute en raison du dénouement de son histoire personnelle dans Planète du Crépuscule. Cette femme, disciple du Grand Moff Tarkan, n’est pas parvenue au grade d’amiral de la Flotte Impériale sans soucis. Elle a du lutter âprement, jouer des coudes, user de toutes ses armes pour se faire une place dans un monde profondément phallocrate. Palpatine ne se contentait pas d’être un dictateur dans tous les sens du terme, il était aussi un misogyne notoire. Et par voie de conséquence, toute l’armée impériale suivait l’idéologie de son chef. En cela l’armée impériale de Palpatine n’est guère différente de nos armées nationales terriennes. Aujourd’hui encore, les femmes qui parviennent aux plus hauts niveaux des hiérarchies militaires sont des exceptions. Et dans bien des pays, encore fortement emprunts de tabous socioculturels, il est toujours inimaginable qu’une femme puisse même penser faire une carrière militaire. C’est dans ce milieu où une femme est le plus souvent considérée comme une intruse et comme une incompétente, que Daala a du se faire sa place au soleil, et prouver que la compétence n’est pas une affaire de genre. Disciple de Tarkan, elle dut subir les mesquineries des rumeurs en tout genre. A-t-elle du jouer de ces charmes auprès du Grand Moff, là n’est pas le problème. Rien n’a vraiment été dit. Mais, si cela nous semble « immoral », il faut bien avouer également, que jouer de ses charmes pour une femme est aussi un des moyens (certes contestable et peu honorable) pour lutter contre les préjugés des hommes. Puisque certains de ces messieurs rabaissent ainsi les femmes au rang de jolies écervelées, user d’un tel stratagème revient en fait à les prendre à leur propre piège. Car en fait, le faible n’est pas celui qu’on croit. Succombant à la tentation, qu’il soit l’instigateur d’une telle proposition ou celui qui y cède, l’homme ne se montre pas beaucoup plus avisé et honorable. Il n’en reste pas moins que des pratiques aussi ignobles que les harcèlements de cette nature sont absolument inacceptables. Mais revenons à Daala. Subissant les persécutions de la rumeur, les brimades en tout genre qui n’avaient d’autre raison que le fait qu’elle était une femme, elle réussit pourtant à devenir amirale. Acceptant tous les sacrifices en attendant son heure de gloire, celle où elle serait enfin reconnue pour ses talents de stratège et son génie militaire, elle fut envoyée, complètement isolée dans l’Amas de la Gueule, dans le système de Kessel, protégeant et supervisant les installations scientifiques où, sous l’égide de Tarkan, l’Empire développait ses projets les plus secrets concernant son armement de pointe. Lorsque les installations sont découvertes par Han Solo, elle découvre avec effroi que tout ce à quoi elle pensait encore pouvoir s’accrocher, tout ce qui avait fait sa vie jusque là, avait disparut dans une myriade d’étoiles. Tarkan était mort dans l’explosion de la première Etoile Noire, dans le système de Yavin, et la seconde, encore inachevée, avait subi le même sort quelques années plus tard dans le système de Endor. N’ayant plus rien d’autre dans sa vie que sa petite flotte, ses convictions profondes dans les doctrines de Palpatine et le fol espoir de pouvoir rétablir l’Empire, elle se lance alors dans une lutte sans merci contre les responsables de la chute de tout ce en quoi elle croyait.
Elle nous est dépeinte comme la méchante. Elle nous apparaît comme une femme dure, impitoyable, autoritaire, mais aussi manquant tout de même de claire voyance. Anderson en fait une femme aveuglée par toutes ses années de lutte, continuant quoi qu’il lui en coûte sur la voie qu’elle s’est tracée, refusant de remettre en question ses convictions. Mais il en fait aussi une femme pour qui refuse la défaite. D’un certain coté, elle peut paraître pitoyable à s’entêter ainsi dans ses erreurs. En fait, Anderson, et plus tard Hambly, rassemble en elle tout ce que le désespoir peut vous pousser à faire. Ce n’est pas par hasard que Anderson choisit un personnage feminin pour endosser ce caractère. Les femmes ont ceci de particulier par rapport aux hommes qu’elles agissent plus à l’instinct, qu’elles s’accrochent bec et ongles à ce en quoi elles croient. Seule une femme peut agir ainsi que Daala. Elle a du tout sacrifier pour arriver là où elle est. Dans La Planète du Crépuscule, de Barbara Hambly, on apprend qu’elle a renoncé à l’homme de sa vie pour ses convictions et sa carrière. Elle perd son mentor, elle perd ses repères. Rompue à la solitude que tous les commandants supérieurs connaissent, elle se retrouve encore plus seule, s’accrochant à des vestiges moribonds, devant lutter à nouveau contre les Moff qui n’arrivent pas à passer outre leurs rivalités personnelles pour s’unir et reconstruire l’Empire. Elle se jette corps et âme dans une cause perdue avec toute l’énergie qu’elle va puiser au plus profond de son être. On peut toujours la juger pour croire dans les valeurs de l’Empire. On peut facilement la condamner pour son manque de discernement dans ses affinités politiques et idéologiques. Mais, sans vouloir se faire l’avocat du diable, Daala n’en reste pas moins une femme meurtrie pas des années de lutte. Elle reste une femme fidèle à elle-même, même dans l’adversité. On ne peut que louer son courage, à défaut de condamner ses mobiles et ses actes. Elle accumule les erreurs, c’est un fait. Elle est dotée d’un sérieux penchant pour l’autorité, voir le despotisme. Mais au-delà de tout cela, elle est aussi une femme qui a du se blinder dans son uniforme contre toutes les brimades, contre toutes les vicissitudes de l’élévation dans la hiérarchie militaire. Elle sait ce qu’elle vaut. Elle connaît ses capacités. Elle n’a de cesse de les faire reconnaître. En cela, elle n’est pas différente de Leia. Elle croit en la valeur du travail. Elle est perfectionniste. Elle se donne entièrement à la cause qu’elle défend. Son sens de l’honneur militaire la fait vouloir sans cesse exceller. Elle s’investit totalement. Elle reste honnête vis à vis d’elle-même. Elle a simplement choisi le mauvais camp.
Daala représente dans Starwars ces femmes qui doivent user des coups les plus bas pour se faire leur place dans les milieux professionnels masculins, et en particulier celui de l’armée. Les problèmes qu’elle rencontre et les situations qu’elle doit affronter sont certes condensés en un seul personnage issu de l’imagination d’écrivains. Mais il n’en reste pas moins que dans nos sociétés, bien des femmes pourraient se reconnaître en elle.